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d'un chef qui succède à une république. Dans ses mains se trouve bientôt réunie toute la puissance du peuple, qui n'avoit pu la limiter lui-même. Tel fut Auguste quand il rétablit l'ordre, c'est-à-dire, une servitude durable: tel fut Cromwel, qui eut à vaincre le caractère noble et fier des Anglais : tel fut Buona`parte, qui n'eut qu'à se montrer à une nation fatiguée de l'anarchie, mais agrandie par des conquêtes, mais exaltée par des triomphes. Héritier de la révolution, maître de plusieurs, armées créées par d'habiles généraux, il se déclare seul l'arbitre des destinées de la France, et flatte d'abord tous les partis. Sous le titre modeste de consul, il se proclame le restaurateur des lois, de la religion, de la morale; dans son orgueil insensé, il se regarde comme l'instrument des décrets du ciel, et déclare au sénat, déjà disposé à la servitude,

qu'il est envoyé par celui de qui tout émane » pour rétablir sur la terre l'ordre, la justice » et l'égalité (1). »

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Aussi long-temps qu'il lui est possible de taire et de dissimuler son ambition, il n'est aucun nom sacré qu'il ne profane, aucun sen

(1) Voyez le Moniteur de 1801,

timent noble qu'il ne déshonore en le faisant servir à ses desseins, aucune espérance chère à l'humanité dont il ne se joue. L'Europe étoit perdue si, à l'insatiable amour de l'autorité et des conquêtes, il eût joint la profondeur des vues politiques; mais, en proie aux passions. violentes, surtout à la colère, il n'eut bientôt plus ni règles ni frein dans l'exercice du pouvoir absolu, et l'idée d'une nécessité inflexible sembla le diriger au hasard.

A peine a-t-il saisi les rênes de la puissance, qu'il se montre implacable et perfide envers le comte Louis de Frotté, chef des royalistes normands; il est plus cruel encore à l'égard de Toussaint Louverture, généralissime des noirs de Saint-Domingue. L'un paie de sa tête, au mépris d'un sauf-conduit, des proclamations qui dévoiloient le caractère de l'usurpateur; l'autre périt, comme Jugurtha, de misère et de faim, dans une prison fétide, victime expiatoire de la fatale expédition de Saint-Domingue.

Bientôt un crime plus éclatant glace d'horreur et d'épouvante la nation toute entière. L'unique, le précieux rejeton du sang des Condé, le jeune duc d'Enghien, est enlevé dans un pays libre, en violation du droit des

gens, et fusillé aux flambeaux dans les fossés de Vincennes, exécution atroce dont le souvenir seul porte le deuil dans tous les cœurs. L'indignation fut universelle; mais rien ne pouvant plus arrêter la course ambitieuse de l'usurpa-' teur, le cadavre d'un prince de la Maison de Bourbon, scella son pacte avec les régicides, et lui servit de marchepied pour arriver au trône.

D'autres crimes signalent son avènement. Jaloux de la gloire de Moreau et de Pichegru, il ourdit des trames pour les perdre, et quand, à la faveur d'une conspiration provoquée par ses propres agens, ces deux illustres capitaines tombent dans ses piéges, il sait écarter l'un par l'exil, et se défaire de l'autre par un assassinat commis dans l'ombre des cachots.

Il règne enfin, il règne, et n'osant pas être roi, il s'élève à la dignité d'empereur; mais sous ce titre fastueux il n'est que le mobile d'un gouvernement convulsif créé pour l'intérêt d'une aristocratie insolente et grossière. S'il établit sa dynastie, c'est pour saper toutes les autres, car il croit; ne pouvoir régner sur la France qu'en bouleversant l'Europe.

Il jette d'abord le désordre dans tous les cabinets, et la confusion dans toutes les rela

tions politiques. Un voile impénétrable couvre toutes ses trames et celles de ses agens. Mais ilest une île célèbre où l'opinion surveille sa conduite, où la liberté de la presse le dénonce à l'Europe, aux Français aveuglés. Aussi redoutoit-il le patriotisme britannique bien plus que l'or et les armées navales des Anglais. H brûloit d'atteindre et d'envahir l'Angleterre dans l'espoir d'y étouffer à jamais les germes de la vérité.

Cette conquête, qui fut le rêve de sa vie, lui eût assuré la monarchie universelle. Le continent de l'Europe fut sauvé parce qu'une île, qui lui appartient par ses usages, quoiqu'elle en soit séparée par les mers, sut conserver toute sa vigueur politique.

Poussé par le dépit, l'empereur-soldat fond à l'improviste sur les grandes puissances de l'Europe, qu'il trouve désunies et sans aucun plan de résistance. Avec des torrens de soldats intrépides il renverse toutes les barrières, il triomphe de tous les obstacles; ses invasions subites sont irrésistibles. La fraude et le mensonge marchent devant lui. Se montre-t il l'olivier à la main, chaque négociation couvre un piége, chaque traité n'est qu'un simple armistice. L'Italie subjuguće, l'Autriche humiliée,

la Prusse envahie, dévastée, l'Allemagne sous. le joug, la Russie repoussée, tels furent en trois campagnes les grands résultats qui assujettirent l'Europe à la prépondérance de Napoléon Buonaparte.

Soit aveuglement, soit ignorance, il crută la soumission de tant de nations vaincues ; faute capitale qui fut la source de toutes les aberrations de sa politique. La moitié de ses ennemis lui avoit servi à affoiblir l'autre ; mais, n'osant compter sur un seul allié fidèle, il forma autour de son empire une ceinture de royaumes qu'il distribua à sa famille. Dès lors sa révolution politique fut manquée; l'Europe se refusant à voir l'homme du destin, le régénérateur de l'ordre social dans celui qui, par des guerres sanglantes, , par des pacifications astucieuses, mettoit en question la souveraineté des rois et l'indépendance des peuples.

Il n'y avoit déjà plus qu'un système, qu'un seul code dans toutes les parties du continent soumises à la domination de Buonaparte : telle est la folie des conquérans, de vouloir donner à tous les peuples leurs lois et leurs

coutumes.

Dans l'enivrement de sa puissance il n'imagine point que la nature puisse résister à ses

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