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vit de Bassompierre, celui qui est mort, avec beaucoup de réputation, major général de bataille dans l'armée de l'Empire. Nous nous battîmes à l'épée et au pistolet, derrière les Minimes du bois de Vincennes. Je blessai Bassompierre d'un coup d'épée dans la cuisse, et d'un coup de pistolet dans le bras. Il ne laissa pas de me désarmer, parce qu'il passa sur moi, et qu'il étoit plus âgé et plus fort. Nous allâmes séparer nos amis, qui étoient tous deux fort blessés. Ce combat fit assez de bruit, mais il ne produisit pas l'effet que j'attendois. Le procureur général commença des poursuites; mais il les discontinua, à la prière de nos proches et ainsi je demeurai là, avec ma soutane et un duel.

La mère s'en aperçut; elle avertit mon père, et l'on me ramena à Paris assez brusquement. Il ne tint pas à moi de me consoler de son absence avec 'madame Du Châtelet: mais comme elle étoit engagée avec le comte d'Harcourt, elle me traita d'écolier, et elle me joua même assez publiquement sous ce titre, en présence de M. le comte d'Harcourt. Je m'en pris à lui; je lui fis un appel à la comédie. Nous nous battîmes le lendemain au matin, au-delà du faubourg SaintMarcel. Il passa sur moi, après m'avoir donné un coup d'épée qui ne faisoit qu'effleurer l'estomac. II me porta par terre; et il eût eu infailliblement tout l'avantage, si son épée ne lui fût tombée de la main en nous colletant. Je voulus raccourcir la mienne pour lui en donner dans les reins: mais comme il étoit beaucoup plus fort et plus âgé que moi, il me tenoit le bras si serré sous lui que je ne pus exécuter mon

dessein. Nous demeurions ainsi sans nous pouvoir faire de mal, quand il me dit : « Levons-nous, il n'est << pas honnête de se gourmer. Vous êtes un joli gar«< çon, je vous estime, et je ne fais aucune difficulté, << dans l'état où nous sommes, de dire que je ne vous << ai donné aucun sujet de me quereller. » Nous convînmes de dire au marquis de Poissy, qui étoit son neveu et mon ami, comment le combat s'étoit passé; mais de le tenir secret à l'égard du monde, à la considération de madame Du Châtelet. Ce n'étoit pas mon compte : mais quel moyen honnête de le refuser? On ne parla que peu de cette affaire, et encore fut-ce par l'indiscrétion de Noirmoutier, qui, l'ayant apprise du marquis de Poissy, la mit un peu dans le monde: mais enfin il n'y eut point de procédures, et je demeurai encore là, avec ma soutane et deux duels.

Permettez-moi, je vous supplie, de faire un peu de réflexion sur la nature de l'esprit de l'homme. Je ne crois pas qu'il y eût au monde un meilleur cœur que celui de mon père (1), et je puis dire que sa trempe étoit celle de la vertu. Cependant et ces duels et ces galanteries ne l'empêchèrent pas de faire tous ses efforts pour attacher à l'Eglise l'ame peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l'univers. La prédilection pour son aîné, et la vue de l'archevêché de Paris, qui étoit dans sa maison, produisirent cet effet. Il ne le crut pas, et ne le sentit pas lui-même. Je jurerois

(1) De mon père : Philippe-Emmanuel de Gondy. Il fut général des galères, et acquit quelque gloire, soit en combattant les Barbaresques, soit dans une expédition contre les Rochellois. Ayant perdu son épouse en 1625, il se retira dans la maison de Saint-Magloire, et se fit oratorien. Il embrassa depuis assez vivement la cause des jansenistes.

même qu'il eût lui-même juré, dans le plus intérieur de son cœur, qu'il n'avoit en cela d'autre mouvement que celui qui lui étoit inspiré par l'appréhension des périls auxquels la profession contraire exposeroit mon ame: tant il est vrai qu'il n'y a rien qui soit si sujet à l'illusion que la piété. Toutes sortes d'erreurs se glissent et se cachent sous son voile : elle consacre toutes sortes d'imaginations; et la meilleure intention ne suffit pas pour y faire éviter les travers. Enfin, après tout ce que je viens de vous raconter, je demeurai homme d'Eglise; mais ce n'eût pas été assurément pour long-temps, sans un incident dont je vais vous rendre compte.

M. le duc de Retz, aîné de notre maison, rompit dans ce temps-là, par le commandement du Roi, le traité de mariage qui avoit été accordé quelques années auparavant entre M. le duc de Mercœur (1) et sa fille. Il vint trouver mon père dès le lendemain, et le surprit très-agréablement, en lui disant qu'il étoit résolu de la donner à son cousin pour réunir la maison. Comme je savois qu'elle avoit une sœur qui possédoit plus de quatre-vingt mille livres de rente, je songeai au même moment à la double alliance. Je n'espérois pas que l'on y pensât pour moi, connoissant le terrain comme je le connoissois; et je pris le parti de me pourvoir de moi-même. Comme j'eus quelque lumière que mon père n'étoit pas dans le dessein de me mener aux noces, peut-être en vue de ce qui en arriva, je fis semblant de me radoucir à l'égard de ma profession. Je feignis d'être touché de ce que l'on m'avoit

(1) Louis, duc de Mercœur, depuis cardinal de Vendôme, père de M. le duc de Vendôme et de M. le grand prieur; mort en 1669. (A. E.)

représenté tant de fois sur ce sujet ; et je jouai si bien mon personnage, que l'on crut que j'étois absolument changé. Mon père se résolut de me mener en Bretagne, d'autant plus facilement que je n'en avois témoigné aucun désir. Nous trouvâmes mademoiselle de Retz à Beaupréau en Anjou. Je ne regardai l'aînée que comme ma sœur ; je considérai d'abord mademoiselle de Scepeaux (c'est ainsi qu'on appeloit la cadette) comme ma maîtresse. Je la trouvai très-belle, le teint du plus grand éclat du monde, des lis et des roses en abondance, les yeux admirables, la bouche trèsbelle, du défaut à la taille, mais peu remarquable, et qui étoit beaucoup couvert par la vue de quatrevingt mille livres de rente, par l'espérance du duché de Beaupréau, et par mille chimères que je formois sur ces fondemens, qui étoient réels.

Je couvris très-bien mon jeu dans le commencement; j'avois fait l'ecclésiastique et le dévot dans tout le voyage: je continuai dans le séjour. Je soupirois toutefois devant la belle; elle s'en aperçut: je parlai ensuite, elle m'écouta, mais d'un air un peu sévère. Comme j'avois observé qu'elle aimoit extrêmement une vieille fille de chambre qui étoit sœur d'un de mes moines de Buzay, je n'oubliai rien pour la gagner, et j'y réussis par le moyen de cent pistoles, et par des promesses immenses que je lui fis. Elle mit dans l'esprit de sa maîtresse que l'on ne songeoit qu'à la faire religieuse, et je lui disois de mon côté que l'on ne pensoit qu'à me faire moine. Elle haïssoit cruellement sa sœur, parce qu'elle étoit beaucoup plus aimée de son père; et je n'aimois pas trop mon frère (1), pour la (1) Pierre de Gondy, duc de Retz, mort en 1676. ( A. E.)

même raison. Cette conformité dans nos fortunes contribua beaucoup à notre liaison. Je me persuadai qu'elle étoit réciproque, et je me résolus de la mener en Hollande. Dans la vérité il n'y avoit rien de si facile, Machecoul, où nous étions venus de Beaupréau, n'étant qu'à une demi-lieue de la mer. Mais il falloit de l'argent pour cette expédition; et mon trésor étant épuisé par le don des cent pistoles, je ne me trouvois pas un sou. J'en trouvai suffisamment, en témoignant à mon père que l'économat de mes abbayes étant censé tenu de la plus grande rigueur des lois, je croyois être obligé en conscience d'en prendre l'administration. La proposition ne plut pas; mais on ne put la refuser, et parce qu'elle étoit dans l'ordre, et parce qu'elle faisoit en quelque façon juger que je voulois au moins retenir mes bénéfices, puisque j'en voulois prendre soin.

Je partis dès le lendemain pour aller affermer Buzay, qui n'est qu'à cinq lieues de Machecoul. Je traitai avec un marchand de Nantes, appelé Jucatières, qui prit avantage de ma précipitation, et qui, moyennant quatre mille écus comptans qu'il me donna, conclut un marché qui a fait sa fortune. Je crus avoir quatre millions. J'étois sur le point de m'assurer d'une de ces flûtes hollandaises qui sont toujours à la rade de Retz, lorsqu'il arriva un accident qui rompit toutes

mes mesures.

Mademoiselle de Retz (car elle avoit pris ce nom depuis le mariage de sa sœur) avoit les plus beaux yeux du monde: mais ils n'étoient jamais si beaux que quand ils mouroient, et je n'en ai jamais vu à qui la langueur donnât tant de grâces. Un jour que nous dî

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