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Le peu de part que j'ai eu dans celles dont il s'agit en ce lieu me pourroit peut-être donner la liberté d'ajouter ici mon portrait: mais, outre que l'on ne se connoît jamais assez bien pour se peindre naturellement soi-même, je vous confesse que je trouve une satisfaction si sensible à vous soumettre uniquement et absolument le jugement de tout ce qui me regarde, que je ne puis seulement me résoudre à m'en former dans le plus intérieur de mon esprit la moindre idée. Je reprends le fil de mon histoire.

Le commandement des armées ayant été réglé comme je vous l'ai dit ci-dessus, l'on continua à travailler aux fonds nécessaires pour la levée et pour la subsistance des troupes. Toutes les compagnies et tous les corps s'unirent, et Paris enfanta sans douleur une armée complète en huit jours. La Bastille se rendit, après avoir essuyé pour la forme cinq ou six coups de canon. Ce fut un assez plaisant spectacle de voir les femmes à ce fameux siége porter leurs chaises dans le jardin de l'Arsenal où étoit la batterie, comme elles les portent

au sermon.

M. de Beaufort, qui depuis qu'il se fut sauvé du bois de Vincennes s'étoit caché dans le Vendômois, de maison en maison, arriva ce jour-là à Paris; et il vint descendre chez Prudhomme. Montrésor, qu'il avoit envoyé querir dès la porte de la ville, vint me trouver en même temps, pour me faire compliment de sa part, et pour me dire qu'il seroit dans un quartd'heure en mon logis. Je le prévins; j'allai chez Prudhomme, et je ne trouvai pas que sa prison lui eût donné plus de sens. Il est toutefois vrai qu'elle lui avoit donné plus de réputation. Il l'avoit soutenue avec fer

meté, et il en étoit sorti avec courage. Ce lui étoit même un mérite de n'avoir pas quitté les bords de la Loire, dans un temps où il est vrai qu'il falloit et de l'adresse et de la fermeté pour s'y tenir. Il n'est pas difficile de faire valoir, dans les commencemens d'une guerre civile, le mérite de tous ceux qui font mal à la cour. C'en est un grand que de n'y être pas bien. Comme il y avoit déjà quelque temps qu'il m'avoit fait assurer par Montrésor qu'il seroit très-aise de prendre liaison avec moi, et que je prévoyois bien l'usage auquel je le pourrois mettre, j'avois jeté par intervalle et sans affectation dans l'esprit du peuple des bruits avantageux pour lui. J'avois orné de mille et mille couleurs une entreprise que le cardinal avoit fait faire sur lui par Du Hamel, Montrésor, qui l'informoit avec exactitude des obligations qu'il m'avoit, avoit mis toutes les dispositions nécessaires pour une grande union entre nous. Vous croyez aisément qu'elle ne lui étoit pas désavantageuse en l'état où j'étois dans le parti; et elle m'étoit comme nécessaire, parce que ma profession pouvant m'embarrasser en mille rencontres, j'avois besoin d'un homme que je pusse dans les conjonctures mettre devant moi. Le maréchal de La Mothe étoit si dépendant de M. de Longueville, que je ne m'en pouvois pas répondre. M. de Bouillon n'étoit pas un sujet à être gouverné. Il me falloit un fantôme, mais il ne me falloit qu'un fantôme; et par bonheur pour moi il se trouva que ce fantôme étoit petit-fils de Henri-le-Grand; qu'il parla comme on parle aux halles (ce qui n'est pas ordinaire aux enfans de Henri-le-Grand), et qu'il eut de grands cheveux bien longs et bien blonds. Vous ne pouvez

vous imaginer le poids de ces circonstances, et vous ne pouvez concevoir l'effet qu'elles firent dans le peuple.

Nous sortîmes ensemble de chez Prudhomme pour aller voir M. le prince de Conti. Nous nous mîmes en même portière; nous nous arrêtâmes dans la rue Saint-Denis et dans la rue Saint-Martin. Je nommai, je louai et je montrai M. de Beaufort. Le feu prit en moins d'un instant. Toutes les femmes le baisèrent. et nous eûmes sans exagération, à cause de la foule, peine de passer jusqu'à l'hôtel-de-ville. Il présenta le lendemain requête au parlement, par laquelle il demandoit d'être reçu à se justifier de l'accusation intentée contre lui d'avoir entrepris contre la personne du cardinal: ce qui fut accordé et exécuté le jour d'après.

Messieurs de Luynes et de Vitry arrivèrent dans le `même temps à Paris pour entrer dans le parti; et le parlement donna ce fameux arrêt, par lequel il ordonna que tous les deniers royaux étant dans toutes les recettes générales et particulières du royaume, seroient saisis et employés à la défense commune.

M. le prince établit de sa part ses quartiers: il posta le maréchal Du Plessis à Saint-Denis, le maréchal de Gramont à Saint-Cloud, et Palluau, qui a été depuis le maréchal de Clérambault, à Sèvres. L'activité naturelle à M. le prince fut encore merveilleusement allumée par la colère qu'il eut de la déclaration de M. le prince de Conti et de M. de Longueville, qui avoient jeté la cour dans une défiance si grande de ses intérêts, que le cardinal ne doutant point d'abord qu'il ne fût de concert avec eux, fut sur le point de quitter la

cour; et ne se rassura pas qu'il ne l'eût vu de retour à Saint-Germain, des quartiers où il étoit allé donner ses ordres. En arrivant, il y éclata avec fureur, contre madame de Longueville particulièrement, à qui madame la princesse sa mère, qui étoit aussi à Saint-Germain, en écrivit le lendemain tout le détail. Je lus ces mots qui étoient dans la même lettre : « L'on <«<est ici si déchaîné contre le coadjuteur, qu'il faut «< que j'en parle comme les autres. Je ne puis toute« fois m'empêcher de le remercier de ce qu'il a fait « pour la pauvre reine d'Angleterre. » Cette circonstance est curieuse pour la rareté du fait. Cinq ou six jours avant que le Roi sortît de Paris, j'allai chez la reine d'Angleterre, que je trouvai dans la chambre de mademoiselle sa fille, qui a été depuis madame d'Orléans. Elle me dit d'abord : « Vous voyez, je viens << tenir compagnie à Henriette; la pauvre enfant n'a << pu se lever aujourd'hui, faute de feu. » Le vrai étoit qu'il y avoit six mois que le cardinal n'avoit fait payer la Reine de sa pension; que les marchands ne lui vouloient plus rien fournir, et qu'il n'y avoit pas un morceau de bois dans la maison. Vous me faites bien la justice d'être persuadée que madame la princesse d'Angleterre ne demeura pas le lendemain au lit, faute d'un fagot: mais vous croyez bien aussi que ce n'étoit pas ce que madame la princesse vouloit dire dans son billet. Je m'en ressouvins au bout de quelques jours, j'exagérai la honte de cet abandonnement; et le parlement envoya quarante mille livres à la reine d'Angleterre. La postérité aura peine à croire qu'une fille d'Angleterre, petite-fille de Henri-le-Grand, ait manqué d'un fagot pour se lever au mois de janvier, dans

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le Louvre, et sous les yeux d'une cour de France. Nous avons horreur, en lisant les histoires, de lâchetés moins monstrueuses que celle-là; et le peu de sentiment que je trouvai dans la plupart des esprits sur ce fait m'a obligé de faire, je crois, plus de mille fois cette réflexion, que les exemples du passé touchent sans comparaison plus les hommes que ceux de leur siècle. Nous nous accoutumons à tout ce que nous voyons; et je vous ai dit quelquefois que je ne sais si le consulat du cheval de Caligula nous auroit autant surpris que nous nous l'imaginons.

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Le parti ayant pris så forme, il ne manquoit plus que l'établissement du cartel, qui se fit sans négociation. Un cornette de mon régiment (1) ayant été pris prisonnier par un parti de celui de La Villette, fut mené à Saint-Germain, et la Reine commanda sur l'heure que l'on lui tranchât la tête. Le grand prévôt, qui ne douta point de la conséquence, et qui étoit assez de mes amis, m'en avertit, et j'envoyai en même temps un trompette à Palluau, qui commandoit dans le quartier de Sèvres, avec une lettre très-ecclésiastique, mais qui faisoit entendre les inconvéniens de la suite, d'autant plus proches que nous avions aussi des prisonniers, et entre autres M. d'Olonne (2), qui avoit été arrêté comme il vouloit se sauver habillé en laquais.

Palluau alla sur l'heure à Saint-Germain, où il représenta les conséquences de cette exécution. On obtint de la Reine à toute peine qu'elle fût différée

(1) De mon régiment: Il s'appeloit régiment de Corinthe, du nom de l'évêché in partibus dont le coadjuteur étoit titulaire. — (2) Louis de La Trémouille, marquis de Royan, comte d'Olonne, mort en 1686. (A. E.)

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