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« à Paris. Il m'a juré plus de dix fois, depuis le pont « de Neuilly où je l'ai rencontré, jusqu'à la Croix du « Tiroir où je l'ai laissé, qu'il feroit bien mieux que « monsieur son cousin de Mayenne ne fit à la Ligue.» Jugez, s'il vous plaît, de ma peine! Je n'osois m'ouvrir à qui que ce soit que j'attendois M. le prince de Conti et M. de Longueville, de peur de les faire arrêter à Saint-Germain. Je voyois un prince de la maison de Lorraine, dont le nom est toujours agréable à Paris, prêt à se déclarer et à être déclaré certainement général des troupes, qui n'avoient point de général, et qui en avoient un besoin pressant. Je savois que le maréchal de La Mothe, qui se défioit toujours de l'irrésolution naturelle à M. de Longueville, ne feroit pas un pas qu'il ne le vît; et je ne pouvois douter que M. de Bouillon n'ajoutât encore la présence de M. d'Elbœuf, très-suspecte à tous ceux qui le connoissoient sur le chapitre de la probité, aux motifs qu'il trouvoit pour ne point agir dans l'absence de M. le prince de Conti. De remède, je n'en voyois point: le prévôt des marchands étoit dans le fond du cœur passionné pour la cour, et je ne le pouvois ignorer; le premier président n'en étoit point esclave comme l'autre, mais l'intention certainement y étoit; et de plus, quand j'eusse été aussi assuré d'eux que de moi-même, que leur eussé-je pu proposer dans une conjoncture où les peuples enragés ne pouvoient point ne pas s'attacher au premier objet, et où ils eussent pris pour mensonge et pour trahison tout ce qu'on leur eût dit, au moins publiquement, contre un prince qui n'avoit rien de grand de ses prédécesseurs que les manières de l'affabilité, qui étoient

justement ce que j'avois à craindre à ce moment? Sur Je tout, je n'osois me promettre tout-à-fait que M. le prince de Conti et M. de Longueville vinssent sitôt qu'ils me l'assuroient. J'avois écrit la veille au second, comme par un pressentiment, que je le suppliois de considérer qué les moindres instans étoient précieux, et que le délai, même fondé, est toujours dangereux dans le commencement des grandes affaires. Mais je connoissois son irrésolution. Supposé qu'ils arrivassent dans demi quart-d'heure, ils arrivoient toujours après un homme qui avoit l'esprit du monde le plus artificieux, et qui ne manqueroit pas de donner toutes les couleurs qui pourroient jeter la défiance dans l'esprit des peuples, assez aisée à prendre dans les circonstances d'un frère et d'un beau-frère de M. le prince. Véritablement, pour me consoler, j'avois pour prendre mon parti sur ces réflexions peut-être deux momens, peut-être un quart-d'heure pour le plus. Il n'étoit pas encore passé, quand M. d'Elboeuf entra, qui me dit tout ce que la cajolerie de la maison de Guise put lui suggérer. Je vis ses trois enfaus derrière lui, qui ne furent pas tout-à-fait si éloquens, mais qui me parurent avoir été bien sifflés. Je répondis à leur honnêteté avec beaucoup de respect, et avec toutes les manières qui pouvoient couvrir mon jeu. M. d'Elbœuf me dit qu'il alloit de ce pas

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à l'hôtel-de-ville lui offrir son service; à quoi lui ayant répondu que je croyois qu'il seroit plus obligeant pour le parlement qu'il s'adressât le lendemain directement aux chambres assemblées, il demeura ferme dans sa première résolution, quoiqu'il me yînt d'assurer qu'il vouloit en tout suivre mes conseils.

Aussitôt qu'il fut monté en carrosse, j'écrivis un mot à Fournier, premier échevin, qui étoit de mes amis, qu'il prît garde que l'hôtel-de-ville renvoyât M. d'Elboeuf au parlement, Je mandai à ceux des curés qui étoient le plus intimement à moi, de jeter la défiance par les ecclésiastiques dans l'esprit des peuples, sur l'union qui avoit paru entre M. d'Elbœuf et l'abbé de La Rivière. Je courus toute la nuit à pied et déguisé, pour faire connoître à ceux du parlement, auxquels je n'osois m'ouvrir touchant M. le prince de Conti et M. de Longueville, qu'ils ne se devoient pas abandonner à la conduite d'un homme aussi décrié sur le chapitre de la bonne foi, et qui leur faisoit bien connoître les intentions qu'il avoit pour leur compagnie, puisqu'il s'étoit d'abord adressé à l'hôtel-de-ville, sans doute en vue de la diviser du parlement. Comme j'avois eu celle de gagner du temps en lui conseillant d'attendre jusqu'au lendemain à lui offrir son service avant que de se présenter à la ville, je me résolus, dès que je vis qu'il ne prenoit point mon conseil, de me servir contre lui-même de celui qu'il suivroit; et je trouvai effectivement que je faisois effet dans beaucoup d'esprits. Mais comme je ne pouvois voir que peu de gens dans le peu de temps que j'avois, et que de plus la nécessité d'un chef qui commandât les troupes ne souffroit presque point de délai, je m'aperçus que mes raisons touchoient beaucoup plus les esprits que les cœurs ; et pour vous dire le vrai, j'étois fort embarrassé, et d'autant plus que j'étois bien averti que M. d'Elbœuf ne s'oublioit pas. Le président Le Coigneux, avec qui il avoit été fort brouillé lorsqu'ils étoient tous deux avec Monsieur à Bruxelles, et avec

qui il se croyoit raccommodé, me fit voir un billet qu'il lui avoit écrit de la porte Saint-Honoré en entrant dans la ville, où étoient ces propres mots : Il faut aller faire hommage au coadjuteur; dans trois jours il me rendra ses devoirs. Le billet étoit signé L'Ami du cœur. Je n'avois pas besoin de cette preuve pour savoir qu'il ne m'aimoit pas. J'avois été autrefois brouillé avec lui, et je l'avois prié un peu brusquement de se taire à un bal chez madame de Peroché, dans lequel il me sembloit qu'il vouloit faire une raillerie de M. le comte, qu'il haïssoit fort, parce qu'ils étoient tous deux en ce temps-là amoureux de madame de Montbazon.

Après avoir couru la ville jusqu'à deux heures, je revins chez moi, presque résolu de me déclarer publiquement contre M. d'Elbœuf, de l'accuser d'intelligence avec la cour, de faire prendre les armes, et de le prendre lui-même, ou de l'obliger à sortir de Paris. Je me sentois assez de crédit dans le peuple pour le pouvoir entreprendre judicieusement; mais il faut avouer que l'extrémité étoit grande par une infinité de circonstances, et particulièrement par celle d'un mouvement qui ne pouvoit pas être médiocre dans une ville investie, et investie par un roi.

Comme je roulois toutes ces différentes pensées dans ma tête, qui n'étoit pas, comme vous vous pouvez imaginer, peu agitée, l'on me vint dire que le chevalier de La Chaise, qui étoit à M. de Longueville, étoit à la porte de ma chambre. Il me cria en entrant: « Levez-vous, monsieur; M. le prince de Conti et M. de Longueville sont à la porte Saint-Honoré; et le peuple, qui crie et qui dit qu'ils viennent pour trahir

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<< la ville, ne les veut pas laisser entrer.» Je m'habillai en diligence, j'allai prendre le bonhomme Broussel, je fis allumer huit ou dix flambeaux, et nous allâmes en cet équipage à la porte Saint-Honoré. Nous trouvâmes déjà tant de monde dans la rue, que nous eûmes peine à percer la foule; et il étoit grand jour quand nous fîmes ouvrir la porte, parce que nous employâmes beaucoup de temps à rassurer les esprits, qui étoient dans une défiance inimaginable. Nous haranguâmes le peuple, et nous amenâmes à l'hôtel de Longueville M. le prince de Conti et monsieur son beaufrère.

J'allai en même temps chez M. d'Elbœuf, lui faire une manière de compliment qui sans doute ne lui eût pas plu: car c'étoit pour lui proposer de ne pas aller au Palais, ou au moins de n'y aller qu'avec les autres, et après avoir conféré ensemble de ce qu'il y auroit à faire pour le bien du parti. La défiance générale de tout ce qui avoit le moins du monde rapport à M. le prince nous obligeoit de ménager avec bien de la douceur ces premiers momens. Ce qui eût peutêtre été facile la veille eût été impossible et même ruineux le matin du jour suivant; et ce M. d'Elbœuf, que je croyois pouvoir chasser de Paris le 9, m'en eût apparemment chassé le 10, s'il eût su prendre son parti: tant le nom de Condé étoit suspect au peuple. Dès que je vis qu'il avoit manqué le moment dans lequel nous fimes entrer M. le prince de Conti, je ne doutai point que comme le fond des cœurs étoit pour nous, je ne les amenasse avec un peu de temps où il me plairoit; mais il falloit ce peu de temps. C'est pourquoi mon avis fut (et il n'y en avoit point d'autres) de ménager

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