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de conserver les intendans dans les provinces, et sur l'inconvénient qu'il y auroit de faire le procès, comme l'arrêt le portoit, à ceux d'entre eux qui auroient malversé, parce qu'il seroit impossible que les partisans ne se trouvassent engagés dans les procédures ce qui seroit ruiner les affaires du Roi, en obligeant à des banqueroutes ceux qui les soutenoient par leurs avances et leur crédit. Le parlement ne se rendant point à cette raison, le chancelier se réduisit à demander que les intendans ne fussent pas révoqués par arrêt du parlement, mais par une déclaration du Roi, afin que les peuples eussent au moins l'obligation de leurs soulagemens à Sa Majesté. L'on eut peine à consentir à cette proposition': elle passa toutefois à la pluralité des voix. Mais lorsque la déclaration fut portée au parlement, elle fut trouvée défectueuse, en ce que, révoquant les intendans, elle n'ajoutoit pas que l'on recherchât leur gestion.

M. le duc d'Orléans, qui l'étoit venue porter au parlement, n'ayant pu la faire passer, la cour s'avisa d'un expédient, qui fut d'en envoyer une autre, qui portoit l'établissement d'une chambre de justice pour faire le procès aux délinquans. La compagnie s'aperçut bien facilement que la proposition de cette chambre de justice, dont les officiers et l'exécution seroient toujours à la disposition des ministres, ne tendoit qu'à tirer les voleurs des mains du parlement. Elle passa toutefois encore à la pluralité des voix, en présence de M. d'Orléans, qui en fit vérifier une autre le même jour, par laquelle le peuple étoit déchargé du huitième des tailles, quoique l'on eût promis au parlement de le décharger du quart.

M. d'Orléans y vint encore quelques jours après porter une troisième déclaration, par laquelle le Roi vouloit qu'il ne se fît plus aucunes levées d'argent qu'en vertu des déclarations vérifiées au parlement. Rien ne paroissoit plus spécieux; mais comme la compagnie savoit qu'on ne pensoit qu'à l'amuser et qu'à autoriser par le passé toutes celles qui n'y avoient pas été vérifiées, elle ajouta la clause de défense que l'on ne leveroit rien en vertu de celles qui se trouveroient de cette nature. Le ministre, désespéré du peu de succès de ses artifices, de l'inutilité des efforts qu'il avoit faits pour semer de la jalousie entre les quatre compagnies, et d'une proposition sur laquelle on étoit près de délibérer, qui alloit à la radiation de tous les prêts faits au Roi sous des usures immenses; le ministre, dis-je, outré de rage et de douleur, et poussé par tous les courtisans, qui avoient mis presque tous leurs biens dans ces prêts, se résolut à un expédient qu'il crut décisif, et qui lui réussit aussi peu que les autres. Il fit monter le Roi à cheval, pour aller au parlement en grande pompe; et il y porta une déclaration remplie des plus belles paroles du monde, de quelques articles utiles au public, et de beaucoup d'autres très-obscurs et très-ambigus. La défiance que le peuple avoit de toutes les démarches de la cour fit que cette entrée ne fut pas accompagnée de l'applaudissement ni même des cris accoutumés : les suites n'en furent pas plus heureuses. La compagnie commença dès le lendemain à examiner la déclaration, et à la contrôler presque en tous ses points, mais particulièrement en celui qui défendoit aux compagnies de continuer leurs assemblées de la chambre

de Saint-Louis. Elle n'eut pas plus de succès dans la chambre des comptes et dans la cour des aides, dont les premiers présidens firent des harangues trèsfortes à Monsieur et à M. le prince de Conti. Le premier vint quelques jours de suite au parlement, pour l'exhorter à ne point toucher à la déclaration. Il menaça, il pria; enfin, après des efforts incroyables, il obtint que l'on surseoiroit à délibérer jusqu'au 17 du mois après quoi l'on continueroit incessamment à le faire, tant sur la déclaration que sur les propositions de la chambre de Saint-Louis. L'on n'y manqua pas on examina article par article; et l'arrêt donné par le parlement sur le troisième désespéra la cour. Il portoit, en modifiant la déclaration, que toutes les levées d'argent, ordonnées par déclarations non vérifiées, n'auroient point de lieu. M. le duc d'Orléans ayant encore été au parlement pour l'obliger à adoucir cette clause, et n'y ayant rien gagné, la cour se résolut à en venir aux extrémités, et à se servir de l'éclat que la bataille de Lens fit justement dans ce temps-là pour éblouir les peuples, et pour les obliger de consentir à l'oppression du parlement.

Voilà un crayon très-léger d'un portrait bien sombre et bien désagréable, qui vous a représenté dans un nuage, et comme en raccourci, les figures si différentes et les postures bizarres des principaux corps de l'Etat. Ce que vous allez voir est d'une peinture plus égayée: les factions et les intrigues y donneront du coloris.

[1648] La nouvelle de la victoire de M. le prince à Lens arriva à la cour le 24 août 1648. Châtillon l'apporta; et il me dit, un quart-d'heure après qu'il fut

sorti du Palais-Royal, que M. le cardinal lui avoit témoigné beaucoup moins de joie de la victoire, qu'il ne lui avoit fait paroître de chagrin de ce qu'une partie de la cavalerie espagnole s'étoit sauvée. Vous remarquerez, s'il vous plaît, qu'il parloit à un homme qui étoit entièrement à M. le prince, et qu'il lui parloit d'une des plus belles actions qui se soient jamais faites dans la guerre. Elle est imprimée en tant de lieux, qu'il seroit inutile de vous en rapporter ici le détail. Je ne puis m'empêcher de vous dire que le combat étant presque perdu, M. le prince le rétablit et le gagna, par un seul coup de cet œil d'aigle que vous lui connoissez, qui voit tout dans la guerre et qui ne s'éblouit jamais.

Le jour que la nouvelle en arriva à Paris, je trouvai M. de Chavigny à l'hôtel de Lesdiguières, qui me l'apprit, et qui me demanda si je ne gagerois pas que le cardinal seroit assez innocent pour ne se pas servir de cette occasion pour remonter sur sa bête. Ce furent ses propres paroles; elles me touchèrent, parce que connoissant, comme je faisois, l'humeur et les maximes violentes de Chavigny, et sachant d'ailleurs qu'il étoit très-mal satisfait du cardinal, ingrat au dernier point envers son premier bienfaiteur, je ne doutai pas qu'il ne fût très-capable d'aigrir les choses par de mauvais conseils. Je le dis à madame de Lesdiguières, et je lui ajoutai que j'allois de ce pas au Palais-Royal, dans la résolution d'y continuer ce que j'y avois commencé. Il est nécessaire, pour l'intelligence de ces deux dernières paroles, que je vous rende compte d'un petit détail qui me regarde en mon particulier.

Dans le cours de cette année d'agitation que je viens de toucher, je me trouvai moi-même dans un mouvement intérieur qui n'étoit connu que de fort peu de personnes. Toutes les humeurs de l'Etat étoient si émues par la chaleur de Paris, qui en est le chef, que je jugeois bien que l'ignorance du médecin ne préviendroit pas la fièvre qui en étoit comme la suite nécessaire. Je ne pouvois ignorer que je ne fusse très-mal dans l'esprit du cardinal. Je voyois la carrière ouverte, même pour la pratique, aux grandes choses dont la spéculation m'avoit touché beaucoup dès mon enfance: mon imagination me fournissoit toutes les idées du possible; mon esprit ne les désavouoit pas, et je me reprochois à moi-même la contrariété que je trouvois dans mon cœur à les entreprendre. Je m'en remerciai, après en avoir examiné à fond l'intérieur; et je connus que cette opposition ne venoit que d'un bon principe.

Je tenois la coadjutorerie de la Reine. Je ne savois pas diminuer mes obligations par les circonstances. Je crus que je devois sacrifier à la reconnoissance mes ressentimens, et même les apparences de ma gloire; et, quelques instances que me fissent Montrésor et Laigues, je me résolus de m'attacher purement à mon devoir, et de n'entrer en rien de tout ce qui se disoit ou se faisoit dans ce temps-là contre la cour. Le premier de ces deux hommes, que je viens de vous nommer, avoit été toute sa vie nourri dans les factions de Monsieur; et il étoit d'autant plus dangereux pour conseiller les grandes choses, qu'il les avoit beaucoup plus dans l'esprit que dans le cœur. Les gens de ce caractère n'exécutent rien, et par cette

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