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fort basse et étrangère (il étoit flamand) à l'épiscopat: il l'avoit soutenu avec une piété sans faste et sans fard. Son désintéressement étoit au-delà de celui des anachorètes: il avoit la vigueur de saint Ambroise, et il conservóit, dans la cour et auprès du Roi, une liberté que M. le cardinal de Richelieu, qui avoit été son écolier en théologie, craignoit et révéroit. Ce bonhomme, qui avoit tant d'amitié pour moi qu'il me faisoit trois fois la semaine des leçons sur les épîtres de saint Paul, se mit en tête de convertir M. de Turenne, et de m'en donner l'honneur.

M. de Turenne avoit beaucoup de respect pour lui: mais il lui en donna encore beaucoup plus de marques par une raison qu'il m'a dite lui-même, mais qu'il ne m'a dite que plus de dix ans après. M. le comte de Brion (1), que vous pouvez, je crois, avoir vu dans votre enfance sous le nom de duc de Damville, étoit fort amoureux de mademoiselle de Vendôme, qui a été depuis madame de Nemours; et il étoit aussi fort ami de M. de Turenne, qui, pour lui faire plaisir et lui donner lieu de voir plus souvent mademoiselle de Vendôme, affectoit d'écouter les exhortations de M. de Lizieux, et de lui rendre même beaucoup de devoirs. Le comte de Brion, qui avoit été deux fois capucin, et qui faisoit un salmigondis perpétuel de dévotion et de péchés, prenoit une sensible part à sa conversion prétendue; et il ne bougeoit des conférences qui se faisoient très-souvent, et qui se tenoient toujours dans la chambre de madame de Vendôme. Brion avoit fort peu d'esprit : mais il avoit beaucoup de routine, qui en beaucoup de choses

(1) François-Christophe de Levi de Ventadour, mort en 1661. (A. E.)

supplée à l'esprit; et cette routine, jointe à la manière que vous connoissez de M. de Turenne, et à la mine indolente de mademoiselle de Vendôme, fit que je pris le tout pour bon, et que je ne m'aperçus jamais de quoi que ce soit. Vous me permettrez, s'il vous plaît, de faire ici une petite digression, avant que j'entre plus avant dans la suite de cette histoire (1).

de

Les conférences dont je vous ai parlé ci-dessus se terminoient assez souvent par des promenades dans les jardins. Feu madame de Choisy en proposa une à Saint-Cloud, et elle dit en badinant à madame de Vendôme qu'il y falloit donner la comédie à M. de Lizieux. Le bonhomme, qui admiroit les pièces de Corneille, répondit qu'il n'en feroit aucune difficulté, pourvu que ce fût à la campagne, et qu'il y eût peu monde. La partie se fit: l'on convint qu'il n'y auroit que madame et mademoiselle de Vendôme, madame de Choisy, M. de Turenne, M. de Brion, Voiture et moi. Brion se chargea de la comédie et des violons; je me chargeai de la collation. Nous allâmes à SaintCloud chez M. l'archevêque; mais les comédiens, qui jouoient le soir à Ruel chez M. le cardinal, n'arrivèrent qu'extrêmement tard. M. de Lizieux prit plaisir aux violons. Madame de Vendôme ne se lassoit point de voir danser mademoiselle sa fille, qui dansoit pourtant toute seule. Enfin l'on s'amusa tant, que la petite pointe du jour (c'étoit dans les plus grands jours de l'été ) commençoit à paroître, quand on fut au bas de la des

(1) Toute la digression, qui contenoit deux feuillets, est arrachée. (A. E.)

cente des Bons-Hommes. Justement au pied, le carrosse arrêta tout court. Comme j'étois à l'une des portières avec mademoiselle de Vendôme, je demandai au cocher pourquoi il arrêtoit ; et il me répondit avec une voix fort étonnée : « Voulez-vous que je passe «<par dessus tous les diables qui sont là devant moi? » Je mis la tête hors de la portière; et comme j'ai toujours eu la vue fort basse, je ne vis rien. Madame de Choisy, qui étoit à l'autre portière avec M. de Turenne, fut la première du carrosse qui aperçut la cause de la frayeur du cocher : je dis du carrosse, car cinq ou six laquais qui étoient derrière crioient Jesus Maria, et trembloient déjà de peur. M. de Turenne se jeta en bas du carrosse, aux cris de madame de Choisy. Je crus que c'étoient des voleurs: je sautai aussitôt hors du carrosse ; je pris l'épée d'un laquais, je la tirai, et j'allai joindre de l'autre côté M. de Turenne, que je trouvai regardant fixement quelque chose que je ne voyois point. Je lui demandai ce qu'il regardoit, et il me répondit en me poussant du bras et assez bas: « Je vous le dirai, mais il ne faut pas épou«< vanter ces dames, » qui, dans la vérité, hurloient plutôt qu'elles ne crioient. Voiture commença un oremus. Vous connoissiez peut-être les cris aigus de madame de Choisy. Mademoiselle de Vendôme disoit son chapelet; madame de Vendôme vouloit se confesser à M. de Lizieux, qui lui disoit : « Ma fille, n'ayez point « de peur vous êtes en la main de Dieu. » Le comte de Brion avoit entonné bien dévotement à genoux, avec tous nos laquais, les litanies de la Vierge. Tout cela se passa, comme vous pouvez vous imaginer, en même temps et en moins de rien. M, de Turenne,

qui avoit une petite épée à son côté, l'avoit aussi tirée; et après avoir regardé un peu, comme je vous ai déjà dit, il se tourna vers moi d'un air dont il eût demandé son dîner, et de l'air dont il eût donné une bataille ; et me dit ces paroles : « Allons voir ces gens-là. « Quelles gens? lui repartis-je. » Et dans la vérité je croyois que tout le monde avoit perdu le sens. Il me répondit : «< Effectivement je crois que ce pour<< roient bien être des diables. » Comme nous avions déjà fait cinq ou six pas du côté de la Savonnerie, et que nous étions par conséquent plus proches du spectacle, je commençai à entrevoir quelque chose; et ce qui m'en parut fut une longue procession de fantômes noirs, qui me donna d'abord plus d'émotion qu'elle n'en avoit donné à M. de Turenne, mais qui, par la réflexion que je fis que j'avois long-temps cherché des esprits, et qu'apparemment j'en trouvois en ce lieu, me fit faire un mouvement plus vif que ses manières ne lui permettoient de faire. Je fis deux ou trois sauts vers la procession. Les gens du carrosse, qui croyoient que nous étions aux mains avec tous les diables, firent un grand cri; et ce ne furent pourtant pas eux qui eurent le plus de peur. Les рацvres augustins réformés et déchaussés que l'on appelle capucins noirs, qui étoient nos diables d'imagination, voyant venir à eux deux hommes qui avoient l'épée à la main, l'eurent très-grande; et l'un d'eux, se détachant de la troupe, nous cria: « Messieurs, << nous sommes de pauvres religieux qui ne faisons point de mal à personne, et qui venons nous rafraîchir << un peu dans la rivière pour notre santé. » Nous retournâmes au carrosse, M. de Turenne et moi, avec des

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éclats de rire que vous pouvez vous imaginer; et nous fîmes lui et moi dans le moment même deux réflexions, que nous nous communiquâmes dès le lendemain matin. Il me jura que la première apparition de ces fantômes imaginaires lui avoit donné de la joie, quoiqu'il eût toujours cru auparavant qu'il auroit peur s'il voyoit jamais quelque chose d'extraordinaire; et je lui avouai que la première vue m'avoit ému, quoique j'eusse souhaité toute ma vie de voir des esprits. La seconde observation que nous fîmes fut que tout ce que nous lisons dans la vie de la plupart des hommes est faux. M. de Turenne me jura qu'il n'avoit pas senti la moindre émotion; et il convint que j'avois eu sujet de croire, par son regard fixe et son mouvement si lent, qu'il en avoit eu beaucoup. Je lui confessai que j'en avois eu d'abord; et il me protesta qu'il auroit juré sur son salut que je n'avois eu que du courage et de la gaieté. Qui peut donc écrire la vérité, que ceux qui l'ont sentie ? Le président de Thou a eu raison de dire qu'il n'y a de véritables histoires que celles qui ont été écrites par des hommes qui ont été assez sincères pour parler véritablement d'euxmêmes. Ma morale ne tire aucun mérite de cette sincérité car je trouve une satisfaction si sensible à vous rendre compte de tous les replis de mon ame et de ceux de mon cœur, que la raison à mon égard a eu beaucoup moins de part que le plaisir dans la religion, et l'exactitude que j'ai pour la vérité.

Mademoiselle de Vendôme conçut un mépris inconcevable pour le pauvre Brion, qui en effet avoit fait voir aussi de son côté, dans cette ridicule aventure, une foiblesse inimaginable. Elle s'en moqua avec

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