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nécessaire de prendre bien justement pour les grandes résolutions; que la santé de M. le cardinal commençoit à recevoir beaucoup d'atteintes ; que s'il périssoit d'une maladie, M. le comte auroit l'avantage d'avoir fait voir au Roi et au public qu'étant aussi considérable qu'il étoit et par sa personne et par l'important poste de Sedan, il n'auroit sacrifié qu'au bien et au repos de l'Etat ses propres ressentimens; et que si la santé de M. le cardinal se rétablissoit, sa puissance deviendroit aussi odieuse de plus en plus, et fourniroit infailliblement, par l'abus qu'il ne manqueroit pas d'en faire, des occasions plus favorables aux mouvemens que celle qui se voyoit présentement.

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Voilà à peu près ce que je dis à M. le comte : il en parut touché. M. de Bouillon s'en mit en colère, et me dit même d'un ton de raillerie : « Vous avez le «< sang bien froid pour un homme de votre âge! » A quoi je lui répondis ces propres mots : « Tous les ser«viteurs de M. le comte vous sont si obligés, mon« sieur, qu'ils doivent tout souffrir de vous; mais il << n'y a que cette considération qui m'empêche de pen<< ser, à l'heure qu'il est, que vous pourrez bien n'être, << pas toujours entre vos bastions. » M. de Bouillon revint à lui; il me fit toutes les honnêtetés imaginables, et telles qu'elles furent les commencemens de notre amitié. Je demeurai encore deux jours à Sedan, dans lesquels M. le comte changea cinq fois de résolution; et Saint-Ibal me confessa, à deux reprises différentes, qu'il étoit difficile de rien espérer d'un homme de cette humeur. M. de Bouillon le détermina à la fin. L'on manda don Miguel de Salamanque, ministre d'Espagne ; l'on me chargea de travailler à ga

gner des gens dans Paris; l'on me donna un ordre pour toucher de l'argent et pour l'employer à cet effet; et je revins de Sedan, chargé de plus de lettres qu'il n'en falloit pour faire le procès à deux cents hommes.

Comme je ne pouvois pas me reprocher de n'avoir pas parlé à M. le comte dans ses véritables intérêts, qui n'étoient point assurément d'entreprendre une affaire dont il n'étoit pas capable, je crus que j'avois toute la liberté de songer à ce qui étoit des miens, que je trouvois même sensiblement dans cette guerre. Je haïssois ma profession plus que jamais: j'y avois été jeté d'abord par l'entêtement de mes proches ; le destin m'y avoit retenu par toutes les chaînes et du plaisir et du devoir: je m'y trouvois et m'y sentois lié d'une manière à laquelle je ne voyois plus d'issue. J'avois vingt-cinq ans passés, et je concevois aisément que cet âge étoit bien avancé pour commencer à porter le mousquet. Ce qui me faisoit le plus de peine étoit la réflexion que je faisois, qu'il y avoit eu des momens dans lesquels j'avois, par un trop grand attachement à mes plaisirs, serré moi-même les chaînes par lesquelles il sembloit que la fortune eût pris plaisir de m'attacher malgré moi à l'Eglise. Jugez, par l'état où ces pensées me devoient mettre, de la satisfaction que je trouvois dans une occasion qui me donnoit lieu d'espérer que je pourrois trouver dans cet embarras une issue non-seulement honnête, mais illustre! Je pensai aux moyens de me distinguer : je les imaginai, je les suivis. Vous conviendrez qu'il n'y eut que la destinée qui rompit mes mesures.

Messieurs les maréchaux de Vitry (1) et de Bassom(1) Nicolas de L'Hôpital, duc de Vitry, mort en 1644, le 28 sept. (A. E.)

pierre (1), M. le comte de Cramail, M. Du Fargis et Du Coudray-Montpensier étoient en ce temps-là prisonniers à la Bastille pour différens sujets. Mais comme la longueur des prisons en adoucit la rigueur, ils y étoient traités avec beaucoup d'honnêteté, et même avec beaucoup de liberté. Leurs amis les alloient voir, et l'on dînoit même quelquefois avec eux. L'occasion de M. Du Fargis, qui avoit épousé une sœur de ma mère, m'avoit donné habitude avec les autres; et j'avois reconnu, dans la conversation de quelquesuns d'entre eux, des mouvemens qui m'obligèrent à y faire réflexion. M. le maréchal de Vitry avoit peu de sens, mais il étoit hardi jusqu'à la témérité; et l'emploi qu'il avoit eu de tuer le maréchal d'Ancre lui avoit donné dans le monde, quoique fort injustement, à mon avis, un certain air d'affaires et d'exécution. Il m'avoit paru fort animé contre le cardinal, et je crus qu'il ne pourroit pas être inutile dans la conjoncture présente. Je ne m'adressai pas néanmoins directement à lui; et je crus qu'il seroit plus à propos de sonder M. le comte de Cramail, qui avoit de l'entendement et tout pouvoir sur son esprit. Il m'entendit à demi mot, et il me demanda d'abord si je m'étois ouvert dans la Bastille à quelqu'un. Je lui répondis sans balancer : « Non, monsieur, et je vous en dirai << la raison en peu de mots. M. le maréchal de Bassompierre est trop causeur; je ne compte rien sur « M. le maréchal de Vitry que par vous; la fidélité de << Du Coudray m'est un peu suspecte; et mon bon << oncle Du Fargis est un bon et brave homme, mais

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(1) François de Bassompierre, né en 1579, et mort en 1646. Ses Mémoires font partie de cette série (tomes 19 à 21).

« il a le crâne étroit. A qui vous fiez-vous dans << Paris?» me dit d'un même fil M. le comte de Cramail. «< A personne, monsieur, lui repartis-je, qu'à «< vous seul. Bon, reprit-il brusquement, vous << êtes mon homme, J'ai quatre-vingts ans passés, vous <«< n'en avez que vingt-cinq je vous tempérerai, et « vous m'échaufferez.» Nous entrâmes en matière, nous fîmes notre plan; et lorsque je le quittai, il me dit ces propres paroles : « Laissez-moi huit jours, je « vous parlerai après plus décisivement; et j'espère

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que je ferai voir au cardinal que je suis bon à autre « chose qu'à faire les Jeux de l'inconnu.» Vous remarquerez, s'il vous plaît, que les Jeux de l'inconnu étoit un livre, à la vérité très-mal fait, que le comte de Cramail avoit mis au jour, et duquel M. le cardinal de Richelieu s'étoit fort moqué. Vous vous étonnerez sans doute de ce que, pour une affaire de cette nature, je jetai les yeux sur des prisonniers; mais je me justifierai même par la nature de l'affaire, qui ne pouvoit être en de meilleures mains, comme vous l'allez voir.

J'allai justement dîner le huitième jour avec M. le maréchal de Bassompierre, qui, s'étant mis au jeu sur les trois heures avec madame de Gravelle, aussi prisonnière, et avec le bonhomme Du Tremblay, gouverneur de la Bastille, nous laissa très-naturellement M. de Cramail et moi ensemble. Nous allâmes sur la terrasse ; et là M. le comte de Cramail, après m'avoir fait mille remercîmens de la confiance que j'avois prise en lui, et mille protestations de service pour M. le comte, me tint ce propre discours : « Il n'y a qu'un « coup d'épée ou Paris qui nous puissent défaire du

«< cardinal. Si j'avois été de l'entreprise d'Amiens, je << n'aurois pas fait, au moins à ce que je crois, comme <«< ceux qui ont manqué leur coup. Je suis de celle de « Paris, elle est immanquable; j'y ai bien pensé. « Voilà ce que j'ai ajouté à notre plan. » En finissant ce mot, il me coula dans la main un papier écrit des deux côtés, dont voici la substance : « Qu'il avoit parlé

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à M. le maréchal de Vitry, qui étoit dans toutes les << dispositions du monde de servir M. le comte; qu'ils << répondoient l'un et l'autre de se rendre maîtres de «< la Bastille, où toute la garnison étoit à eux; qu'ils répondoient aussi de l'Arsenal; qu'ils se déclare«roient aussitôt que M. le comte auroit gagné une «< bataille, à condition que je leur fisse voir au préa<«<lable, comme je l'avois avancé à lui comte de Cra<< mail, qu'ils seroient, soutenus par un nombre con« sidérable d'officiers, des colonels de Paris. » Cet écrit contenoit ensuite beaucoup d'observations sur le détail de la conduite de l'entreprise, et même beaucoup de conseils qui regardoient celle de M. le comte. Ce que j'y admirois le plus fut la facilité que ces messieurs eussent trouvée à l'exécution.

Il falloit bien que la connoissance que j'avois du dedans de la Bastille, par l'habitude que j'avois avec eux, me l'eût fait croire possible, puisqu'il m'étoit venu dans l'esprit de la leur proposer. Mais je vous confesse que quand j'eus examiné le plan de M. le comte de Cramail, qui étoit un homme d'une grande expérience et de très-bon sens, je faillis à tomber de mon haut, en voyant que des prisonniers disposoient de la Bastille avec la même liberté qu'eût pu prendre le gouverneur le plus autorisé dans sa place.

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