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élevèrent chez les Yasous, les Natchez et les Akanças. Ce dernier poste, qui formait les états de Law, avait un circuit de cent lieues dont une ville devait occuper le centre. Dans ce temps-là, quatre-vingts faux-sauniers jetaient les fondemens de la Nouvelle-Orléans, à trente lieues de la mer, sur une de ces digues que le fleuve construit luimême du limon de ses eaux. Ils lui donnèrent le nom du prince qui les avait fait déporter, comme autrefois les combattans du cirque saluaient César avant de mourir pour ses plaisirs. Cette ville, que les gazettes françaises décoraient déjà de huit cents maisons et de cinq paroisses, comprenait cent pauvres cabanes de bois de cyprès. Des sauvages débonnaires et plus cultivateurs que nous, labouraient quelques arpens autour de son enceinte; des morceaux de carton, diversement découpés pour l'usage d'un peuple qui ne savait pas lire, tenaient lieu de banque et de monnaie; et Dieu, au culte duquel on avait d'abord prêté une portion de magasin, fut relégué dans une tente. Ainsi commença, en 1719, la capitale de la Louisiane, principal monument du Régent de France, et appelée peut-être sous d'autres lois à de belles destinées.

L'établissement d'une colonie si simple chez les anciens ou chez les barbares est pour nous un problème difficile. Law, homme d'un génie vrai

ment supérieur, et qui avait jugé en un coup d'œil le caractère français, acheta dans le Palatinat douze mille Allemands pour peupler son duché. Quatre mille lui furent livrés; des fléaux cruels en firent périr un grand nombre; mais la postérité de ceux qui survécurent forme encore aujourd'hui la partie la plus saine des cultivateurs de la Louisiane (1). Le gouvernement suivit d'autres directions. Louis XIV avait imposé, à chaque bâtiment de Crozat qui toucherait au Mississipi, l'obligation d'y déposer six filles ou garçons. Le Régent appliqua la force des enrôlemens militaires aux promesses que les particuliers souscrivaient à la compagnie. Il autorisa les tribunaux à convertir la plupart des peines en déportations outre-mer, et il ordonna, pour la même destination, une chasse générale des vagabonds. Cette mesure troubla les deux mondes; car d'un côté les injustices violentes dont elle fut le prétexte excitèrent en France de sanglantes émeutes, et d'un autre côté, les colons volontaires, épouvantés de ce débordement d'hommes corrompus, obtinrent par leurs clameurs qu'on en fermât l'écluse (2). La naturalisation des femmes qui donne seule

(1) Lettres Edifiantes, tom. VI.

(2) Le 9 mai 1720, arrêt qui excepte la Louisiane de la déportation des criminels et vagabonds prescrits par les ordonnances des 8 janvier et 12 mars 1719 et 10 mars 1720.

à une colonie la durée, les mœurs et l'esprit de famille, rencontre encore plus d'obstacles, et ce que la régence essaya pour les surmonter est une leçon utile à recueillir. Un ramas de prostituées et de coupables flétries par la justice fournit la matière du premier envoi. Leur sexe fit leur recommandations et les prétendans les enlevèrent avec fureur (1). Mais un second embarquement tiré des mêmes égoûts reçut un accueil bien contraire. Les inclinations perverses des premières femmes s'étaient trop déclarées, et la plupart avaient été chassées par leurs maris. La nouvelle recrue fut donc repoussée avec horreur. On vit cinq à six cents de ces malheureuses sans liens et sans ressources, abhorrant le travail et le repos, se répandre avec intrépidité sur un théâtre de mille lieues, passer des bras du planteur dans ceux du sauvage, étonner de leurs débauches des régions inconnues même à la charité des missionnaires, opposer à des malheurs inouis un courage surnaturel, et telle de ces amazones accomplir en peu d'années un cercle d'aventures qui fatiguerait l'imagination des plus hardis romanciers. L'inutilité de ces tentatives accrédita la fausse opinion que le climat de la Louisiane rendait

(1) Dumont raconte dans ses mémoires qu'on fut au moment de se battre pour la dernière, qui ressemblait bien moins à une fille à marier qu'à un soldat aux gardes.

stériles les femmes européennes. Une troisième expédition répara ces fautes, soit qu'en effet le choix des sujets fût meilleur, soit qu'on eût plus habilement fardé les apparences. Ces filles étaient conduites par des religieuses et furent cloîtrées en arrivant. Chacune avait un modique trousseau et un coffre qu'elle tenait de la libéralité de la compagnie, ce qui les fit appeler, dans toute l'Amérique, les demoiselles de la cassette. Cette dénomination devint une sorte de noblesse coloniale qui n'eut rien de chimérique, puisqu'elle tirait son origine d'une supériorité présumée de mérite et d'honnêteté. On peut regarder celles qui en furent revêtues comme les véritables fondatrices de la colonie; car les vices ne fécondent rien.

Tandis que des Français cherchaient une patrie sur le continent américain, on transportait à Paris dix sauvages et une reine de la nation des Missouris. La cour, pour éblouir ses nouveaux alliés, les combla de présens et de caresses. Ils prirent un cerf à la course dans le bois de Boulogne; ils exécutèrent sur le Théâtre-Italien des danses de leur pays. La reine fit abjuration dans l'église de Notre-Dame, et épousa un sergent appelé Dubois que l'on créa officier en considération de cette alliance. La nouvelle convertie était de la race du soleil, institution bizarre, opposée à toutes les autres coutumes des sauvages, et qui donne aux femmes

de cette famille le droit de vie et de mort sur leurs maris. La cruelle épouse se pressa d'user, à son retour, de cette prérogative, et renversa les espérances qu'on avait fondées sur le règne du sergent.

CHAPITRE X.

Suite du système de Law.

Sa décadence et sa chute.
Le visa.

L'IVRESSE du système avait été si générale et ses bienfaits si merveilleux, qu'il fallait craindre l'instant où la simple vérité viendrait frapper des esprits nourris de prodiges. L'intrigue des hommes autant que la force des choses hâta ce retour inévitable. La fortune apportait aux pieds de Law les hommages de l'Europe. Le chevalier de SaintGeorges, sollicitant sa pitié, ne refusa pas d'abaisser le sang des Stuarts devant leur ancien sujet (1), et celui-ci, le plus généreux des hommes, rem

(1) Dans une lettre du Prétendant à Law, du 5 août, il lui écrivait: « Je m'adresse à vous comme à un bon Ecossais et à un « fidèle serviteur de M. le Régent..... L'alliance actuelle entre la

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