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Le moyen que cet académicien proposoit pour établir une paix universelle et éternelle, n'est pas nouveau, comme nous l'avons dit : il consistoit à rétablir, pour juger les rois, le tribunal des Amphictyons, non pas tel qu'il existoit du temps de Philippe, puisqu'il n'avoit pu sauver la Grèce, mais sur de nouveaux principes qu'il n'indique pas, et qu'il falloit cependant faire connoître, si toutefois on peut croire qu'il y en ait d'assez puissans pour enchaîner toutes les passions de l'homme : « Il ne faudroit que le vouloir, dit M. Gaillard. » Eh! sans doute, c'est là toute la difficulté : elle est petite, je le veux bien, mais elle est insurmontable, et cela suffit pour arrêter tous vos projets.

Proposer d'établir un tribunal composé de tous les rois, pour juger les rois; soutenir l'efficacité de cette institution pour ramener la paix éternelle parmi les hommes, et le soutenir dans un ouvrage qui donne à penser que les rois sont les auteurs de toutes les calamités qui affligent le genre humain, .c'est assurément une très-pauvre idée, et une très-mauvaise philosophie; mais c'est encore, s'il est possible, une plus mauvaise logique, car c'est supposer que ces rois qu'on accuse si gravement, deviendront tout-à-coup des juges remplis d'équité, sans ambition, sans ressentiment, sans amour de la fausse gloire, des êtres prévilégiés, des anges, en un mot, puisque partout où il y a des hommes il y a des passions et des discordes. Mais si les chefs des nations pouvoient ainsi changer leur nature, qui donc empêcheroit cette étonnante métamorphose? Et à quoi serviroit alors leur réunion dans un tribunal? S'ils étoient parfaits, ils s'entendroient d'un bout de l'Europe à l'autre par l'intention, et encore il ne seroit pas certain que la paix dureroit trois semaines; car il y a toujours dans ce monde des gens qui épient le moment du sommeil d'un roi pacifique pour l'égorger.

Ce projet est donc ridicule; mais malgré ces erreurs de l'esprit, et la foiblesse, ou plutôt l'incertitude des principes qui se font remarquer dans ses ouvrages, M. Gaillard sera toujours un littérateur recommandable sous les rapports moraux, qu'il faut d'abord considérer dans tous les hommes

qui consacrent leurs veilles à l'utilité publique; et l'on peut observer qu'il est du petit nombre des écrivains qui n'ont point laissé corrompre leurs mœurs, ni leur goût, par l'exemple de soixante ans d'anarchie dans la morale, de trouble et de confusion dans les lettres.

G.

Mémoires pour servir à l'Histoire Ecclésiastique pendant le dix-huitième siècle. Deux volumes in-8°. Prix: 12 fr., et 15 fr. par la poste. A Paris, chez Adrien Leclere, libraire, quai des Augustins, no 35; et chez le Normant, imprimeurlibraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, no 17.

LORSQUE nous repassons dans notre esprit les événemens qui ont signalé le dix-huitième siècle, et sur-tout sa fin, il nous semble que nous assistons à une de ces grandes commotions souterraines qui ont souvent bouleversé la face du globe. Nous croyons entendre le fracas des villes qui s'écroulent, et de leurs monumens qui tombent; nous suivons de loin la poussière qui s'en élève; nous approchons, et, du milieu de toutes ces ruines, nous voyons un monument qui s'élève : seul, isolé, sans base, sans appui, et comme suspendu sur un abyme, il porte encore sa tête dans les cieux. Quel est ce monument? C'est celui même contre lequel tout ce fracas s'est fait. Que les philosophes nous donnent la raison de ce phénomène ; il est constant, il frappe tous les regards. Tout a été détruit ou renouvelé, excepté pourtant le Christianisme, qu'on vouloit avant tout détruire, et qui est toujours le même.

Certes, quand on a été témoin de ce grand mouvement, on est bien porté à croire que l'Histoire des Jansénistes et des Molinistes n'est pas l'Histoire Ecclésiastique du dix-huitième siècle, et que la destruction des Jésuites n'en est pas l'événement le plus remarquable. Eh! que nous importe que des insectes obscurs filent leurs toiles dans nos temples, dont ils ne peuvent tout au plus que salir les lambris? Ce qui nous effraie, c'est cette nuée d'ennemis qui accourent de tous côtés

pour le renverser; c'est cet accord universel qui semble s'être fait dès le commencement de ce siècle, entre toutes les puissances, à commencer par celle des livres, et à finir par celle du glaive; c'est cette conjuration de toutes les forces, de toutes les passions, dirons-nous de tous les talens, contre le seul Christianisme; et ce qui nous paroît vraiment remarquable, c'est que, malgré tant d'efforts, le Christianisme subsiste encore.

Ils sont tombés les monumens dont la piété de nos pères avoit entouré celui de la religion. Ils sont tombés, les uns de vétusté, les autres sous les coups d'architectes mal habiles, qui ne s'annonçoient que pour vouloir les réparer; le plus grand nombre renversés par des hommes qui, du moins, déclaroient franchement l'intention qu'ils avoient de détruire la religion, et la religion est restée. Seule, sans temple, sans autel, sans l'appui de ces établissemens que la charité qu'elle inspire avoit fait élever, elle a bravé les efforts de tous ses ennemis. On croyoit le Christianisme fondé sur des espérances humaines... Il a perdu tout ce qui pouvoit flatter ces espérances; il ne promettoit plus de richesses aux riches, ni de secours aux pauvres, et les pauvres comme les riches n'ont cessé de le professer en secret. Le silence a long-temps régné sous ces voûtes antiques, où le malheureux venoit se consoler en priant; les oiseaux du ciel, qui y pénétroient à travers leurs vitrages brisés, ont pu seuls y venir faire entendre leurs voix;.... et alors les maisons sont devenues des temples; et souvent dans la chaumière du laboureur, on a vus'élever un autel. On disoit le Christianisme uniquement soutenu par ces monarchies antiques, à l'ombre desquelles on prétendoit qu'il s'étoit élevé... plusieurs de ces monarchies ont disparu; et la plus ancienne et la plus florissante, celle qui l'avoit toujours le plus hautement protégé, s'est écroulée, sans qu'il en ait été ébranlé. On se flattoit du moins qu'il seroit désormais réduit à triompher sur des ruines et à cacher dans l'ombre ses solennités et ses bienfaits.... Et lorsqu'une voix puissante s'est fait entendre, tout-à-coup ces ruines se sont soulevées: on a vu, selon l'expression d'un prophète, ces ossemens arides s'ébranler, les

monumens de la charité reparoître, et la religion désormais replacée sur sa base, brillant d'un éclat aussi pur que dans ses plus beaux jours.

Voilà, ce nous semble, le tableau que l'historien ecclésiastique du dernier siècle devroit avoir continuellement présent à l'esprit si, à cette époque, les Jansenistes ont attaqué la foi, si les Jésuites ont éprouvé d'injustes persécutions, qu'il jette en passant (il le doit), sur des factieux absurdes, un regard de mépris, et sur des infortunés, un regard de pitié. Mais nous ne voudrions pas qu'il employ ât une grande partie de son ouvrage à nous peindre des convulsionnaires hurlant en leurs réduits obscurs de dégoûtantes folies; et nous desirerions qu'il n'en sacrifiât point un autre à défendre une société que personne n'attaque plus. Nous avons entendu proclamer des absurdités bien autrement dangereuses; nous avons été témoins de persécutions bien autrement cruelles. Eh! qui pourroit, à la fin du 18° siècle, prendre encore un intérêt bien vif aux questions et aux querelles qui signalèrent son commencement? Oh! l'heureux temps que celui où il ne s'agissoit pas encore de savoir si la religion triompheroit de toutes les puissances, de tous les talens, de tous les efforts réunis d'une génération presque entière, mais de savoir seulement si ce seroient les Jésuites ou les Jansénistes qui triompheroient de leurs ennemis !

Il s'agit bien des Jansénistes et des convulsionnaires! L'incrédulité, l'incrédulité, voilà le caractère dominant de ce siècle! Voyez les incrédules, d'abord méditant dans l'ombre de funestes complots, puis se produisant au grand jour et ne craignant plus d'avouer le projet qu'ils avoient fait de détruire la religion. Ce sont les livres qu'ils répandent, c'est la fatale protection dont on les entoure, qui sont la grande plaie du christianisme. Ce qui doit attirer vos regards, c'est l'impiété qui lève sa tête effrayante. Montrez-nous-la éloquente dans JeanJacques, adroite dans d'Alembert, revêtue dans Voltaire de tout ce qu'un esprit enjoué et une imagination brillante peuvent prêter de grace et d'attraits; et, sous toutes ces formes, se signalant chaque jour par de nouveaux excès; disant aux rois,

que la religion est un boulevard élevé contre leur autorité par l'ambition des prêtres; criant aux peuples, qu'elle est une arme inventée par la tyrannie pour mieux les asservir; promettant à tous de nouveaux biens et de nouvelles lumières; et tout-à-coup précipitant les rois et les peuples dans une ruine commune; que dis-je ? s'y précipitant elle-même avec eux, et faisant du tableau de ses propres excès l'arme la plus terrible qu'on puisse employer contr'elle-même..

Car enfin (et c'est la grande idée qui devroit dominer dans toute cette histoire) à quoi ont abouti tant de livres et de complots, si ce n'est à prouver que l'Evangile est lui seul plus fort que tous les livres, et qu'il a dans sa simplicité de quoi résister à tous les complots? Qu'ont produit tous ces projets, suivis pendant tout un siècle avec tant de constance et d'audace? Quel a été le résultat de tant d'efforts? Ecouter les incrédules se sont réunis ; ils ont mis en commun leurs talens, leur science, leur audace; ils se sont dit d'élever un monument éternel avec lequel ils se proposent (ils l'ont eux-mêmes avancé) d'aller attaquer le ciel. Ce monument s'achève, l'Encyclopédie paroît; et, comme une autre tour de Bibel, elle ne sert qu'à répandre la confusion sur la terre. Ce n'est point là ce qu'ils vouloient: je le crois; mais enfin l'orage a éclaté, les torrens se sont déchaînés, et, dans leur course rapide, ils ont tout emporté : la religion seule subsiste, et désormais ses ennemis seront réduits à ne plus l'attaquer que par de faux éloges et de feints respects.

Les Mémoires dont nous annonçons la publication, ne répondent point entièrement à l'idée que nous nous sommes faite d'une Histoire Ecclésiastique du 18° siècle; mais ils en approchent beaucoup, et peut-être s'en approcheroient-ils encore davantage, si leur auteur s'étoit en effet proposé de composer une histoire. Alors il auroit débarrassé son ouvrage de beaucoup de détails superflus : sur-tout il se seroit montré plus impartial, car un historien est un juge, et je ne doute point que s'il en eût pris le titre, il n'eût voulu aussi en avoir toutes les vertus. Dans l'état où sont ces Mémoires, nous pouyons assurer les historiens futurs qu'ils y trouveront, non ce

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