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lettres d'Iroquois, de Lapons, sur des sujets absurdes. Le lecteur croit être devant une loge de Charenton, d'où un homme en démence lui fait des singeries et des grimaces.

G.

L'Enéide, traduite en vers, par J., Hyacinthe Gaston proviseur du Lycée de Limoges. Premier et deuxième vol. contenant les huit premiers livres. Deux vol. in-8°. Prix : 7 fr. 20 cent., et 10 fr. par la poste. A Paris, chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres SaintGermain-l'Auxerrois, n°. 17.

Je m'étois d'abord proposé de ne comparer M. Gaston à aucun autre traducteur de Virgile, et sur-tout de ne point établir de parallèle entre lui et ces hommes extraordinaires, que leurs rares talens et des succès fameux ont, pour ainsi dire, mis hors de pair. C'étoit un égard qui me paraissoit dû à ses qualités personnelles, et aux efforts souvent très-heureux qu'il a faits pour s'approcher de son modèle. Mais il semble provoquer lui-même les comparaisons; et, soit modestie, soit imprudence, on le voit sans cesse occupé à rappeler, dans des notes d'ailleurs superflues, ce que l'on a fait avant lui. Puisqu'il le veut, j'oserai lui prouver au moins une fois qu'en voulant mieux faire qu'un autre, il n'a pas toujours fait aussi bien. J'espère que mon expression ne lui paroîtra pas trop forte; car c'est de Boileau qu'il s'agit. I ne sera peut-être pas étonné, si, dans le combat où il s'est lui-même engagé avec le législateur du Parnasse, je trouve qu'il n'a pas été le vainqueur.

Boileau, dans son Art Poétique, a cité comme un modèle d'exposition le début de l'Enéide, et il a traduit ainsi le premiers de ses vers :

Je chante les combats et cet homme pieux, etc.

C'est ce premier vers que M. Gaston ne trouve pas exact. « Cet homme pieux, dit-il, substitué à virum, qui, en latin, signifie un héros, remplissoit le but de Boileau, qui » propose ce début de poëme comme un modèle de simpli» cité. Mais, moi traducteur, j'ai dû rendre fidèlement le » virum, etc. » Il a donc mis le mot héros à la place du mot homme, et il a dit :

Je chante les combats et ce héros pieux.

Il paroît d'abord singulier que l'on dispute à Boileau sa qualité de traducteur, dans un passage où lui-même ne s'en attribue pas d'autre. Il est plus étonnant encore qu'on lui conteste la gloire d'être, quand il le veut, un bon traducteur. Et voilà ce que nous ne devons pas souffrir. Ce journal est sur-tout destiné à rappeler aux jeunes auteurs le respect qui est dû aux anciens modèles. Pour peu qu'ils s'en écartent, nous devons les en avertir, ou, comme des sentinelles vigilantes, signaler aussitôt l'ennemi.

Tous les dictionnaires auroient appris à M. Gaston que le mot vir, comme celui de homo, ne signifie pas un héros, mais un homme, avec cette différence que le premier renferme ordinairement l'idée de quelque qualité estimable. Si l'autorité des dictionnaires ne lui paroît pas assez forte, je lui opposerai encore celle de Ciceron et de Virgile lui-même. Lorsque Ciceron à défini l'orateur, vir bonus dicendi peritus, a-t-il voulu dire que l'orateur est un héros honnéte qui s'est exercé à parler? Cela n'est pas croyable : tout le monde sait qu'il y a de grands orateurs qui ne sont pas pour cela des héros. Et quand Virgile appelle un bélier, vir gregis, veut-il nous faire entendre que le bélier est un héros? Non sans doute, mais le mot vir fut d'abord employé pour exprimer la force, qui, dans l'enfance des sociétés, étoit la qualité la plus esti→ mable; et c'est par analogie que dans des temps plus heureux, on en vint à lui faire signifier toutes les qualités utiles.

Concluons que Boileau avoit suffisamment déterminé le sens du vers latin en joignant au mot homme celui de pieux.

On pourroit encore faire observer au nouveau traducteur que ce héros est un véritable hiatus qui, pour être permis par les règles, n'en paroît pas moins dur à l'oreille. Il y a des règles de goût qui sont constantes, éternelles, invariables : telles sont la plupart de celles de goût, qui se rapportent à la composition d'un poëme ou d'un discours. Il y en a d'autres qui sont arbitraires, et qui n'ont d'autre motif que l'usage ou le caprice qui les a fait établir; et je compterois parmi celles-ci plusieurs règles de notre versification. Il y a n'est pas plus dur que pieux; ce héros n'est pas plus doux qu'aimée. Pourquoi souffre-t-on dans les vers quelques-unes de ces rencontres fâcheuses de voyelles, tandis qu'on en exclut d'autres ? C'est peut-être qu'elles sont toutes également dures; c'est qu'en reconnoissant la nécessité de les supporter quelquefois, on a voulu empêcher qu'elles ne fussent trop fréquentes, et avertir qu'il faut les éviter quand on peut. Je crois enfin que le vers de M. Gaston est conforme aux règles, mais que c'est mal commencer un poëme que de le commencer par un pareil vers.

Je sens bien qu'on pourroit m'opposer l'autorité de Voltaire qui commence la Henriade en disant :

Je chante le héros qui régna sur la France.

Mais d'abord il n'est pas prouvé que Voltaire n'ait point mal fait. Secondement il n'a pas chanté ce héros pieux, et ce dernier mot ajoute à l'effet désagréable de l'hiatus. Enfin, si on prétendoit queBoileau a un peu affoibli l'expression de Virgile, il faudroit du moins convenir que M. Gaston l'a exagérée; et comme la première règle d'un poëme épique, c'est que le début en soit simple, je préférerois toujours à l'exemple de Voltaire celui de Boileau; et entre deux défauts d'un début, celui qui le simplifie, à celui qui l'enfle.

Cette discussion à propos d'un mot est peut-être déjà trop

longue. Mais la faute en est à M. Gaston qui a fait sur ce mot une note très-imprudente. Pourquoi aussi met-on tant de notes dans un poëme ? Nos grands poètes semblent maintenant croire que leurs vers n'arriveroient point à la postérité, s'ils ne les faisoient escorter d'une masse de prose, qui surcharge inutilement leurs volumes. C'est d'abord une longue préface, puis des argumens, puis des notes sans fin. Ils en font surtout, ils en prennent partout ils en mettent entre tous leurs chants. S'ils veulent instruire leurs lecteurs, ils se trompent; leurs lecteurs ne demandent qu'à être amusés. S'ils veulent prévenir les critiques, ils se trompent encore; c'est par de bons vers, et non par de la vile prose que les grands poètes doivent se prémunir contre les censures. S'ils veulent aider à l'effet de leur poésie et en faire mieux sentir les beautés, ils se trompent encore davantage; tandis qu'ils s'épuisent en longs raisonnemens sur le mérite de leurs descriptions, le public tourne rapidement leurs inutiles pages, en disant comme le Misantrope : nous verrons

bien.

Je reviens à M. Gaston, et j'avoue avec plaisir en ne le comparant à personne, qu'il est plus heureux à traduire Virgile qu'à corriger Boileau. J'oserai même dire que si on lisoit ses vers, un à un, et en les rapprochant toujours des vers qu'il a voulu traduire, on n'auroit jamais que des éloges à lui don¬ ner pour la fidélité scrupuleuse avec laquelle il a cherché à rendre chacune des expressions de son modèle. Mais on n'est pas le maître de se contenir, on cède au desir de lire de suite l'ouvrage d'un poète qui se montre si estimable; et alors on s'aperçoit que, dans leur ensemble, ses vers n'ont ni la même harmonie, ni la même grace, ni la même facilité.... non; je ne dirai pas que ceux de Virgile. Quel est le poète qui pourroit soutenir un tel parallèle ?

Cependant l'ouvrage de M. Gaston est fait pour ajouter beaucoup à l'idée que l'on avoit conçue de ses talens. Il sera précieux pour les jeunes gens, qui, n'étant point encore

ils.

familiarisés avec les muses latines, ne peuvent lire tous seuls un auteur tel que Virgile. En lisant cette traduction, apprendront à connoître chacun des traits de ce grand poète, et ils verront comment avec du travail, du talent et du goût, on peut parvenir à les rendre. Mais si ensuite ils veulent connoître sa physionomie, je ne puis leur indiquer qu'un moyen d'en venir à bout; c'est de se mettre en état de lire l'Enéide sans le secours d'aucun traducteur.

Oh! qui leur donnera seulement une idée de cette poésie tout à-la-fois si douce, si énergique, si variée, si harmonieuse et toujours si simple, si naturelle? Il s'agit bien de traduire un vers, puis un second, puis un troisième! Il ne suffiroit pas même de réussir à peindre successivement, les amours de Didon, la ruine de Troie, les combats de Turnus, etc.; car parmi les diverses parties de l'Enéide, il y en a quelquesunes qui semblent nuire à l'intérêt général que le poète s'est proposé d'inspirer, et il pourroit se faire qu'en les copiant très-fidellement, on ne parvînt à bien faire sentir que leurs défauts. Ce qu'un traductenr devroit faire, ce seroit de former de toutes ces parties, de toutes ces descriptions, de tous ces récits un ensemble qui attache, qui ravisse, et qui intéresse à la dixième fois qu'on le lit, plus encore qu'à la première. Alors, mais alors seulement, il pourroit se flatter d'avoir traduit l'Enéide. Oh! comme il se tromperoit celui qui, après s'être informé de l'histoire d'Enée, telle que Virgile nous la raconte, voudroit juger par elle de l'intérêt qu'inspire ce poëme! Sil'Eneide nous intéressoit uniquement par le fond des actions, on le liroit une fois comme tant d'autres, poëmes et tant de traductions; c'est parce qu'il n'intéresse que par le style, qu'on le lit dix fois, et qu'on veut le relire encore. Et le style se traduit-il?

Les admirateurs de Virgile (et quel homme de goût ne l'est pas) se sont trop attachés à défendre les imperfections de son plan. Il y en a, et M. Gaston est de ce nombre, qui

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