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toutes les fois qu'il en avait l'occasion. Nous étions trois en ce moment auprès de l'Empereur; il m'a donné une de ces oranges à mettre dans ma poche pour mon fils, et s'est mis à couper et à préparer lui-même les autres par tranches; et, assis sur le tronc d'un arbre, il les mangeait et en distribuait gaîment et familièrement à chacun de nous. Je rêvais précisément, par un instinct fatal, au charme de ce moment! Que j'étais loin, hélas! d'imaginer que ce devait être le dernier don que je pourrais recevoir de sa main !...

L'Empereur s'est mis ensuite à faire quelques tours de jardin; le vent était devenu froid: il est rentré et m'a fait le suivre seul dans le salon et la salle de billard qu'il parcourait dans leur étendue. Il me parlait de nouveau de sa journée, me questionnait sur la mienne; puis, la conversation s'étant fixée sur son mariage, il s'étendait sur les fêtes qui avaient amené le terrible accident de celle de M. Schwartzemberg, dont je me promettais intérieurement de faire un article intéressant dans mon Journal, quand l'Empereur s'est interrompu tout-à-coup pour considérer, par la croisée, un groupe considérable d'officiers Anglais qui débouchaient vers nous par la porte de notre enclos : c'était le Gouverneur entouré de beaucoup des siens. Or, le Gouverneur était déjà venu le matin, a fait observer le Grand-Maréchal qui entrait en ce moment; il l'avait eu chez lui assez longtemps; de plus, a-t-il ajouté, on parlait d'un cer

tain mouvement de troupes. Ces circonstances ont paru singulières; et ce que c'est pourtant qu'une conscience coupable! l'idée de ma lettre clandestine me revint à l'instant, et un secret pressentiment m'avertit aussitôt que tout cela me regardait. En effet, peu d'instans après, on est venu me dire que le Colonel Anglais, la créature de Sir Hudson Lowe, m'attendait chez moi. J'ai fait signe que j'étais avec l'Empereur, qui m'a dit quelques minutes après: "Allez voir, mon cher, "ce que vous veut cet animal." Comme je m'éloignais déjà, il a ajouté: "Et surtout revenez "promptement." Et voilà pour moi les dernières paroles de Napoléon. Hélas! je ne l'ai plus revu! Son accent, le son de sa voix, sont encore à mes oreilles. Que de fois depuis je me suis complu à y arrêter ma pensée! et quel charme, quelle peine peut tout-à-la-fois renfermer un douloureux souvenir !

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Celui qui m'avait fait demander était le complaisant dévoué, l'homme d'exécution du Gouverneur, avec lequel je communiquais, du reste, assez souvent à titre d'interprête. A peine il m'aperçut, que, d'une figure bénigne, d'une voix mielleuse, il s'enquit, avec un intérêt tendre, de l'état de ma santé : c'était le baiser de Judas...; car, lui ayant fait signe de la main de prendre place sur mon canapé, et m'y asseyant moi-même, il saisit cet instant pour se placer entre la porte et moi: et, changeant subitement de figure et de

langage, il me signifia qu'il m'arrêtait au nom du gouverneur Sir Hudson Lowe, sur une dénonciation de mon domestique, pour correspondance clandestine. Des dragons cernaient déjà ma chambre, toute observation devint inutile, il fallut céder à la force; je fus emmené sous une nombreuse escorte. L'Empereur a écrit depuis, ainsi qu'on le verra plus bas, qu'en me voyant, de safenêtre, entraîné dans la plaine au milieu de ces gens armés, l'alacrité de ce nombreux état-major caracolant autour de moi, la vive ondulation de leurs grands panaches, lui avaient donné l'idée de la joie féroce des sauvages de la mer du Sud, dansant autour du prisonnier qu'ils vont dévorer.

J'avais été séparé de mon fils, qu'on avait retenu prisonnier dans ma chambre, et qui me rejoignit peu de temps après, aussi sous escorte; si bien qu'à dater de cet instant, compte pour nous l'interruption soudaine et le terme final de toute communication avec Longwood. On nous enferma tous les deux dans une misérable cahutte, voisine de l'ancienne habitation de la famille Bertrand. Il me fallut coucher sur un mauvais grabat, mon malheureux fils à mes côtés, sous peine de le laisser étendu par terre; je le croyais en cet instant en danger de mort. Il était menacé d'un anévrisme, et avait failli, peu de jours auparavant, expirer dans mes bras. On nous tint jusqu'à onze heures sans manger; et quand, cherchant à pourvoir aux besoins de mon fils, je

voulus demander un morceau de pain aux gens qui nous entouraient, à la porte et à chaque fenêtre où je me présentai, il me fut répondu tout d'abord par autant de bayonnettes.

Visite officielle de mes papiers, etc.

25, 26.-Quelle nuit que la première que l'on passe emprisonné entre quatre murailles !...... Quelles pensées! Quelles réflexions!.... Toutefois, ma dernière idée du soir, la première de mon réveil avait été que j'étais encore à quelques minutes de distance seulement de Longwood, et que pourtant, peut-être, l'éternité m'en séparait déjà ! . . . . .

Dans la matinée, le Grand-Maréchal, accompagné d'un officier, a passé à vue de ma cahutte, et à portée de la voix. J'ai pu lui demander, de mon donjon, comment se portait l'Empereur. Le Grand-Maréchal se rendait à Plantation-House,' chez le Gouverneur : c'était indubitablement à mon sujet; mais de quoi pouvait-il être chargé? Quelles étaient les pensées, les désirs de l'Empereur à cet égard? C'est là ce qui m'occupait tout à fait. Le Grand-Maréchal, en repassant, m'a fait, avec tristesse, un geste qui m'a donné l'idée d'un adieu, et m'a serré le cœur.

Dans la matinée encore, le Général Gourgaud et M. de Montholon sont venus jusqu'à l'ancienne demeure de Mme Bertrand, en face de moi et assez près. Il m'a été doux de les revoir et d'inter

prêter leurs gestes d'intérêt et d'amitié. Ils ont sollicité vainement de pénétrer jusqu'à moi; il leur a fallu s'en retourner sans rien obtenir. Peu de temps après, Mme Bertrand m'a envoyé des oranges, me faisant dire qu'elle recevait à l'instant même des nouvelles indirectes de ma femme, qui se portait bien. Cet empressement, ces tendres témoignages de tous mes compagnons, m'étaient la preuve que les sentimens de famille se réveillent au premier coup du malheur, et je trouvais en ce moment quelque charme à être captif.

Cependant, aussitôt après mon arrestation, on n'était pas demeuré oisif dans mon ancien logement. Un commissaire de police, importation toute récente dans la colonie, la première tentative de cette nature, je pense, hasardée sur le sol Britannique, avait fait sur moi son coup d'essai. Il avait fouillé mon secrétaire, enfoncé des tiroirs, saisi tous mes papiers; et jaloux de montrer sa dextérité et tout son savoir faire, il avait procédé de suite à défaire nos lits, démonter mon canapé, et ne parlait de rien moins que d'enlever les planchers.

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Le Gouverneur, devenu maître de tous mes papiers, suivi de huit à dix officiers, s'est mis en devoir de me les produire triomphalement. Descendu à l'opposite de moi dans l'ancienne demeure de Mme Bertrand, il m'a fait demander si je voulais y aller pour assister à leur inventaire, ou si je préférais qu'il se rendît chez moi. J'ai répondu que,

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