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engagé avec quelqu'un qui partait sous très-peu de jours pour Londres, il venait m'offrir ses services en toutes choses. Il m'avait attendu fort long-temps dans ma chambre, et ne me voyant pas revenir de chez l'Empereur, il avait pris le parti de retourner, dans la crainte d'être surpris; mais il promettait de revenir, soit sous le prétexte de voir sa sœur, qui était employée dans notre établissement, soit en renouvelant les mêmes moyens qu'il venait d'employer.

Je n'eus rien de plus pressé le lendemain que de faire part à l'Empereur de ma bonne fortune. Il s'en montra très-satisfait et parut y attacher du prix. J'étais fort ardent sur ce sujet; je répétais avec chaleur qu'il y avait déjà plus d'un an que nous nous trouvions ici sans que nous eussions encore fait un seul pas vers un meilleur avenir; au contraire, nous étions resserrés, maltraités, suppliciés chaque jour davantage. Nous demeurions perdus dans l'univers; l'Europe ignorait notre véritable situation: c'était à nous de la faire connaître. Chaque jour les gazettes nous apprenaient les voiles imposteurs dont on nous entourait, les impudens et grossiers mensonges dont nous demeurions l'objet ; c'était à nous, disais-je, de publier la vérité; elle remonterait aux souverains qui l'ignoraient peut-être; elle serait connue des peuples, dont la sympathie serait notre consolation, dont les cris d'indignation nous vengeraient du moins de nos bourreaux, etc.

Nous nous mîmes, dès cet instant, à analyser nos petites archives. L'Empereur en fit le partage en destinant, disait-il, la part de chacun de nous pour leur plus prompte transcription. Toutefois la journée s'écoula sans qu'il fût question de rien à ce sujet. Le lendemain, Vendredi, dès que je vis l'Empereur, j'osai lui rappeler l'objet de la veille; mais il m'en parut cette fois beaucoup moins occupé, et termina en disant qu'il faudrait voir. La journée se passa comme la veille; j'en étais sur des charbons ardens.

A la nuit, et comme pour m'aiguillonner davantage, mon domestique reparut, me réitérant ses offres les plus entières. Je lui dis que j'en profiterais, et qu'il pourrait agir sans scrupule, parce que je ne le rendrais nullement criminel, ni ne le mettrais aucunement en danger. A quoi il répondit que cela lui était bien égal, et qu'il se chargerait de tout ce que je voudrais lui donner, m'avertissant seulement qu'il viendrait le prendre sans faute le sur-lendemain, Dimanche, veille probable de son appareillage.

Le lendemain, Samedi, en me présentant chez l'Empereur, je me hâtai de lui faire connaître cette dernière circonstance, appuyant sur ce qu'il ne nous restait plus que 24 heures; mais l'Empereur me parla très-indifféremment de tout autre chose. J'en demeurai frappé. Je connaissais l'Empereur: cette insouciance, cette espèce de distraction ne pouvaient être l'effet du hasard, en

core moins du caprice; mais quels pouvaient donc être ses motifs? J'en fus préoccupé, triste, malheureux tout le jour. La nuit arriva et le même sentiment qui m'avait agité toute la journée m'empêchait de dormir. Je repassais avec douleur, dans mon esprit, tout ce qui pouvait avoir rapport à cet objet, quand un trait de lumière vint m'éclairer tout-à-coup. Que prétends-je de l'Empereur, me dis je? le faire descendre à l'exécution de petits détails déjà beaucoup trop au-dessous de lui! Nul doute que le dégoût et une humeur secrète auront dicté le silence qui m'a affecté. Devons-nous lui demeurer inutiles? Ne pouvonsnous le servir qu'en l'affligeant? Et alors, beaucoup de ses observations passées me revinrent à l'esprit. Ne lui avais-je pas donné connaissance de la chose, ne l'avait-il pas approuvée, que voulais-je de plus *? C'était à moi, désormais, à agir. Aussi mon parti fut pris à l'instant. Je résolus d'aller en avant sans lui en reparler davantage : et, pour que la chose demeurât secrète, je me promis de la garder pour moi seul.

Il y avait quelques mois que j'étais parvenu à faire passer la fameuse lettre en réponse à Sir Hudson Lowe, touchant les commissaires des alliés, la première, la seule pièce qui, jusque-là, eût été expédiée en Europe. Celui qui avait bien

* Le journal du Docteur O'Méara m'apprend, au bout de six ans, que j'avais précisément deviné l'Empereur.

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voulu s'en charger m'avait, apporté un grand morceau de satin, sur une partie duquel elle fut écrite. Il m'en restait encore; c'était là précisement mon affaire. Ainsi tout concourait à me précipiter vers le gouffre où j'allais tomber.

Dès que le jour parut, je donnai à mon fils, de la discrétion duquel j'étais sûr, le reste du satin, sur lequel il passa toute la journée à tracer ma lettre au Prince Lucien. La nuit venue, mon jeune mulâtre fut fidèle à sa parole. Il était un peu tailleur; il cousit lui-même, ce que je lui confiai, dans ses vêtemens, et prit congé, moi lui promettant encore de nouvelles choses s'il revenait, ou lui souhaitant un bon voyage si je ne devais pas le revoir; et je me couchai le cœur allégé, l'esprit satisfait comme d'une journée bien et heureusement remplie. Que j'étais loin en ce moment d'imaginer que je venais de trancher, de mes propres mains, le fil de mes destinées à Longwood!!

Hélas! on va voir que 24 heures n'étaient pas écoulées, que, sous le prétexte de cette lettre, j'étais enlevé déjà de Longwood, et que ma personne et tous mes papiers se trouvaient au pouvoir et à l'entière disposition du Gouverneur Sir Hudson Lowe. A présent, si l'on me demande comment je pouvais avoir aussi peu de défiance et ne soupçonner aucunement qu'il était possible qu'on me tendît un piége; je réponds que mon domestique m'avait paru honnête, je le croyais fidèle, et puis j'étais encore étranger à toute idée d'agens

provocateurs; invention nouvelle dont les Ministres Anglais d'alors peuvent réclamer l'honneur, et qui a tant prospéré depuis sur le continent!

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MON ENLÈVEMENT DE LONGWOOD.

Réclusion au secret à Sainte-Hélène.

Espace d'environ six semaines.

Mon enlèvement de Longwood.

25.-Sur les quatre heures l'Empereur m'a fait demander; il venait de finir son travail, et il s'en montrait tout content. "J'ai fait avec Bertrand "de la fortification toute la journée, m'a-t-il dit, "aussi m'a-t-elle parue très-courte.” J'ai déjà dit que c'était, dans l'Empereur, un goût nouveau, tout-à-fait du moment, et Dieu sait comme ils sont précieux ici.

J'avais rejoint l'Empereur sur l'espèce de gazon qui avoisine la tente; de-la nous avons gagné le tournant de l'allée qui conduit au bas du jardin. On a apporté cinq oranges dans une assiette, du sucre et un couteau; elles sont fort rares dans l'île, elles viennent du Cap; l'Empereur les aime beaucoup; celles-ci étaient une galanterie de Lady Malcolm, l'Amiral répétait cette offrande

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