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voir les lui présenter avec convenance. "Bah! "mon cher, avec la main, m'a-t-il dit, tout bonne“ment avec la main; plus de cérémonies, plus de façons entre nous: nous devons désormais de"meurer à la gamelle l'un pour l'autre." Voilà une fort petite circonstance sans doute, mais qui pourtant rendra bien mieux, aux yeux de plusieurs, la tournure d'esprit, le caractère, les dispositions de l'ame, la véritable pensée, que ne sauraient le faire une foule de paroles: car il est des esprits judicieux et observateurs qui savent apercevoir et déduire, lorsque beaucoup d'autres n'ont pas même soupçonné; aussi c'est ce qui va me faire replacer ici ce que j'avais repoussé ailleurs, dans la crainte que ce ne fût jugé insignifiant, ou du moins inutile.

Je dois avoir dit que, dans la familiarité de son petit intérieur, l'Empereur passait volontiers en revue, vis-à-vis de moi, tous les titres. Ah! bonjour Monseigneur. Comment se porte Votre Excellence? Que dit aujourd'hui Votre Seigneurie? etc. etc. Or, un soir, me rendant au salon dont l'huissier allait m'ouvrir la porte, celle de l'Empereur, qui en est voisine, s'ouvrit; il s'y rendait précisément aussi. M'étant rangé pour son passage, lui, en distraction sans doute, s'arrêta pour me prendre l'oreille, ajoutant gracieusement :

Que faisait là Votre Majesté," Mais ce mot ne fut pas plutôt lâché que mon oreille le fut aussi. Sa figure devint tout autre, et il se crut obligé de

me parler gravement d'autre chose. Ce n'est pas que je n'eusse appris près de lui à ne pas avoir entendu au besoin; mais n'importe, il s'en voulait évidemment d'avoir laissé échapper cette qualification: toutes les autres pouvaient lui paraître des plaisanteries; mais il ne semblait pas en être de même de celle-ci; soit par sa nature spéciale, soit par nos circonstances présentes ou autrement, que sais-je ? Du reste, chacun conjecturera ce qui lui plaira; seulement je raconte le fait.

Sur le soir, l'Empereur nous a reçus tous après notre dîner. Il était dans son lit, et est revenu à son incrédulité en médecine, qu'il appuyait de si bonnes raisons, disait-il, que Corvisard et les autres célèbres ne le combattaient que faiblement, et seulement pour l'honneur du corps.

Cinquième jour de réclusion.-Anecdote pour mémoire non payé. Sur l'impopularité.

30.-L'Empereur aujourd'hui n'a pas été mieux. Il a eu, à l'heure accoutumée, son léger accès de fièvre. Sur le soir le docteur est arrivé; il portait plusieurs gargarismes innocens, disait-il; mais il n'en a pas moins eu de peine à en trouver l'emploi. L'Empereur avait beaucoup de boutons sur les lèvres, dans la bouche et jusque dans le gosier; il avait beaucoup de peine à avaler, même à parler, disait-il. On n'a pu trouver, pour son usage, de l'huile supportable: elle est horrible, et il est fort délicat.

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L'Empereur, dans la conversation du jour, parlant des dépenses, du gaspillage et des dettes permanentes de Joséphine, en est arrivé à raconter qu'il s'était vu lui-même, lui, l'homme le plus régulier qui existât, l'objet d'une esclandre fort désagréable à Saint-Cloud. "Etant dans ma calèche, disait-il, l'Impératrice à mes côtés, et au milieu "d'un concours immense de peuple, je m'étais vu interpellé, tout-à-coup à la façon de l'Orient, "comme eût pu l'être le Sultan se rendant à la "mosquée, par un homme qui avait travaillé pour

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ma personne, et réclamait une somme considér"able dont on lui refusait le payement depuis

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long-temps. Et il se trouva que c'était juste, "remarquait Napoléon; mais j'étais en règle aussi; j'avais payé depuis long-temps: l'intermédiaire "seul était coupable," etc., etc.

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Dans un autre moment, à la suite de l'impopularité dont, disait-il, il avait fini par être l'objet, comme je revenais à lui témoigner mon étonnement de ce qu'il n'avait pas cherché quelque moyen de faire contreminer les libelles, et de rappeler l'opinion qu'on lui enlevait, il a répondu avec une sorte d'inspiration: "J'avais, ma foi, "des vues autrement larges que celle d'aller m'occuper de flagorner ou de ménager une petite

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multitude, quelques coteries ou variations de "sectes. Non, il fallait me laisser revenir victo"rieux de Moscou, et l'on eût vu bientôt, non"seulement tous ces gens-là, non-seulement toute

"la France, mais encore le monde entier me re"venir, m'admirer et me bénir. Il ne m'eût plus "fallu que disparaître par hasard au sein du my"stère, et le vulgaire eût renouvelé pour moi la "fable de Romulus; il eût dit que je m'étais en"levé au Ciel pour aller prendre ma place parmi "les Dieux!.."

*Sur les sept heures, l'Empereur s'est mis au lit, se trouvant le corps et la tête faibles. Après notre dîner il nous a reçus tous ensemble comme hier; ses rideaux étaient fermés. Après une conversa tion perdue de quelques instans, il lui a pris fantaise de se faire lire Robinson; chacun faisant la lecture à son tour, excepté moi, à cause de l'état de mes yeux. Au bout d'une heure ou deux, il nous a congédiés en retenant seulement le plus jeune, le Général Gourgaud, pour lui continuer encore la lecture et causer.

L'Empereur viole, dit-il, les règles de la médecine. Il a commandé toute sa vie.-C'est lui qui, le premier, nous appelle la grande nation.

31.-Le temps s'était mis au beau; la température aujourd'hui était délicieuse. Il y avait six jours que l'Empereur gardait la chambre; fatigué de la monotonie de son mal, il a résolu de violer, disait-il, la loi du docteur. Il est sorti; mais il se sentait si faible, qu'il pouvait à peine marcher. Il a fait demander la calèche, et nous avons fait un tour. Il était triste et silencieux. Il

souffrait beaucoup, surtout des boutons qui couvraient ses lèvres.

Peu après son retour, il m'a fait demander dans sa chambre. La promenade l'avait encore abattu. Il se sentait très-faible et fort disposé à l'assoupissement. Je l'ai déterminé à manger un peu; il a fini par un verre de vin de liqueur, et il est convenu qu'il en était réveillé, et se trouvait beaucoup mieux. Il s'est mis à causer.

"En mettant le pied en Italie, disait-il, j'ai "changé les mœurs, les sentimens, le langage de "notre révolution. Je n'ai point fusillé les émi

grés, j'ai secouru les prêtres, j'ai abrogé les "institutions, les fètes qui nous déshonoraient. "Il est vrai que je n'étais point guidé par mon caprice, mais bien par la raison et l'équité, ces "deux bases premières de la haute politique. Par

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exemple, a-t-il dit à quelqu'un, si la fête de la "mort du Roi se fût toujours continuée, vous "n'auriez pas eu l'occasion de pouvoir vous rallier "jamais, etc. etc."

L'Empereur disait alors avoir été celui qui le premier avait salué la France du nom de la grande nation. "Et certes, remarquait-il, je l'ai mon"trée telle au monde abattu devant elle." Et après un léger intervalle, il a repris: "Et elle le "sera encore et le demeurera toujours, si son ca"ractère national redevient en harmonie avec tous

ses avantages physiques et ses moyens moraux, " etc. etc."

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