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écroulées tour à tour sur lui, quelles que fussent les modifications qu'elles eussent essayé de faire à leurs principes pour vivre. Les dynasties en guerres civiles pour le trône n'étaient plus elles-mêmes que des occasions et des causes de guerres civiles entre leurs partisans dans la nation. Les droits à la couronne étaient devenus des factions. La nation seule était une, ses prétendants étaient divisés. Le pays seul pouvait régner.

Il avait de plus à faire, pour la défense des fondements de la société, de ces efforts qui veulent la force et l'unanimité d'un peuple. Enfin il avait et il a à opérer dans ses lois, dans ses idées, dans ses rapports de classe à classe, dans sa religion légale, dans son enseignement, dans sa philosophie, dans ses mœurs, des transformations énergiques que la main d'aucune monarchie n'est assez forte et assez dévouée pour accomplir. Les révolutions se font par les républiques. C'est le gouvernement des peuples debout dans leurs grandes expériences sur eux-mêmes. Ce siècle a de trop grandes choses à faire et de trop grosses questions à remuer pour ne pas rester longtemps ou pour ne pas redevenir souvent république. Je suis donc républicain par intelligence des choses qui doivent naître, et par dévouement à l'œuvre de mon temps. Sans me dissimuler aucun des inconvénients et des dangers de la démocratie, je crois qu'il faut l'accepter héroïquement. Elle est l'instrument qui blesse et qui brise la main de l'homme d'État, mais elle est l'instrument des grandes choses. Il faut renon

cer aux grandes choses, il faut se recoucher dans le lit des habitudes et des préjugés, ou il faut hasarder la république. Voilà ma foi.

III

C'est de ce point de vue que j'entreprends d'écrire l'histoire des deux règnes de la Restauration. Qu'on se rassure cependant: ce point de vue ne me rendra pas injuste. J'aurai plutôt à me défendre d'un excès d'impartialité pour les choses de ma première époque. Il y a deux hommes dans l'historien: l'homme de ses impressions et l'homme de ses jugements. Mes jugements peuvent être sévères; mes impressions sont émues, presque attendries pour la Restauration. En la condamnant souvent, je ne puis m'empêcher de la plaindre. Pourquoi ? murmurent les républicains austères. Je vais le dire. C'est que ce fut l'époque le sentiment et l'imagination eurent le plus de place dans la politique; c'est que les écrivains ont été injustes depuis contre cette phase de notre temps; c'est qu'on a fait la satire plutôt que l'histoire de la Restauration; c'est qu'on marche aisément sur ce qui tombe; c'est qu'entre l'enthousiasme de la gloire servile de l'Empire et l'utilité vulgaire du règne de Louis-Philippe, on a écrasé deux princes, deux règnes, deux générations d'hommes politiques dignes d'être plus regardés; c'est qu'enfin mon cœur est du parti de

cette génération oubliée, bien que mon intelligence soit du parti de l'avenir.

IV

Je sortais de l'enfance, je naissais à la pensée, j'étais de sang royaliste; j'avais été bercé dans la maison paternelle par ces récits domestiques des drames encore tout saignants de la Révolution. Une reine jeune et belle arrachée à son lit, et poursuivie à demi vêtue par le poignard du peuple dans son palais aux 5 et 6 octobre; ses gardes tombant pour la sauver sur le seuil de sa chambre, sous la pique des assassins; une famille royale fuyant, ses enfants dans les bras, des Tuileries à l'Assemblée nationale, le 10 août; les tours du Temple pleines des mystères de leur captivité; l'échafaud d'un roi, de sa femme, de sa sœur; son fils abruti par la solitude, jouet d'un féroce artisan; sa fille restée seule pour pleurer toute sa race sous les voûtes d'une prison pire que le sépulcre, puis libérée la nuit de son cachot à condition d'un éternel ostracisme; des princes autrefois célèbres par leur esprit, leur grâce, leur légèreté même, errant de cour en cour, de retraites en retraites, sans qu'on sût où ils cachaient leurs misères; il y avait là de quoi remuer toutes les fibres d'un enfant. Le cœur est toujours, quand il est noble, du parti de l'infortune. L'imagination est le véritable complot des restaurations.

V

Et puis cette restauration coïncidait avec ma jeunesse; son aurore se mêlait à celle de ma vie et s'y confondait. C'était l'heure de l'enthousiasme. Elle était poétique comme le passé, miraculeuse comme une résurrection. Les vieillards rajeunissaient, les femmes pleuraient, les prêtres priaient, les lyres chantaient, les enfants s'émerveillaient et espéraient. L'Empire avait opprimé les âmes. Le ressort de tout un peuple se redressait au mot de liberté dix ans proscrit. Les républicains, vengés par la chute du destructeur de la République, embrassaient les royalistes comme dans une réconciliation dont la liberté constitutionnelle devait être le gage. Ce retour paraissait être celui de la monarchie corrigée par l'exil, de la liberté purifiée par l'expiation. C'était une époque de renaissance pacifique, intellectuelle et libérale pour la France. La poésie, les lettres, les arts oubliés, asservis ou disciplinés sous la police de l'Empire, paraissaient sortir du sol sous les pas des Bourbons. Il semblait qu'on eût rendu l'air au monde asphyxié depuis dix ans. On respirait à la fois à pleine poitrine pour le passé, pour le présent, pour l'avenir. Jamais le siècle ne reverra une pareille époque. On ne voyait pas les lendemains. On oubliait, à force d'espérances, les malheurs et les humiliations de la patrie. Les soldats

seuls de Napoléon baissaient la tête en déposant leurs armes brisées, car ses courtisans avaient déjà passé au parti vainqueur.

VI

Il est naturel qu'un pareil spectacle, et les spectacles qui suivirent le premier jour de cette restauration, la liberté de la presse, la liberté de la tribune, les mouvements des élections qui remuaient enfin un peuple longtemps immobile et muet, les livres ajournés par la censure impériale qui sortaient en foule pressés comme des catacombes de la pensée, les brochures, les journaux multipliés et libres, les récits de l'exil et de l'émigration; les grands écrivains, les publicistes, les philosophes, les poëtes, les Staël, les Bonald, les Chateaubriand, les de Maistre; les grands orateurs qui s'essayaient à la discussion, les Lainé, les de Serre, les Foy; la vue de ces princes et de ces princesses devant qui la France composait son visage pour leur rendre la patrie douce et hospitalière; les salons, les théâtres, les fêtes, les sociétés d'une aristocratie pressée de jouir, les femmes enthousiastes, belles, lettrées, groupant de nouveau autour d'elles les illustrations de l'Europe, de la guerre, de la tribune, des lettres, de l'art; il est naturel, dis-je, que les impressions d'une telle période de la vie d'un peuple restent profondément gravées dans la mémoire d'un

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