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volonté nationale, sur l'empire de la législation, en inscrivant dans la Constitution nouvelle cette solennelle déclaration : « En présence de Dieu et au nom du peuple français, la République reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives. C'est une parole explicite qui manquait à la philosophie du droit de 1789, et qui protége les droits et les devoirs de l'ordre moral et social.

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Mais dans la sphère politique, la Révolution de Février s'est montrée d'abord avec le caractère du radicalisme le plus absolu. Du premier bond, elle a atteint la dernière limite du suffrage universel, que seule avait osé décreter la constitution du 24 juin 1793, et dans le champ des expériences politiques, on se demande, en hésitant, où sont les droits et les devoirs antérieurs et supėrieurs aux lois positives. On se trouve sous l'empire des faits, de leur apparente mobilité; et c'est au milieu des apparences, des mouvements, des idées qui se croisent et se combattent, qu'il faut saisir la forme la plus appropriée au caractère d'une époque, à l'esprit d'une nation inquiète et troublée. La philosophie du droit, pour reconnaître l'idée vraie qui peut seule communiquer la vie aux formes nouvelles de l'État, n'a pas devant elle l'horizon pur des lois divines et morales. Elle a cependant encore une boussole pour se diriger, c'est la loi des rapports. Montesquieu disait que les lois, en général, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses: eh bien! la loi politique devra saisir les rapports qui dérivent de la nature, des conditions, de la situation d'une société donnée; et les lois organiques de l'État, en appropriant les formes politiques à ces conditions préexistantes, puiseront dans la vérité même de ces relations leur principe de vie et de durée.

La philosophie du droit politique doit donc, avant tout, reconnaître la condition réelle de notre société nationale et déterminer les rapports moralement nécessaires qui en dérivent.

Montesquieu l'avait fait admirablement à l'égard de l'Angleterre, qu'il avait étudiée avec impartialité, et il a révélé à l'Angleterre elle-même les principes fondamentaux de sa constitution, dont elle jouissait, auparavant, sans chercher à s'en rendre compte. Il ne l'a pas fait et il ne pouvait pas le faire avec le même succès pour la France, parce que la France touchait à une de ces époques

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de transition où les apparences trompent, où la condition sociale paraît être ce qu'elle n'est plus.

Le comte Joseph de Maistre l'avait tenté pendant le cours même de la Révolution: dans ses Considérations sur la France, publiées du lieu de sa retraite, à Lausanne, en 1796, il jeta sur son pays un regard d'aigle, mais un regard troublé par la haine de la révolution et de ses excès. Dans un chapitre intitulé: La République française doit-elle durer? il dit qu'une grande nation libre ne peut exister sous un gouvernement républicain ; et il conclut que la nation française ne veut point ce gouvernement, mais le souffre.

De nos jours, un penseur profond, un historien politique vient aussi, du lieu de sa retraite, à l'étranger, de porter ses regards sur la condition de notre société nationale, en publiant le livre de la Démocratie. M. Guizot n'a pas tiré de l'état de la France la même conclusion que Joseph de Maistre; il n'a pas nié la possibilité d'une république viable, et il cherche comment, sous une forme républicaine, la paix sociale et la vie politique peuvent être garanties. Il ne s'est pas élevé, comme M. de Maistre, dans les régions contemplatives, sur l'aile impétueuse des passions politiques, mais par l'unique essor de la pensée. Il juge notre situation actuelle sans que rien rappelle, dans son écrit, l'homme tombé du pouvoir au moment de la chute d'une monarchie. On voudrait moins d'impersonnalité. La communication intime du cœur de l'homme avec son œuvre unit la chaleur à la lumière; la chaleur manque au livre de la Démocratie, mais la pensée y répand sa lumière sur la condition réelle de notre société. Le publiciste-philosophe, en distinguant avec soin les éléments constitutifs de la démocratie française, indique les rapports naturels qu'ils doivent soutenir entre eux, et fait ainsi pressentir les lois et les formes qui devront s'y approprier. La démocratie absolue ne réfléchit pas la situation vraie de la France, où les conditions de la vie intellectuelle, morale et sociale sont différentes. Il y a des riches et des pauvres (et il y en aura toujours, dit l'Évangile); il y a des intelligences cultivées et des esprits iucultes ou ignorants; il y a des classes de personnes où la vie morale est nécessairement plus abondante et plus élevée que dans des conditions inférieures; il y a des caractères d'hommes, et c'est le plus grand nombre, qui aspirent

au développement régulier et paisible de la vie humaine; il y a des esprits inquiets et turbulents, pour lesquels l'agitation est un besoin et le repos un supplice. Or toutes ces différences de la vie réelle doivent-elles s'effacer dans l'organisation politique ? ou, au contraire, les formes organiques ne doivent-elles pas s'approprier aux réalités de la vie nationale?

C'est ce grave sujet qui appelle les méditations et la lumière de la philosophie du droit. C'est la carrière ouverte par la Révolution de Février à la pensée et à l'expérience. Notre époque est surtout une époque politique. Nous n'avons pas de révolution sociale à accomplir; la Révolution de 89 l'a opérée parmi nous, et le grand fait qu'elle a produit, la division de la propriété territoriale, en intéressant au droit sacré de la propriété et de la famille la classe immense des habitants de la campagne, a préservé la France de tous les dangers et de toutes les témérités du Communisme et du Socialisme. C'est 89 aujourd'hui qui nous sauve d'une grande subversion. Avec nos 26 millions d'habitants des communes rurales, les hardiesses des Fourier, des Cabet et des Proudhon ne sont pas à craindre : toutes les idées ennemies de la famille et de la propriété viendront se briser contre le dieu Terme et le foyer domestique des paysans. La république socialiste n'est donc pas à redouter dans l'avenir. Le poids que la condition des paysans jettera dans la balance de la démocratie française est trop grand pour que le socialisme puisse jamais l'emporter. Mais il ne faut pas non plus que la classe nouvellement émancipée abuse de sa force et rompe les liens d'harmonie et de confiance mutuelle qui assurent, dans l'intérêt de la société, une juste prépondérance à la classe agricole et moyenne. C'est à la bourgeoisie à bien comprendre sa position et sa légitime influence; elle forme une condition plus éclairée; or elle doit sentir combien il est nécessaire de faire pénétrer graduellement la lumière qu'elle possède dans les rangs populaires par toutes les voies de l'instruction publique et privée. Le plus grand fait de la Révolution de 1848, c'est certainement l'émancipation politique de la classe ouvrière et agricole. La bourgeoisie ne pouvant rien par le nombre, sa mission principale aujourd'hui est de guider la classe émancipée.

Le suffrage universel, par la subite expansion de l'égalité des

droits électoraux, a dépassé d'abord l'aptitude d'une foule de nouveaux citoyens; mais bientôt l'instinct populaire des campagnes, né du sentiment de la propriété, les a fortement attachées à l'idée d'ordre, personnifiée dans un grand nom. C'est un enseignement qui doit profiter à la philosophie du droit. Il est évident que la société, en 1848 comme en 1800, a senti que le premier besoin était l'ordre et le pouvoir. Mais en 1848, mieux qu'en 1800, la liberté politique peut vivre à côté du pouvoir, à la conlition, toutefois, que le pouvoir sera une réalité. Si le pouvoir n'était pas reconstitué avec la force nécessaire à son existence, la liberté politique succomberait encore dans la lutte, parce que la France a le besoin impérieux de sa conservation, et qu'entre les deux éléments des lois sociales, la conservation et le progrès, elle n'hésiterait pas à sacrifier pour un temps le progrès à la conservation. Avant tout, il faut qu'elle vive; or elle ne peut vivre que par le pouvoir, car l'absence du pouvoir c'est l'anarchie, c'est la mort de la société.

Tel doit être, nous en sommes convaincu, l'objet principal de la philosophie du droit dans ses rapports avec l'état actuel de notre société : c'est de faire pénétrer dans les lois, les institutions, les formes organiques, l'idée du pouvoir social. Il y a longtemps que la cause de l'égalité des droits, de la liberté civile est gagnée en France, et sa conquête est assurée par le Code civil du XIXe siècle1. La liberté politique aurait aussi, depuis longtemps, de solides garanties, si elle n'avait pas dans le passé le souvenir de ses excès. Elle doit reconnaître aujourd'hui qu'elle ne peut vivre que par son alliance sincère avec le pouvoir, qui est la première base de la société. Son vrai danger est dans le dogme erroné de la démocratie absolue. L'unité sociale et vraie, c'est l'unité d'harmonie. Il faut que les lois et les formes soient appropriées à la démocratie française considérée dans ses divers éléments. Là est la condition d'avenir pour la République nouvelle, pour le nouveau droit public et administratif de la France.

1 Nous sommes bien loîn, à ce sujet, de partager les vues d'un article ingénieux sur le passé et l'avenir du socialisme, inséré dans la Revue des Deux Mondes, numéro de janvier 1849, où l'on suppose la nécessité de refondre nos lois civiles; on invoque à cet égard un mémoire de M. Rossi sur l'économie politique et le droit, en lui donnant une portée beaucoup trop étendue,

L'influence de la Révolution de 1848, en agissant sur la philosophie du droit et la législation de notre époque, pour en faire ressortir l'élément politique, doit nécessairement s'étendre sur les travaux de l'intelligence et la direction d'une Revue consacrée principalement au Droit français. Les questions d'organisation politique et administrative y doivent prendre désormais, et plus que par le passé, une place importante à côté des questions de droit privé. La science du droit civil est faite; nous n'avons qu'à en suivre le développement: la science du droit public et administratif, au contraire, est obligée de revenir sur ses pas et de soumettre ses principes à l'épreuve laborieuse des faits et de la théorie. C'est dans cet esprit que nous croyons devoir adresser un nouvel appel à l'activité de nos Collaborateurs. Ne négligeons pas le droit privé, qui sera toujours, comme science, le principe et la source; mais attachons-nous plus spécialement, pendant la période actuelle, aux grandes questions d'organisation que les Assemblées nationales devront successivement élaborer. Par là nous mériterons, de plus en plus, les sympathies et l'estime des esprits sérieux et amis de la science, auxquels s'adresse notre publication.

F. LAFERRIÈRE,

Directeur de la Revue pour l'histoire du droit

et pour le droit public et administratif.

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