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L'observateur remarquera peut-être avec quelque étonnement, que, ni lors du départ de l'armée, ni depuis, le gouvernement français n'ait rien public d'officiel, sur les causes et l'objet de la guerre dirigée contre l'Égypte. Il était cependant assez naturel que la nation fût comptée pour quelque chose dans un gouvernement républicain ; et cette armée de braves, dont on venait d'exciter le courage, comment se laissait-elle conduire sur les bords du Nil? Ah! c'est que la véritable tyrannie opprimait déjà la France au nom de la liberté ; c'est qu'on façonnait d'avance un peuple généreux au joug de fer qui devait bientôt l'écraser.

Incertitudes sur l'auteur de l'expédition en Egypte. L'opinion de nos contemporains n'est pas uniforme, et celle de l'histoire sera par conséquent toujours incertaine, sur un point de fait qu'il serait essentiel de fixer dans cette époque de notre révolution...... A qui doit-on la première idée de l'expédition en Egypte?

A peine quelques succès eurent-ils couronné nos premières tentatives à Alexandrie, que chacun voulut s'attribuer la gloire de cette entreprise romanesque. Les amis de Buonaparte y trouvèrent une nouvelle occasion de parler de son génie. Vengeur du droit des gens, il voulait, disait-on, obtenir une réparation éclatante des insultes que quelques com

merçans français avaient reçues en Egypte. D'autres présageaient d'avance de plus grands résultats. Buonaparte, disaient-ils, veut humilier l'orgueil des Turcs (et les Turcs étaient alors nos amis); ou bien il se propose de ruiner les établissemens anglais dans les Indes (et la vue de quelques-uns de leurs vaisseaux avait jeté l'épouvante dans l'âme du conquérant.)

Mais lorsque des revers inévitables signalèrent le séjour de notre armée en Égypte; lorsque cet enthousiasme qu'un projet gigantesque excite d'ordinaire, fut entièrement dissipé, chacun voulut se soustraire à la responsabilité des maux qu'une expédition téméraire avait attirés sur la France.

De nombreuses plaintes furent adressées au corps législatif: le corps législatif accusa le directoire, et l'accusa sans le convaincre : deux ministres qui s'étaient succédés, rejetèrent l'un sur l'autre la première idée de l'expédition d'Egypte. Enfin, après avoir disputé beaucoup, on s'avisa d'un moyen commode pour mettre tout le monde à couvert. On avait déjà dit si souvent que les malheurs qui avaient affligé la France étaient venus de l'Angleterre ; on le répéta dans cette circonstance désastreuse, et l'on entendit un représentant du peuple s'écrier au conseil des cinq cents: « Le génie de Buonaparte effrayait à la fois l'Angleterre et les ennemis intérieurs de la république. Pitt épouvanté vit l'armée d'Angleterre s'a

vancer, Buonaparte à sa tête; ses flottes devenaient

inutiles. Le camp tracé autrefois par César sur les bords de la Tamise, pouvait être relevé par Buonaparte: il ordonna la déportation du général et de l'armée. »

Certes il fallait avoir le droit funeste de tout dire, pour tenir un langage aussi absurde dans l'assemblée des représentans de la nation. Il est vrai que le nême orateur (voyez le Moniteur du 16 fructidor an 7) imputait également à la nation anglaise toutes les vexations, tous les désordres, tous les crimes qui avaient souillé nos lauriers dans la campagne d'Italie, << Voilà peut-être (s'écriait-il avec une sorte de satisfaction) le secret de tous les crimes commis en Helvétie et en Italie, et de la conduite de tant de gens prévaricateurs, qui n'ont foulé aux pieds les peuples et les hommes que pour servir l'Angleterre, et susciter des haines contre la France.

Il est donc bien vrai que les peuples et les hommes avaient été foulés dans cette campagne mémorable dont nous avons tracé une esquisse rapide; il est donc bien vrai que l'abus de la victoire avait excité contre nous la haine des peuples de l'Italie. Tu avais donc outragé la vérité, Barras, tu avais étouffé la voix des malheureuses victimes de l'ambition, en disant à ton héros........ Vous avez médité vos conquêtes avec la pensée de Socrate,...... Les peuples

d'Italie n'ont vu dans l'armée républicaine que

des amis.

Des plaintes graves s'étaient élevées contre le général en chef. Il s'était rendu personnellement coupable d'usurpation, de pillage..... Ah! c'est bien à lui seul qu'appartenaient ces crimes; et un orateur fanatique a osé les rejeter sur la nation généreuse qui vient de nous donner un exemple si récent de sa modération.

Si les intérêts de la France furent souvent compromis par la politique déloyale du gouvernement directorial, est-ce le ministère anglais qui rendait ses décrets? Si le droit des gens était violé dans des guerres impies; si le pillage, la mort et l'incendie déshonoraient nos plus belles victoires, avions-nous reçu des bords de la Tamise et nos généraux et nos soldats? Malheur à un peuple qu'on peut si facilement abuser! Depuis vingt ans on nous armait contre toute l'Europe; et c'est auprès de nous, c'est dans notre sein qu'étaient nos plus cruels ennemis.

Le temps nous révélera peut-être quelle influence avait exercé sur l'expédition d'Egypte un général qui avait déjà acquis le droit de faire à la France un mystère de sa conduite (on se rappelle qu'il avait annoncé son départ pour le congrès, au moment où il se rendait à Paris), un général auquel le président du directoire avait dit: Vous méditez vos conqué

tes. On se bornera à deux réflexions qui se présentent naturellement à tous les esprits.

Si Buonaparte eût improuvé l'expédition d'Égypte, il avait assez de crédit au directoire pour l'empêcher: il pouvait, du moins, ne pas accepter le commandement de l'armée; mais loin de remarquer en lui la moindre hésitation, l'on est presque étonné de la promptitude avec laquelle il agit. C'est le 19 floréal qu'il arrive à Toulon; le lendemain il fait sa proclamation à l'armée pour lui promettre la conquête d'une contrée lointaine : l'embarquement s'effectue avec une précipitation extraordinaire, et dès le 26, la flotte quitte le port de Toulon. Ce n'est pas ainsi que se serait conduit Buonaparte, si cette guerre avait été entreprise contre sa volonté.

Quand le mauvais succès de l'expédition fut connu à Paris, ses amis répandaient que la guerre contre l'Égypte avait servi de prétexte à l'exil de Buonaparte et de l'élite de l'armée; qu'en allant affronter les hasards des combats, sur un autre hémisphère, ce général avait cédé aux vœux pressans et aux ordres réitérés du directoire; mais tous ceux qui ont connu l'élève de Barras savent bien que s'il avait pu, en effet, rejeter sur d'autres que sur lui, les suites désastreuses d'une entreprise aussi téméraire, il n'aurait pas gardé le silence, sur-tout lorsqu'il n'y avait plus pour lui aucun danger à parler; et l'on ne peut citer, à ce sujet, un seul mot de Buonaparte, qui ait

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