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tables, les officiers en observation des états-majors alliés d'Autriche et de Prusse. Les courriers de Varsovie dénonçaient l'attitude louche des Autrichiens

Schwarzenberg,

qui commandait le corps auxiliaire, ménageait les Russes, ménageait encore davantage ses propres troupes. C'était le jeu de 1809 qui recommençait, renversé. De la frontière prussienne, on mandait que Prussiens et Russes, au lieu de se battre, se rapprochaient, échangeaient des émissaires.

Maret apprit, le 28 octobre, l'évacuation de Moscou. Faute de bulletins de victoires, il donnait des fêtes. On dansa prodigieusement durant tout l'empire dans la Prusse envahie, dans l'Autriche vaincue, dans l'Espagne en feu, à Varsovie, à Vilna même. On dansait chez le commissaire impérial Bignon le 28 novembre; Maret, tout alarmé qu'il était, fit acte de présence. Brusquement, sur un mot qu'on lui dit, il disparut. Un Polonais, le comte Abranowics, chez qui logeait Bignon, revenait, racontant la vérité sur le passage de la Bérésina. La fète s'arrêta, les danses cessèrent; colloques à voix basse, cris et pleurs de femmes; chacun s'évada, tremblant pour les siens, pour sa patrie.

Le 10 décembre, Napoléon arrivait à Varsovie, où la nouvelle du malheur l'avait devancé. Il trouva le gouvernement dans le désarroi, les Polonais dans le désespoir. Le 11, de Kutno, il écrivit à Maret, qu'il laissait pour couvrir la retraite politique, de notifier son départ aux diplomates et de les inviter à regagner Paris. Une ligne indique qu'il pensait à négocier avec Vienne : « Il faut que l'Autriche ait un ministre capable à Paris. » Le 14, il demande, de Dresde, à l'empereur son beau-père de porter le corps auxiliaire autrichien à 60,000 hommes, et au roi de Prusse d'élever le sien à 30,000 hommes. Il lui dépêche M. de Narbonne, mission de contenance et aussi d'insinuation: un mariage entre le prince royal et une princesse Bonaparte.

Ce qui subsistait de l'armée s'écoulait, calamiteux. On vit arriver, comme un flot mourant, à Vilna, « une espèce de cohue semblable à une légion de réprouvés ». Un officier

nommé Roche, demeuré dans la ville, en fut saisi d'une telle horreur qu'il trépassa. Beaucoup étaient devenus fous. La masse ne se soutenait que par exaltation, entêtement obstiné de vivre. Ils trouvèrent de la paille, du linge, du feu, des vivres; ils purent enfin se repaitre; beaucoup en moururent. Puis la dérive continua vers l'Allemagne, fleuve incertain, errant selon toutes les pentes, et ne dessinant son cours que par la frange d'écume sanglante, l'alluvion horrible des cadavres. La Prusse pouvait relever la tête la grande armée n'était plus qu'un simulacre, et l'immense épouvantail du mois de juin qu'un objet de dérision pour les Prussiens.

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La fierté des Russes monte en proportion. Ils se glorifient. Ils se sont révélés à eux-mêmes, ils se sont fait connaitre à l'univers : « Quelle grande nation nous sommes, au-dessus de toutes les autres!» Souvaroff, en 1799, n'a travaillé que pour « des puissances étrangères», et il n'a pu parvenir à « les délivrer du joug des Français". Koutousof a sauvé la patrie. Qu'on ne parle pas des Espagnols à part quelques bandes, ils ne sont ni braves ni actifs; les gentilshommes servent l'usurpateur, les soldats fuient, les généraux se laissent battre! Qu'on ne parle plus, surtout, du Corse « infàme": « Ce gueux nous a pris pour des Allemands! » Il ne reste de sa réputation volée qu'un fuyard, « un fat rempli de vanité et de présomption, gâté par la fortune et la làcheté de ses ennemis et qui perd la tête, le plus làche des hommes dès qu'il trouve qu'on lui résiste et qu'on le bat. » Tchigagof avait fait le beau rêve de le prendre » au filet, couronnant la campagne par une prodigieuse chasse à l'ours !...

'Lettres de Woronzof, décembre 1812, avril 1813. Comparez TOLSTOï. La guerre et la paix.

Lettre de Tchigagof à l'empereur, Société d'histoire de Russie, t. VI.

Alexandre avance vers l'Occident en triomphateur du monstre, restaurateur des rois, libérateur des peuples. Il marche dans son rêve de 1804: Napoléon est atterré, la France en déroute, la révolution refoulée. La suprématie passe au petit-fils de Catherine la Grande, à l'héritier de Pierre le Grand. La paix du continent est désormais une affaire russe. Mais l'enchantement où se trouve Alexandre ne lui fait point perdre de vue les réalités; ce héros regarde à ses pieds. Il y voit la Pologne. Czartoryski reparait avec les circonstances de sa politique; l'histoire remonte aux conditions de l'automne de 1805, quand les armées russes pressaient la frontière prussienne et qu'on se demandait en Russie si l'on prendrait Varsovie à titre de nantissement, se payant de l'alliance, avant même de l'avoir conclue'. Czartoryski écrit au tsar, le 9 octobre, le 6, le 27 décembre : « Si Votre Majesté Impériale, au moment où la nation polonaise s'attend à la vengeance d'un conquérant, lui tend la main et lui offre de plein gré ce qui, pour elle, faisait l'objet du combat, l'effet en sera magique." Qu'Alexandre exécute ce que Napoléon a fait espérer sans l'accomplir, qu'il ressuscite la Pologne, qu'il la rende aux Polonais et qu'il s'en fasse roi! Quelle entrée en campagne et quel don de joyeux avènement du nouveau César aux nations de l'Europe!

Le héros de la croisade se glorifie; la politique le conseille et le modère. Sans doute il y a des Polonais fascinés par Napoléon jusqu'à l'anéantissement d'eux-mêmes, mais on doit compter avec le caractère de cette noblesse, toujours au galop, empanachée, caracolante, courant aux extrêmes « un patriotisme, un désintéressement sans bornes, une ambition, une vanité sans frein3. » Il faut davantage encore compter avec la Russie. Les Polonais ont pris part à la guerre; leurs cavaliers sont entrés dans Moscou; le sac de Smolensk, la dévastation du pays ont réveillé les anciennes

1 Voir t. VI, p. 443, 462, 465.

Lettre du 27 décembre 1812. Mémoires de Czartoryski. 3 Mots de la comtesse Potocka, Mémoires.

haines. Les vieux Russes sont tout à la vengeance, et après la vengeance, le mépris. L'annexion pure et simple et l'assujettissement, voilà, selon eux, tout ce que mérite la Pologne et tout ce qu'exige l'intérêt de la Russie'. Le reste serait un péril, " une combinaison désastreuse

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J'espère en la bonté divine que toutes ces annonces sont fausses écrit Woronzof à Rostopchine. « Je sais depuis longtemps que les Polonais désirent que cela soit, leur vanité ne peut pas supporter de ne plus être une nation. Mais... si on ne veut former le royaume de Pologne que du seul duché de Varsovie, cela est ridicule et cela ne contentera pas les Polonais, car ils veulent recréer leur royaume dans son ancienne intégrité et englober tout ce que possèdent et ont possédé l'Autriche et la Prusse... » La mesure, écrivait Nesselrode à l'empereur, serait éminemment anti-nationale» en Russie; et pour gagner les Polonais, il faudrait sacrifier « au seul plaisir de satisfaire les fantaisies de cette nation légère et inquiète » les territoires attribués à la Russie par les trois partages de 1772 à 1795. Cela « ne peut entrer dans la tête d'un homme raisonnable et sincèrement dévoué aux intérêts de la Russie. » Comment croire « que, dans le cœur d'un Polonais, il puisse jamais entrer le désir d'une Pologne russe? » Ils la voudront polonaise; leur donner une constitution nationale, c'est les inviter à l'indépendance. Comment le tsar concilierait-il ce double et contradictoire caractère, d'autocrate en deçà de la frontière de Pologne, de roi constitutionnel au delà? La constitution de la Pologne sera, par l'exemple, une provocation continue à la révolution. Enfin, pour reconstruire la Pologne entière, il faudra compenser à l'Autriche et à la Prusse et ce qu'on ne leur rendra point et ce qu'on leur devrait demander. Ce serait soulever, au moment de renouer la coalition, cette question de Pologne qui l'a rompue en ses commencements. Elle la romprait encore, et

'Alexandre à Czartoryski, 25 janvier 1813. MARTENS, t. III. — Mémoires de Nesselrode, janvier 1813. Lettre de Woronrof, 27 janvier 1813. Aperçu des transactions du cabinet de Russie. Société d'histoire de Russie, t. XXXI.

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le premier effet en serait peut-être de jeter l'Autriche et la Prusse dans les bras de la France au lieu de les en détacher, ce qui demeure la première condition du succès 1.

C'étaient des raisons d'État. Alexandre en connaissait la valeur. Il ne renonça pas à son rêve favori; mais il comprit que brusquer les choses serait les compromettre, et, placé, dans la position où se trouvait Napoléon en 1807, il usa des mêmes expédients. Il laissa les émissaires de Czartoryski soulever les Polonais et ajourna les affaires de Pologne. Ce pays demeurait l'enjeu de la partie, que ce fût la Convention révolutionnaire qui fit le jeu, l'empereur Napoléon ou le tsar de Russie, restaurateur du droit!

La Pologne ainsi maintenue hors le droit, la question se posa de l'appel aux autres peuples, de l'emploi que l'on ferait d'eux et de la façon dont on règlerait leur délivrance. En Autriche, tout le monde l'entendait de la façon des vieux Russes à l'égard de la Pologne : exploiter les révolutions nationales, puisque la grande erreur des temps voulait que ce fût le seul moyen de recruter les armées et d'entraîner les soldats; mais, le terrain balayé, user aussitôt de ces mêmes forces pour contraindre les peuples au repos, après les avoir remis en paix. Les Russes allaient entrer en Allemagne. Stein accompagnait Alexandre; il lui adressait notes sur notes. Le poète et publiciste Arndt, réfugié en Russie, l'aidait de toute son ardeur et de toute son éloquence. Stein attendait d'Alexandre ce que Jean de Müller et nombre d'Allemands avaient espéré de Napoléon : la régénération de l'Allemagne. Comme eux, il pensait que l'impulsion ne pouvait venir du dehors. Il y fallait « unité et célérité ». Ces qualités ne se trouvaient point dans les cours d'Allemagne, parmi « les cabinets, ministres, généraux, maitresses et valets de chambre » qui en formaient tout le gouvernement. Le grand objet, selon Stein, c'est de rendre l'Allemagne aux Allemands, de mettre un frein « à l'esprit séditieux, à la félonie des princes alle

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1 Voir t. II, p. 494; t. III, p. 43, 490; t. IV, p. 42, 84, 444.

2 Mémoires de septembre et novembre 1812.

que

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