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à Koenigsberg, à Breslau avec une force d'impulsion telle qu'il renverse toutes les digues; c'est le courant qui entraîne à son tour Frédéric-Guillaume. L'affection de cœur des souverains se trempa dans l'épreuve et en sortit scellée par la main populaire. L'exaltation des peuples pour l'indépendance assura la loyauté des rois. En 1792, il ne s'agissait, entre les rois coalisés, que de marchés d'hommes et de terres, et ils finirent comme ils avaient commencé, par le marchandage, la concurrence et la brouille. En 1813, la question posée est celle de l'indépendance des peuples; il faut que les princes la proclament; il faut qu'ils agissent comme s'ils la voulaient, car les peuples y croient, et cette foi des peuples commande seule les sacrifices, fournit les offrandes sans lesquelles les dieux n'accordent point la victoire : le sang humain, la chair à canon. Or, cette foi est toute la force réelle et tout le nerf de la coalition.

IX

A remonter de vingt ans en arrière, tout paraît déplacé : Paris donne l'aspect de Vienne, de Berlin, de Mayence en 1792: armements lourds et impopulaires, conscription violente, levées arbitraires, auxiliaires innombrables, armée cosmopolite, guerre de calculs, de politique, de suprématie; au milieu des préparatifs d'une lutte colossale dont le pays ne saisit pas encore la portée et dont il se désintéresserait sans la terrible moisson d'hommes, des bals officiels, des fêtes de commande « bals lugubres», dit un contemporain qui avait fait la guerre de Russie et pressentait la guerre d'Allemagne, « bals lugubres, où je croyais danser sur des tombeaux '".

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1 FRZENZAC, Campagne de Saxe, t. I.

Cette séparation de la cause de la France et de celle de l'empereur, des intérêts du pays et de ceux du souverain, que les alliés avaient toujours considérée comme une condition nécessaire du succès de leur entreprise, que, dès 1805, ils cherchaient à provoquer, qu'ils s'efforçaient de susciter par les déclarations ambiguës de leurs émissaires, l'équivoque de leurs déclarations et le travail de leurs amis en France, s'opérait de soi-même et sans qu'il leur en coùtât rien, par le seul égoïsme des hommes et leur extraordinaire facilité à tourner par imagination, les choses à leurs convenances.

Dans le monde des opposants, des intéressés, des habiles, on parlait du Grand empire comme d'un encombrement gigantesque de l'histoire de France. Qui se souciait encore de la Pologne? La confédération du Rhin se dissoudrait : la France n'en serait que plus libre de ses mouvements. La Hollande était-elle indispensable et fallait-il à la Belgique française cette « barrière » retournée contre l'Europe? On oubliait le temps où l'on mettait son honneur à régner sur l'Italie, afin de « l'affranchir ». La Westphalie, Naples, l'Espagne enfin, parasites de l'Empire, qui le rongeaient aux extrémités ! Dans les départements, dans les familles modestes, on ne considérait que les foyers vides, les appels et réappels de conscrits, la liste interminable des morts et celle des victimes désignées de la guerre. On maudissait cette guerre qui ne finissait jamais et dont on ne mesurait plus que la souffrance depuis que les revers avaient recommencé. On la réprouvait, on la répudiait avec violence. On se trouvait saturé de gloire, jusqu'à la nausée. Ainsi des voyageurs embarqués pour les îles opulentes et les pays de l'or découvrent le péril au secouement de la tempête et maudissent leur folle confiance, la témérité de leur chef, le vaisseau, le pilote, la mer et les dieux dont les oracles les ont trompés! Tout paraît bon à jeter pardessus bord, qui permettra de regagner la terre. On ne comprenait point que Napoléon refusat de débarquer cet excès de chargement qui menaçait de faire sombrer le navire, et même tant de passagers inutiles. On appelait le repos avec d'au

tant plus d'impatience que l'on se sentait plus persuadé qu'il suffirait à la France de vouloir sa propre sécurité, sa propre tranquillité, et de les obtenir de l'empereur, pour vivre désormais grande, prospère, intacte en ses limites naturelles, dans une Europe délivrée et pacifique comme elle! La paix universelle par la renonciation de la France, conception aussi chimérique, en 1813, qu'en 1792 l'universelle fraternité par la conquête française.

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Napoléon», dit un général, et des plus àpres parmi les censeurs, «semblable à un dogue, ne làchait que ce qu'on lui arrachait en le brisant'. » C'est que Napoléon n'en jugeait pas comme le vulgaire, qui, pour voir les conquêtes menacées, les déclarait aussitôt inutiles. Il savait par quelles étapes la France avait marché de Paris à Moscou, par quelle évolution il avait porté la conquête, puis la défense, du Rhin à la Vistule, des Alpes aux Calabres, de la mer du Nord à l'Adriatique, de Cadix à Hambourg. Entre la coalition et lui, il y a encore toute l'épaisseur de l'Europe centrale, rempart énorme s'il est vainqueur, le vide s'il est vaincu. Il prévoyait que la retraite, s'opérerait par les mêmes chemins que la conquête, et qu'une fois commencée, si l'ennemi n'était encore une fois refoulé, elle ne s'arrêterait ni à l'Elbe, ni au Rhin même; que s'il était réduit à repasser ce fleuve, l'Europe le repasserait sur ses pas; bref, que dans la défaite il faudrait toujours reculer, comme dans la victoire il avait fallu avancer toujours: Wagram se renversant sur Friedland, sur Iéna, sur Austerlitz, sur Hohenlinden, sur Marengo, sur Lodi, sur Fleurus, sur Jemmapes, sur Valmy... Il se représentait la fatale symétrie de la guerre, la bascule du Grand empire, l'invasion européenne refluant sur l'invasion de l'Europe par la France, et le Grand empire s'en allant par morceaux, rongé, miné par ce déluge, comme il s'était formé par couches, des alluvions de la marée montante.

Il arme donc à outrance. Il lui faut vaincre encore et, comme toujours, depuis la première sortie, en 1792, jouer le

THEBAULT, t. V, p. 8.

tout pour le tout. le tout. Il feignit de considérer la campagne de 1812 comme un accident rien qu'une armée à refaire et une revanche à prendre! Il sut se contenir devant la défection même. Le 10 janvier, il connut la capitulation d'York; soit que, sur les notions erronées de ses agents, il n'en découvrit pas du premier coup l'importance, soit qu'il lui convint, pour maintenir le plus longtemps la Prusse à sa discrétion, de paraître croire à la bonne foi de Frédéric-Guillaume et, pour ménager l'opinion, de ne point ébruiter ce détraquement de ses alliances, il prit acte de ce fait pour motiver ses demandes nouvelles de conscrits. « Ce qui suffisait hier, ne suffit plus aujourd'hui. L'insolence des vainqueurs de Louis XIV et la honte des traités de Louis XV semblent nous menacer encore » fait-il dire par Regnault au Sénat. « C'est du retour de ces temps ignominieux qu'il s'agit de préserver la France. » Il s'écrie : « J'armerai jusqu'aux femmes '!» Le sénatus-consulte du 11 janvier met 350,000 hommes à sa disposition, cohortes, libérés des classes précédentes, prélèvements sur la classe 1814. Grâce à la pusillanimité de la Prusse, à l'étreinte dont il l'étouffe encore, grâce aux lenteurs et aux calculs compliqués de Metternich, il espère arriver encore à temps, et, comme en 1805, comme en 1806, rompre la coalition dans ses membres : « Ce n'est pas une nation, disait-il des Prussiens, ils n'ont aucune fierté nationale; ce sont les Gascons de l'Allemagne. Les Prussiens sont des éventés. Nous les avons toujours méprisés. » Quand aux Allemands, qu'on ne s'étourdisse point de leur effervescence: « L'Allemand n'est pas assez meurtrier pour faire une révolution! »

Il fut bientôt renseigné sur l'Autriche, et son premier coup de sonde ne le trompa point. Le 2 février, il donna audience à Bubna. Ce général tâcha de lui insinuer, par les combinaisons les plus édulcorées de sa pharmacie diplomatique,

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Conversation avec Bubna; rapports de Bubna. ONCKEN. Napoléon les juge comme Stendhal : « Le véritable Allemand est un grand homme blond, d'une apparence indolente. » Sagan, juin 1813 : en pleine insurrection de la Silésie.

la retraite du corps auxiliaire et l'armistice de fait avec la Russie. Napoléon sentit l'amertume et le venin : « Monsieur, c'est une mauvaise pièce, elle est contraire au traité, c'est un premier pas vers la défection... Vous avez changé de système. Nous allons bouleverser le monde. L'espoir de la paix est perdu. J'ai accepté votre intervention pour la paix, mais un médiateur armé ne me convient pas. Il en arrivera que le vice-roi d'Italie sera obligé d'évacuer Varsovie, de quitter la Vistule, d'aller derrière l'Oder; cela fera une mauvaise sensation dans mon armée et en France. » Il se répandit alors en propos menaçants, incohérents : « Ce n'était pas de l'emportement, rapporte Bubna, c'était un homme frappé d'une idée tout à fait inattendue, dont il sait apprécier toute l'importance, et qui en est vivement préoccupé. » Toutes les

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nuances intermédiaires " de Metternich se déroulèrent devant ses yeux, et il perça le fond: la médiation armée! Toutefois, il se radoucit, se flattant toujours que victorieux des Russes, il contiendrait les Autrichiens et que l'esprit de famille, joint à une prudence naturelle, retiendrait ou retarderait François II le temps nécessaire pour le réduire à composition.

Les bulletins de police devenaient alarmants. Il se manifestait en Provence quelque agitation révolutionnaire; on dénonçait dans l'ouest des machinations royalistes; en Belgique, une vraie résistance à la conscription; en Hollande, des troubles, des paniques de mauvais augure. Les gendarmes s'épuisaient à la poursuite des conscrits; il fallait presque une armée pour en recruter une autre. Comme en ces temps de Louis XIV dont Napoléon évoquait le souvenir, comme en 1710, lors des désastres de la guerre de Succession, les bois se remplissaient de réfractaires. Ce n'était point le moment de crier à la trahison et d'étaler la nudité des alliances. Napoléon continua donc d'affecter la confiance en ses confédérés : « Je suis satisfait de la conduite de mes alliés; je n'en abandonnerai aucun; je maintiendrai l'intégrité de leurs États '. »

Discours au corps législatif, 14 février 1813.

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