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patrie! que tout Allemand encore digne de ce nom se joigne à nous avec promptitude et vigueur! que chacun, prince, noble ou placé dans les rangs des hommes du peuple, seconde de son bien et de son rang, de son corps et de sa vie, de cœur et d'esprit, les projets libérateurs de la Russie et de la Prusse!

La confédération du Rhin, cette chaine trompeuse à l'aide de laquelle l'esprit d'usurpation garrota de nouveau l'Allemagne disloquée, ne peut plus être soufferte. S. M. l'empereur de Russie annonce par là les rapports qu'elle veut avoir avec l'Allemagne régénérée et sa constitution. Plus les bases et les principes de cet ouvrage seront modelés d'après l'antique esprit du peuple allemand, plus l'Allemagne, rajeunie, vigoureuse, unie, pourra reparaître avec avantage parmi les nations de l'Europe.

Jamais pareil langage n'avait été tenu par des rois. Jamais de telles paroles n'avaient été lancées aux peuples avant la révolution française, et, depuis cette révolution, jamais appel à l'indépendance n'avait eu ce retentissement dans les âmes populaires. La France, en 1792, avait prêché la guerre et la révolution cosmopolite; la Russie, en 1813, déchaînait la guerre de nationalité. La proclamation de Koutousof devait produire en Allemagne et en Italie, où elle eut son écho, des effets infiniment plus puissants que le décret du 19 novembre 1792 n'en avait pu produire. La déception qui suivit, après 1815, les sacrifices des peuples et le triomphe des rois, ne fut ni moins profonde ni moins douloureuse que celle des peuples envahis et insurgés après la première sortie de la République en 1792, et l'installation de la république dans les pays" affranchis ».

Le manifeste ne parlait d'ailleurs ni de la Pologne, qui avait cessé d'exister par le fait même des libérateurs; ni de la Hollande, par considération envers les Anglais qui lui destinaient un roi; ni de l'Italie, afin de ménager les convenances de l'Autriche. Il se terminait par cette déclaration destinée à séduire les Français, tout au moins à les désarmer, les incitant à séparer leur cause de celle de Napoléon :

Que la France, belle et forte par elle-même, s'occupe à l'avenir de sa prospérité intérieure. Aucune puissance étrangère ne la troublera,

aucune entreprise hostile ne sera dirigée contre ses limites légitimes... Que la France sache que les autres puissances... ne déposeront les armes que lorsque les bases de l'indépendance de tous les peuples de l'Europe seront établies et assurées.

Le texte ne dit point limites naturelles, ce qui, malgré l'équivoque sur le cours du Rhin et sur l'Escaut, eût été trop précis et compromettant, avant que l'on fût convenu de rien. Limites légitimes réservait tous les combinaisons et arrière-pensées, avant tout celle des limites de 1792, légitimes autant que limites pouvaient l'être, puisqu'elles étaient celles de la monarchie légitime, antérieures à cette révolution dont on prétendait anéantir les effets et abolir la mémoire. Limites légitimes, est-ce donc aux yeux des alliés celles de 1795, déclarées constitutionnelles par la Convention, ou celles de 1801, déclarées constitutionnelles par l'empereur en 1804? Attribuent-ils au traité de Lunéville un caractère unique d'imprescriptibilité, alors que tant d'autres traités conclus avant ou après celui-là, et déclarés également éternels, tombent, répudiés, déchirés, abrogés par eux? Aux Français de s'en flatter, s'ils le veulent, et selon la vanité de leurs illusions. Le point est de les persuader que la guerre implacable ne poursuit que Napoléon; que le Grand empire et sa suprématie se trouvent seuls en jeu que la France, pourvu qu'elle laisse raser l'édifice et passer la justice des alliés, se retrouvera chez soi, heureuse et pacifiée. On pourrait s'étonner que des calculs aussi profonds et aussi lointains se découvrissent dans une proclamation qui semble improvisée d'enthousiasme, aux fanfares des trompettes, et signée sur un tambour, par un général d'armée qui ne raffine point sur les mots. Ce serait étrangement se méprendre. Tous les mots sont percés, creusés, pour ainsi dire évidés comme la fausse monnaie. Cet artifice a été conçu en 1805 et minutieusement élaboré depuis lors. Rien de mieux enchaîné que les articles d'avril 1805 et le manifeste de Koutousof. Rien de plus significatif que de com

et

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1 Voir t. VI, p. 415, conditions ostensibles et préliminaires; p. 418, conditions secrètes à découvrir au cours de la guerre et des négociations.

parer ensemble les deux seuls textes officiels et publics que nous possédions sur les intentions des alliés en 1813, le texte initial, celui du 26 mars à Kalisch, et le texte final, celui du 1er décembre à Francfort, l'un qui précéda le congrès de Prague, et l'autre qui précéda le congrès de Châtillon '. La proclamation de Koutousof porte :

La France belle et forte par elle-même... Aucune entreprise hostile ne sera dirigée contre ses limites légitimes.

La déclaration de Francfort:

Les souverains alliés désirent que la France soit grande, forte et prospère... Les puissances confirment à l'empire français une étendue de territoire que n'a jamais connue la France sous un roi.

Rien des limites naturelles; elles s'insinueront dans les propos, mais ne se définiront jamais et s'écriront encore moins dans les manifestes. Le secret des négociations de 1813 réside tout entier dans cette équivoque.

La guerre à peine déclarée, les nouveaux libérateurs de l'Europe montrèrent au monde comment ils traitaient les rois quand les rois tenaient leur parole et que cette parole avait été donnée à la France. Le roi de Saxe fut proposé en exemple à la défection générale des confédérés. Blücher, renouvelant les procédés de Frédéric et retrouvant les chemins de la guerre de Sept Ans, entra en Saxe le 26 mars; il appela aussitôt le peuple à l'insurrection : « Debout! unissez-vous à nous; votre souverain est dans les mains de l'étranger, il n'a plus sa liberté d'action. » Le 9 avril, Stein s'installa comme président du comité d'administration centrale. Le singulier de l'affaire est que, dans ce moment même, Frédéric-Auguste s'échappait de l'alliance française et négociait, sous main, une défection déguisée sous l'étiquette de la neutralité et le manteau de l'intervention autrichienne 2.

Cependant Alexandre pressait les Autrichiens 3. « Au reste,

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disait-il à Lebzeltern, les alliés se réservant d'agir sur le nord de l'Allemagne, abandonnent à l'Autriche toutes les cours du midi. " " L'empereur laisse carte blanche à l'empereur d'Autriche », écrit Lebzeltern. Rien de mieux fait pour rassurer Metternich. Mais il se réservait, par des moyens plus compliqués, un rôle plus important. Si Alexandre prétendait s'ériger en dictateur de la paix, Metternich se flattait d'en devenir au moins le chancelier. Il ambitionnait pour son maître l'arbitrage suprême que s'arrogeait d'avance la Russie. Il continua donc, imperturbablement, ses cheminements. Le 23 mars, il écrivit à Lebzeltern, proposant un arrangement qui permettrait de se débarrasser du corps polonais de Poniatowski, réfugié à Cracovie, fort embarrassant pour l'Autriche et qui ne laissait point aussi, malgré sa faiblesse, de gêner les Russes. « La marche des derniers événements, écrit Metternich, nous met dans la pénible position de devoir permettre aux Polonais de se placer dans notre rayon d'armistice'. » Mais « désirant donner aux cours de Prusse et de Russie des preuves de son entière confiance, » l'empereur a résolu de prendre un parti décisif « en faveur de l'éloignement des Polonais ». Et voici par quelle voie insidieuse il va les faire sortir du rayon d'armistice. La convention secrète du 30 janvier les couvre 2; on conviendra, par une convention secrétissime et temporaire, de suspendre l'armistice. Les Russes le dénonceront « par l'impossibilité où se trouvent les alliés de laisser dans leur flanc et dans leur dos un foyer de mouvements et d'insurrection tel que l'offre l'armée polonaise. L'armistice dénoncé, « nous déclarerons aux autorités polonaises, civiles et militaires, que nous ne saurions plus les couvrir par notre ligne, que, par conséquent, elles ont le choix de se dissoudre si elles veulent rester dans le duché, ou bien de traverser les États autrichiens pour aller gagner tel point de l'Allemagne qu'elles voudront choisir. » Aux Russes, s'ils savent s'y prendre, de débaucher ou d'embaucher ces Polonais. Le tour joué, ONCKEN, O. und Pr., t. 11, 201-204.

2 Voir ci-dessus, p. 50.

l'armistice est rétabli et chacun rentrera dans ses positions, l'Autriche tirant son corps auxiliaire de l'alliance française et les Russes s'établissant tranquillement dans le duché de Varsovie. Metternich ajoute : « Vous pouvez confier sous le sceau du secret à Leurs Majestés Impériales que nous ferons filer surle-champ le corps d'armée qui quitte la rive gauche de la Vistule en Bohême, où il se joindra à l'armée qui se forme dans ce royaume. La convention fut signée à Kalisch, le 29 mars, par Lebzeltern et Nesselrode. L'Autriche, encore que sous le masque, avait fait acte de coalisée. Elle se rapprochait en rampant, mais elle se rapprochait, et par ses mouvements combinés et par ses intentions annoncées.

Ainsi les fondements de la coalition étaient posés, les pierres d'attache en place. L'alliance fondamentale, celle de la Prusse et de la Russie, faillit être arrêtée par les mêmes obstacles qui de 1792 à 1795 retardèrent, empêchèrent et finalement rompirent la première coalition, les convoitises rivales des alliés sur la Pologne'. Mais il n'en fut rien. L'alliance de Kalisch résista à tous les assauts, et aux plus redoutables, ceux des diplomates de Russie et de Prusse, toujours méfiants, toujours jaloux les uns des autres. Ce n'est pas seulement l'amitié des souverains qui opéra ce changement. Les souverains s'aimaient, mais cet attachement n'avait point empêché Alexandre, en 1805, de méditer le démembrement de la Prusse, et Frédéric-Guillaume, en 1805, en 1806 et en 1812, de s'allier avec Napoléon contre Alexandre. Il survint donc quelque chose de plus, qui força la main aux princes et aux diplomates, fit l'amitié des princes inaltérable et l'alliance indissoluble. Cet agent nouveau, c'est celui qui, dès lors, et pour deux années, va s'emparer de l'histoire, le grand inconnu, le dieu mystérieux, la destinée en marche : ce sont les nations européennes, la nation russe la première, puis la nation allemande, qui poussent et meuvent tout. C'est en se jetant dans ce courant, et s'en laissant porter qu'Alexandre arrive

1 Voir t. III; pp. 54, 83, 93, 190, 313.

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