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ont le droit de disposer d'eux-mêmes et que nul changement dans leur destinée nationale m'est légitime s'il n'est ratifié par leur suffrage direct, universel et libre. Elle a proclamé ce principe et l'a appliqué lors de la première réunion opérée par la Convention en 1792, celle de la Savoie, et plus d'un demisiècle après elle l'a invoqué et consacré lors de la dernière réunion qu'elle ait opérée en Europe, celle de cette même Savoie, par Napoléon III, en 1860. Elle eût été en droit de réclamer, elle demeurera toujours en droit d'espérer de la justice des hommes, l'application du même principe, le sien, aux populations que la guerre, en 1870, a violemment séparées de son corps.

que

Certes, au cours de sa lutte avec l'Europe, elle a fait trop de fois bon marché de ce principe; victorieuse des monarchies anciennes, elle a transigé et pactisé avec elles, selon leurs usages et leurs convenances. Elle est entrée dans leur droit public et elle y a sacrifié le sien. Victorieuses à leur tour, ces monarchies n'ont point modifié leur coutume, et c'est ainsi la conquête a gouverné l'Europe de 1793 à 1815. Les nations qui luttèrent avec le plus d'énergie pour leur indépendance, cette indépendance conquise, l'ont prétendu tourner à la suprématie. Suivant leurs traditions, elles ont usé de la « science moderne » comme la Révolution française de la raison pure: la diplomatique, l'archéologie, la philologie, l'ethnographie, la paléographie, l'anthropologie, l'origine et l'évolution des mots, la mesure, la contenance et les difformités des crânes ont servi de prétexte à classer, partager et asservir les hommes. On a imaginé des « missions » missions historiques qui ne sont pas autre chose qu'une application, fort grossière, à la politique, de l'hypothèse des causes finales. La lutte pour l'indépendance de chacun a dégénéré en une lutte de tous contre tous pour la terre et la puissance. A peine délivrés de Napoléon, les Allemands ont rêvé de Barberousse et d'Othon, maîtres des Italies, des Lotharingies, des Bourgognes et des Flandres. Après le risorgimento, en Italie, surgit, et sans transition, le primato. Ce qu'on nomme l'« impérialisme» naît, d'une géné

ration nécessaire, partout où fermente, avec le sentiment de la souveraineté, l'orgueil populaire. Il est fils de la démocratie en Angleterre, comme il l'est aux États-Unis et comme

il l'a été à Rome.

Ainsi, les idées, les passions, les forces que la Révolution française a jetées dans le monde lui survivent, subsistent et se transforment suivant le génie et les traditions des peuples. Un si formidable débordement d'hommes et de pensées a imprimé au monde des impulsions irrésistibles, déchaîné des courants, creusé dans le sol de nouveaux lits aux grandes eaux. Pendant vingt-trois années les souverains de l'ancienne Europe ont lutte contre ce déluge et tâché de le refouler. Ils ont échoué. Les plus ambitieux et les plus intelligents d'entre eux ont alors essayé d'en exploiter la puissance. Ainsi se sont formées les nouvelles dominations nationales, l'Italie et l'Allemagne.

Les princes qui ont accompli, à leur profit, ces grands changements ont conçu la révolution européenne et les nationalités, comme Napoléon avait conçu la Révolution française et la souveraineté du peuple. Ils ont construit leurs monarchies avec les matériaux et sur les boulevards démantelés du Grand empire. Tous leurs desseins sortent des méditations de Sainte-Hélène, comme d'un Discours de la méthode, d'où se déduisent, durant des années, toutes les théories des philosophes et toutes les hypothèses des savants.

Napoléon reste ainsi dans les conséquences de cette histoire ce qu'il a été dans les crises, l'exécuteur et l'ordonnateur de la Révolution française en Europe. Il a posé les jalons, ouvert les avenues, dressé les fondations, aplani le sol; les nationalités ont prévalu en Italie, en Allemagne, et plus tard dans les pays chrétiens de l'Orient, selon des directions qu'il leur avait disposées. Napoléon tombé parut immense '; le conquérant et le despote disparus, on découvrit le prodigieux laboureur de la terre d'Europe, l'œuvre de l'homme d'État

1 « La solitude dans laquelle Bonaparte a laissé le monde » ... CHATEAUBRIAND, Mémoires, novembre 1828.

et ses retentissements infinis dans l'histoire. « L'auréole que les journalistes, les historiens et les poètes ont répandue autour de Napoléon disparait devant l'implacable réalité de ce livre, disait Goethe, en 1827, après la lecture d'un recueil de mémoires; « mais le héros n'en est pas diminué, au contraire; il grandit à mesure qu'il devient plus vrai 1. »

Je souhaiterais que cet ouvrage laissât la même impression non seulement du grand homme qui y occupe tant de place, mais encore et surtout de la nation française qui le remplit et qui en est l'âme. Napoléon a engendré d'elle une incomparable épopée, mais sans elle il n'eût été qu'une force magnifique et stérile, comme l'éclair dans la montagne et l'ouragan sur les mers. Je voudrais, après avoir repris une dernière fois et noué en leur dernier noeud les fils directeurs de cette histoire, rassembler en une seule image les vues éparses que j'y ai semées et imprimer cette image, qui est toute la lumière et toute la vie de ce livre, aussi durable et significative en la mémoire du lecteur qu'elle l'est dans ma pensée. C'est l'image du Français, notre père, pauvre diable glorieux et généreux de son âme et de sa personne, meurtri en son corps, infirme, estropié, semant sur les chemins les lambeaux de ses membres rompus; volontaire pour défendre la patrie, « bouter les étrangers hors du royaume », fonder pour les Français, la République française, porter aux peuples affamés de justice l'évangile nouveau; puis soldat, de vocation ou de carrière, armé pour la splendeur de cette République, la splendeur de l'empire enfanté par elle, la suprématie bienfaisante de la France; s'exposant, s'exténuant, se sacrifiant de sang et de souffle à poursuivre la chimère ancestrale, l'idole humaine d'esprit et de chair, la liberté enchanteresse, la paix qui panse les plaies des blessés, étanche la soif des fiévreux, console les infirmes, épanouit autour d'eux les enfants et les fleurs, mùrit les récoltes et les générations, consacre par son bienfait les héros anonymes qui l'ont conquise. Aucun d'eux n'eût osé

1 Conversation avec Eckermann.

:

dire Je suis la France! mais de tous nous disons: Sans eux la France n'eût pas été ce qu'elle fut. C'est vers eux que je me reporte au moment de fermer ce livre, compagnon de ma jeunesse, ami de mon âge mûr, où j'ai mis trente années de mon existence, et tâché de traduire en paroles mon amour pour mon pays, mon admiration pour son génie, mon culte pour son histoire, ma tendresse pour ses illusions, ma pitié pour ses infortunes, ma fierté de ses triomphes et ma foi inébranlable dans ses destinées.

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TABLE DES MATIÈRES

LIVRE PREMIER

LA COALITION

CHAPITRE PREMIER

DÉFECTION DE LA PRUSSE ET DE L'AUTRICHE.

NOVEMBRE 1812-AVRIL 1813.

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