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par les bureaux... Je viendrai les prendre avant neuf heures. Faites vos réflexions. Je ne puis pas signer de telles conventions. Il n'y a ni France ni roi avec cela. » Talleyrand pensait de même et le déclara bien haut. Il fit composer par La Besnardière une réponse à la note des alliés : elle est datée du 21 septembre. C'est un mémoire de publiciste, une dissertation académique sur le droit de conquête '. Les alliés reconnurent le style et l'esprit des notes de Caulaincourt au congrès de Châtillon, des notes de Talleyrand sur la Saxe au congrès de Vienne, et renvoyèrent la pièce aux mêmes archives. On y parlait avec rhétorique de « l'esprit de conquête soufflé par l'usurpation ». Un allemand, Gagern, fit observer, avec ironie : 66 Quand M. le prince de Talleyrand ou mon honorable ami M. le chevalier de la Besnardière me diront qu'ils détestent l'esprit de conquête, je les en crois. Je leur rends volontiers cet hommage personnel. J'étais témoin de ce noble sentiment dans les époques calamiteuses. Mais s'ils parlent au nom de la France, nous ne pouvons nous empêcher de voir, dans cette horreur du fruit défendu l'application d'une fable de Gellert et de La Fontaine... » Toutefois Talleyrand admettait la discussion, il admettait des cessions « sur ce qui n'était pas le territoire de l'ancienne France », c'est-à-dire la Savoie, et peut-être Landau.

Mais les alliés semblaient au terme de leurs concessions. Les Anglais avaient eu trop de peine à y conduire leur propre gouvernement; les Prussiens s'y étaient pliés avec trop d'humeur pour qu'on s'exposât à recommencer le débat. Alexandre seul, qui, dès le début, s'était prononcé contre toute cession territoriale, consentirait peut-être quelque amendement; y déciderait-il ses alliés ? Pour le tenter, il fallait au moins qu'il y trouvât un sérieux intérêt de politique ou quelque beau motif de désintéressement. Il ne se découvrait aucun intérêt à se montrer magnanime par le canal de Talleyrand, et, pour que Louis XVIII obtînt un nouveau témoignage d'amitié de la

1 ANGEBERG.

Russie, il lui devait apporter quelque gage de la sincérité et de la durée de sa gratitude.

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Louis XVIII vit Alexandre le 22 septembre, et il n'en obtint à peu près rien des paroles, « des opinions peu différentes des termes de la transaction ". Louis XVIII ne sut ou ne voulut point trouver ce qu'il aurait dû dire à Alexandre pour le gagner. Alexandre jugea sans doute que c'eût été pousser trop loin la condescendance que de l'insinuer lui-même. C'est alors qu'intervint Pozzo. Ce Corse très délié avait su plaire à Louis XVIII, qui pensait même à se l'attacher comme ministre de l'intérieur. Il désirait l'alliance; il savait parfaitement quel prix Alexandre mettrait à son intervention. Il le dit, et sut le faire admettre à Louis XVIII. Il lui fit sans doute entendre qu'Alexandre avait, à Paris et à Vienne, éprouvé de trop pénibles déceptions pour en affronter de nouvelles; il rejeta sur Talleyrand l'erreur du traité du 3 janvier; il parla de ce traité comme si le roi ne l'avait ni approuvé ni même connu; mais il insinua qu'Alexandre, pour intervenir auprès de ses alliés, avait besoin d'un gage des intentions du roi, et c'est ainsi que fut imaginé l'expédient d'une lettre du roi à l'empereur. Cette lettre était destinée à demeurer dans les archives russes, comme une lettre de change en forme royale, un témoignage authentique des sollicitations du roi de France et des obligations contractées par lui envers la Russie. Pozzo prépara la minute, Louis XVIII en rédigea, vraisemblablement, les passages relatifs à sa personne. Il n'était point paresseux à écrire; il écrivait en une forme élégante, et quand il s'agissait de son honneur et de l'intégrité de la vieille France, d'un grand style:

C'est dans l'amertume de mon cœur que j'ai recours à Votre Majesté... Je sentais la nécessité de renoncer à cet excédent de territoire qu'avait dévolu à la France le traité de Paris... Mais aurai-je pu présumer qu'au lieu de ces conditions, déjà assez onéreuses, il m'en serait proposé d'autres qui allient la ruine au déshonneur? Non,

1 Louis XVIII à Alexandre, 23 septembre 1815. Corr. de Pozzo, I, p. 209. 2 Rapport de Pozzo à Alexandre.

Sire, je ne saurais encore me persuader que votre opinion soit irrévocable. La confiance que m'inspire votre âme grande et généreuse se refuse encore à la triste réalité.

Mais s'il en était autrement; si j'avais le malheur de m'abuser; s la France n'avait plus à espérer la révocation de l'arrêt qui a pour but de la dégrader; si Votre Majesté demeurait inflexible, et qu'elle ne voulût point employer auprès de ses augustes alliés l'ascendant que lui donnent ses vertus, l'amitié et une gloire commune, alors, je n'hésite plus à vous l'avouer, Sire, je refuserais d'être l'instrument de la perte de mon peuple et je descendrais du trône plutôt que de condescendre à ternir son antique splendeur par un abaissement sans exemple.

Votre Majesté retonnaîtra sans doute dans la sincérité de cet aveu, qui se fonde sur une résolution inébranlable, toute l'étendue de ma douleur, ainsi que la courtoisie des sentiments avec lesquels je suis...

Ces expressions semblent assez disproportionnées si l'on ne songe qu'à l'étendue des territoires qu'il s'agissait de sauver. Qu'entend dire le roi quand il parle des conditions « qui allient la ruine au déshonneur? Pour la ruine, c'est l'excès de la contribution (800 millions) et la durée de l'occupation militaire par 150,000 hommes, pendant sept ans, aux frais de la France. Pour le déshonneur, c'est la cession de Condé, Givet, Charlemont, Philippeville, Marienbourg, Sarrelouis, Landau, les forts de Joux et de l'Écluse, le démantèlement d'Huningue. Bicoques, dira-t-on; convenait-il d'en taxer l'abandon de honteux, alors qu'un an auparavant on ne s'était point trouvé déshonoré pour renoncer au royaume d'Italie, à la rive gauche du Rhin tout entière et à la Hollande? Mais les territoires abandonnés en 1814 étaient des conquêtes de la Révolution; conquêtes viciées aux yeux de Louis XVIII. En y renonçant, ce roi restituait, il ne cédait pas. Les territoires réclamés par l'ultimatum du 20 septembre avaient appartenu à l'ancienne France, ils venaient de Louis XIV; en livrer une parcelle, c'était, pour Louis XVIII, aliéner un héritage sacré et capituler sur son « principe » presque aussi grièvement que s'il eût accepté le plébiscite. Ainsi s'explique la solennité des expressions de la lettre.

Louis la signa le 23 septembre. Il fit plus. Il décida de congédier Talleyrand et d'appeler à la présidence du conseil, avec le portefeuille des affaires étrangères, un homme dont l'entrée au ministère serait pour Alexandre la garantie vivante de la sincérité du roi. Cet homme d'État, qui passait pour « bon Russe », était, du même coup, le meilleur Français du monde, le plus éclairé des royalistes et le plus apte non seulement à remettre la France sur pied en Europe, mais à remettre la monarchie sur pied en France, à faire de Louis XVIII, en Europe, autre chose que le lieutenant général de la coalition, un vrai roi de France, et, en France; autre chose que le roi de l'émigration, le roi de tous les Français. Absent de France depuis 1790, le duc de Richelieu n'avait pas émigré : il avait pris, en règle et en forme, du service en Russie, et par tempérament, par éducation publique, par le cœur aussi il était le moins « émigré des hommes. Il savait les affaires, et il avait fait ses preuves d'administrateur dans son gouvernement d'Odessa. Enfin, il n'avait point pris part aux guerres de la coalition. Il ne rentrait pas en France en vainqueur. Homme de l'ancienne France, capable de comprendre et d'aimer la nouvelle, Richelieu possédait, au plus haut degré, des qualités qui manquaient à Talleyrand et que rien, dans la crise des affaires, ne pouvait suppléer la dignité, la pureté de la vie, la noblesse du caractère, la sincérité qui commande la confiance et attire la sympathie de la tête aux pieds, un parfait gentilhomme au service de l'État '.

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Toutefois il hésita, connaissant les dissentiments de la famille royale et se méfiant des embûches des ultras. Ce fut le tsar qui le décida, et les paroles qu'il lui adressa, le 24 septembre, éclairent toute cette histoire. « Des intrigants de la pire espèce, lui dit-il (Talleyrand), ont failli nous brouiller, le roi et moi, par des démarches injustifiables, nuisibles aux véritables intérêts de la France (entendez le traité du 3 janvier). Je ne puis avoir confiance en eux; vous seul m'en offrez assez pour Correspondance de Richelieu : Société d'his

1 ROCHECHOUart. · BARANTE. toire de Russie.

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oublier cet acte d'ingratitude; je vous délie de tous vos engagements envers moi, à la condition que vous servirez votre roi comme vous m'avez servi. Soyez le lien de l'alliance sincère entre les deux pays, je l'exige au nom du salut de la France. Richelieu se mit à la disposition de Louis XVIII. Talleyrand, cependant, sans réponse des alliés, demanda au roi d'intervenir personnellement près d'eux. Louis XVIII lui répondit, avec la plus cruelle, mais la plus constitutionnelle ironie: « C'est au cabinet de se tirer d'affaire. » Talleyrand comprit et donna sa démission. Puis il la présenta au public comme un acte de patriotisme. Pourquoi ne voulez-vous pas être ministre de l'Europe avec nous?» lui demandait Castlereagh. « Parce que, aurait-il répliqué, je ne veux être que le ministre de la France, et vous le voyez par la manière dont j'ai répondu à votre note. » Le roi accepta la démission de l'air d'un homme fort soulagé « Ma retraite fut aussi un soulagement pour l'empereur de Russie. Il lui fallait une dupe, et je ne pouvais l'être 2. » Quinze ans après, il écrivait de Londres, où, représentant de LouisPhilippe d'Orléans, il venait de faire déclarer la neutralité de la Belgique « Les conditions humiliantes proposées en 1815 décidèrent alors ma retraite 2.

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Le 26 septembre, le ministère fut constitué. Deux jours après, cent millions furent retranchés de la contribution de guerre et le démembrement de la frontière réduit, outre la Savoie, aux places de Philippeville, Marienbourg, Sarrelouis, Landau. La France sauva Condé, Givet, Charlemont, Joux, Fort de l'Écluse. Ce fut le don de joyeux avènement de Richelieu. Alexandre déclara qu'il n'irait pas plus loin, et les représentants de Louis XVIII eurent beau se débattre, il n'obtinrent rien de plus 3. Comme Richelieu insistait près du tsar, ce prince lui montra une carte où était dessinée la ligne

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Mémoires, t. II, p. 141, 298. Valençay, 1816.

* Au général Sebastiani, 21 janvier 1831.

1815.

Instruction à Pozzo, 20 septembre 1815.

Protocole secret du 2 octobre

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