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protestèrent aussitôt contre l'usurpation des grands, soit : point de Lorraine à l'Autriche, et l'Alsace à la Prusse; mais où compenser aux Autrichiens cet accroissement de la Prusse? C'était, dans tout son marécage, le gâchis historique de la curée d'Allemagne, après les chasses du Saint-Empire. Laissant hurler la meute, les grands se retirèrent dans la salle d'honneur, où leur repas était servi.

Wellington avait pris l'initiative des explications, avec Pozzo, le 1o août 1. « Il m'a paru convaincu, écrit Pozzo, qu'à moins que les deux cabinets russe et anglais ne s'entendissent, on ne parviendra jamais à une conclusion. » Il connaît les hésitations du prince de Metternich et la répugnance de ce ministre contre tout parti net et définitif; il est alarmé de la témérité des Prussiens. Ils s'accordèrent, en principe, sur une occupation temporaire par une armée dont « Wellington prendrait volontiers le commandement ». « Ce projet, suivant Pozzo, donne à lord Wellington la garde des intérêts de l'Europe envers la France; mais il est, en effet, le seul homme qui puisse s'en charger avec plus de probabilités de succès et moins d'inconvénients. » Metternich fut le premier à lâcher la partie des Allemands, et sa défection, fort politique, fort calculée, entraîna la banqueroute de la Prusse, qui se trouva seule avec sa clientèle d'affamés. Si Metternich avait conservé quelque regret de sa popularité compromise en Allemagne, il s'en serait consolé par le spectacle assez piteux de la retraite à laquelle se virent condamnés Hardenberg et Humboldt et, derrière eux, toute la « clique » des petits diplomates de principicules, tout le clan détesté des jacobins, des révolutionnaires, des patriotes, des partisans de la grande Allemagne nationale et unie, Stein, Gneisenau, Arndt, les pires ennemis désormais de l'Autriche et ceux que la paix allait précisément donner à Metternich les moyens de réduire à l'inaction et au silence.

Les choses ainsi disposées et jugeant qu'il convenait d'en

1 Note de Pozzo, 2 août 1815.

:

finir, Castlereagh adressa, le 2 septembre, à ses collègues, un mémoire qui était le véritable ultimatum de l'Angleterre à la France, voire aux alliés '. La Russie y adhéra le 7 septembre. L'Autriche s'y laissa ramener. Avec la Prusse, Alexandre recourut aux grands moyens, ceux de Kalisch, de Langres, de Vienne il eut une entrevue avec Frédéric-Guillaume. Hardenberg se débattit, rédigea des notes désespérées, puis il capitula. Le 12 septembre, l'accord était rétabli entre les quatre : ils avaient adopté le projet anglais. Restait la question des objets d'art. La restitution et l'enlèvement furent décidés. Alexandre s'en désintéressait. Les Anglais y trouvèrent un moyen de donner, en vexant les Français, satisfaction aux rancunes et au puritanisme britanniques. L'opinion en France sut gré à l'empereur de Russie de son abstention; quant aux Anglais, qui mirent leur morgue à dissimuler leurs concessions sur les articles essentiels, on ne connut d'eux que leurs exigences sur cet article là, et on ne le leur pardonna point. « Les murmures sont grands, écrivait Gagern, et surtout dirigés contre le duc de Wellington. Lord Castlereagh m'assurait hier en riant « Nous sommes pires et plus en horreur que « les Prussiens! »

Le 20 septembre, les quatre remirent à Talleyrand leur ultimatum; il emportait :

I' Cession d'un territoire égal aux deux tiers de ce qui avait été ajouté à l'ancienne France par le traité du 30 mai 1814, ce qui entraînait la perte de la Savoie et des places de Condé, Philippeville, Marienbourg, Givet, Sarrelouis, Charlemont, Landau, Fort-Joux, Fort de l'Ecluse;

2o Le démantèlement d'Huningue;

3o Le payement de 600 millions à titre d'indemnité de guerre et de 200 millions pour la construction de forteresses dans les pays limitrophes de la France, notamment la barrière des Pays-Bas;

4° L'occupation pendant sept ans d'une ligne de territoire et de places fortes le long des frontières du nord et de l'est.

- Traité du 20 novembre, p. 119 et suiv.

1 SCHAUMANN, pièces no XII. Note de Castlereagh à ses collègues, 11 septembre; note de Talleyrand, 19 septembre; de Wellington, 23 septembre 1815 et protocoles de la Conférence.

ANGEBERG.

La Savoie n'avait point fait partie de l'ancienne France; mais les autres places exigées par les alliés Y avaient appartenu : Condé et Charlemont, par le traité de 1679, l'Écluse en 1602, Marienbourg et Philippeville en 1659, Landau en 1680 et 1714; Sarrelouis avait été fortifié par Vauban en

1680.

III

Jusqu'à ce jour, le gouvernement français ne savait rien du sort que lui réservaient les alliés. Toute la diplomatie de Talleyrand s'était usée à batailler sur l'article des objets d'art. Il avait essuyé des refus hautains et subi les injonctions impérieuses de la Conférence. Le roi, Paris, la France entière, attendaient avec une anxiété qui montait à l'angoisse. Le roi n'entretenait avec les souverains que des relations officielles 1. Tout le train de galas, de dîners, de spectacles de 1814 s'était restreint aux politesses et aux gestes du cérémonial. Les alliés se renfermaient entre eux, faisant le vide autour des Tuileries et des Affaires étrangères. Talleyrand, depuis le retour de Napoléon, avait perdu tout prestige et tout crédit. Louis XVIII, qui ne l'aimait point et, malgré tout l'esprit de ses lettres de Vienne, le goûtait peu, ne lui pardonnait point de s'être imposé en 1814, à Paris, à Gand; froissé, au fond, de la quasi-tutelle d'un personnage qui, malgré toute sa déférence apparente, relevait les prétentions d'un feudataire de Hugues Capet par l'orgueil d'un feudataire de Napoléon; trop vieille noblesse, noblesse trop récente, l'une et l'autre également désagréables au roi. Enfin il lui tenait une rancune particulière d'avoir introduit Fouché dans le conseil. Talleyrand importunait le roi, Fouché le révoltait, et davantage à mesure que

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l'un et l'autre paraissaient moins utiles, Fouché surtout. Louis n'avait point encore avalé l'amertume de ce choix forcé. Ce fut pour ce fin et patient politique un divertissement à son inaction contrainte, une revanche contre ses proches, la coterie d'Artois, Angoulême et Berry, d'user entre ses mains molles et grasses, de réduire à l'état de fantoche révolutionnaire, cet homme autrefois si redoutable, imposé comme nécessaire et devenu si vite encombrant.

L'engouement du faubourg Saint-Germain pour Fouché passa avec la peur. Ainsi Tallien et ses associés après le 9 thermidor. Une fois au conseil et dans le gouvernement normal, Fouché n'y fut plus rien '. Les salons qui l'avaient évoqué comme un sauveur se rappelèrent que ce sauveur avait été régicide et terroriste, et réclamèrent son exclusion. Louis XVIII le nomma, le 14 septembre, ministre à Dresde, où il devait bientôt passer du personnage de résident à celui de proscrit.

C'était un avertissement pour Talleyrand, encore que n'ayant point voté en janvier 1793, ni commandé d'exécution, ni fait métier de pourvoyeur de la guillotine, il n'eût à redouter, en fait d'exil, que les oisivetés de la pairie. Réduit à l'inertie, car les alliés n'entendaient à aucune réclamation et ne révélaient aucun dessein, il affectait la désinvolture, la dissipation. On ne parlait que de ses amours d'automne avec la duchesse de Dino, et de la mélancolie où le plongeait le départ pour Vienne de cette enchanteresse. Talleyrand, sans aucun doute, en était affecté, étant pris des sens, de l'esprit, du cœur peut-être, autant qu'il en était susceptible, et, à son âge, ces prises sont tyranniques; mais il ne lui déplaisait point qu'on le dit : c'était une attitude, et galante, de grand seigneur, tandis que la disgrace emporterait un de ces affronts dont on ne se relève pas facilement. Cependant elle venait, et il la sentait venir, et du côté précisément d'où était venue la faveur en 1814 : la Russie.

1 PASQUIER. MADELIN, ch. XXVII.

Le roi était antipathique au tsar, le ministre lui était odieux et suspect. Talleyrand avait, à Paris, en 1814, tout laissé espérer à Alexandre, qui le croyait à sa discrétion. A Vienne, il se montra l'adversaire constant des desseins du tsar. Les Français de l'entourage d'Alexandre attribuaient au seul Talleyrand toute la machination du traité de janvier. Ils assuraient que Louis XVIII n'en avait rien su. Alexandre, méfiant à l'égard du roi, refusait de négocier avec le ministre. Il fit même travailler contre lui par ses agents, Nesselrode et Pozzo. Louis XVIII n'avait aucun goût à recevoir un ministre des affaires étrangères des mains d'Alexandre; la nécessité l'y contraignit. Son humeur contre Talleyrand y trouva un prétexte de se satisfaire; il sut l'amener, et en forme assez sèche, à la démission. Le 20 septembre, averti que les alliés se disaient en mesure, il désigna Talleyrand, Dalberg et le baron Louis « pour conférer relativement à l'arrangement définitif qui doit être fait avec les puissances réunies à Paris".

Talleyrand, de son côté, ne laissait point de percer le jeu, et se voyant menacé, il combina sa sortie, en songeant à une rentrée future. Il en usa avec le roi ainsi que jadis avec l'empereur. Comme il avait su rejeter sur Napoléon l'impopularité des conquêtes, il s'efforça de rejeter sur Louis XVIII et sur le successeur que ce roi lui donnerait l'impopularité des concessions. Il trouva dans les exigences des alliés le plus honorable des motifs de démission, et il s'arrangea une fois de plus de façon à se faire honneur de la nécessité. Dans la même journée où ils l'avaient adopté, le 20 septembre, les alliés communiquèrent à Talleyrand leur ultimatum. On trouve aux affaires étrangères cette note: « Voici les propositions des alliés. Le roi doit les entendre ce soir à neuf heures. Il en faut deux copies. M. de Talleyrand vous prie de les faire faire

1 PASQUIER. Pozzo lettres d'août et septembre 1815.

L'ordre signé Louis est de la main de Talleyrand.

* Billet à La Besnardière, sans signature; l'archiviste qui a classé les papiers l'attribue à Dalberg.

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