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la France leur pourrait être nécessaire un jour. Pour des raisons opposées, ils conclurent, comme Alexandre, à fortifier le gouvernement restauré, à le rendre populaire, à lui assurer des garanties de durée et des moyens de relèvement. Ils n'y apportèrent aucune bonne grâce, aucune recherche de savoirfaire, mais ils y mirent une tenacité aussi active que les Russes, et de ce concours sortit l'événement. Leur tâche était singulièrement plus ardue que celle du tsar. Alexandre n'avait qu'à commander ses ministres. Les ambassadeurs anglais devaient d'abord convertir leur gouvernement. Ils avaient commencé, ils continuèrent'.

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Ce sont de remarquables morceaux de politique que les lettres qui s'échangèrent alors entre Paris et Londres, entre lord Castlereagh et lord Liverpool. Par goût, par ménagement des chambres, de la presse de l'opinion, de la Cité, par orgueil britannique et protestant, lord Liverpool s'entétait à prendre quelque chose », ne fût ce que par œuvre d'« évangélisation et mesure de pénitence à l'endroit des Français. Il en décidait et argumentait de loin, d'après la doctrine, les précédents, les préjugés, ses propres passions, celles du public. Les ambassadeurs à Paris jugeaient sur place, directement ils ne mettaient point en opposition une Angleterre idéalisée et une France dénaturée; ils voyaient la France vivante, ils parlaient d'une France que l'Angleterre avait intérêt à voir vivre et qui ne pouvait vivre ne pouvait vivre que de sa vie propre ; ministres et ambassadeurs mus d'ailleurs uniquement par l'intérêt supérieur de leur pays. C'est l'éternelle dispute de ceux qui se figurent le monde selon leur politique et de ceux qui disposent leur politique selon les réalités du monde2. « Enlever à la France quelques portions de territoire et une ligne de forteresses, écrivait Castlereagh à Liverpool, le 17 août, c'est l'exaspérer sans l'affaiblir, dépopulariser le roi ou le forcer à

1 Voir ci-dessus p. 457-458.

Liverpool à Castlereagh, 15, 29 juillet, 11, 18, 23 août, 29 septembre. — Castlereagh à Liverpool, 24, 29 juillet 3, 17 août. Wellington à Liverpool,

11 août 1815.

se jeter dans les bras de son peuple, ôter à la paix toutechance de durée et inaugurer pour longtemps en Europe le système des armées permanentes... Il faut cependant donner certaines satisfactions aux puissances allemandes. On Ꭹ arrivera en restreignant la France à la frontière de 1790, en attribuant les enclaves aux pays limitrophes. La France gardera Avignon, et l'Allemagne obtiendra Landau... Une paix conclue sur ce principe ne sera populaire ni en Allemagne, ni en Angleterre... Mais l'objet que nous nous proposons n'est pas de recueillir des trophées. C'est de ramener le monde à des habitudes pacifiques... Je ne pense pas que ce but puisse se concilier avec la pensée d'altérer matériellement la situation de la France... Je ne suis pas non plus bien convaincu - pourvu qu'en lui mettant une camisole de force pendant quelques années, nous puissions la rendre à ces habitudes que la France, avec ses dimensions actuelles, ne puisse pas devenir un membre utile plutôt que dangereux au système européen... » Ajoutez la Russie, qui avait pris position, et très nettement : « La Russie, à cause de son éloignement, incline plutôt à protéger la France; les principes de l'empereur Alexandre le poussent naturellement dans cette voie. Il inclinerait aussi à demeurer allié avec la France, et il ne voudrait pas la voir réduite trop bas. "

Metternich penchait du côté russe; mais, disait Castlereagh, « il craint de donner à la Russie un rôle trop prépondérant, et de favoriser, en secondant les vues d'Alexandre, une alliance trop étroite entre la Russie et la France ». « Les arguments principaux de Castlereagh, dits à l'oreille," rapporte Gagern, « roulaient sur la nécessité de maintenir l'alliance, de contenir la Russie, qui avait du penchant à se lier avec la France, et d'entrer avec elle en rivalité de générosité et de modération » .

Ainsi Alexandre ménageait les Bourbons parce qu'il voulait ménager la France; les Anglais ménageaient la France parce qu'ils voulaient s'assurer l'alliance des Bourbons; les Autrichiens se voyaient portés aux mêmes tempéraments afin que

ni la France ne se donnât à la Russie ni les Bourbons à l'Angleterre. La crainte de la Révolution, du jacobinisme, s'y ajoutait chez Metternich et, par suite, la nécessité de consolider la Restauration. Il se forma, entre les trois, une ligue qui rompit, pour un moment, la fameuse alliance à quatre. Les Allemands, par leur indiscrétion, leurs brigues, leur voracité brutalement étalée, firent le reste. « On ne peut soutenir les Prussiens, écrivait Castlereagh leur conduite tend à unir les Français

et à diviser les alliés. »

Les Prussiens se constituèrent les avocats d'office de l'Allemagne, en cette affaire. Tous les Allemands couraient à eux, les harcelaient de démarches, de doléances, d'exhortations, de harangues indignées, de notes comminatoires. Ils circonvenaient et sollicitaient, à Londres, par les Hanovriens, le princerégent et ses ministres. Ils criaient misère, ils criaient à la persécution. Ils se virent partout éconduits. Alexandre exhala dans une conversation avec Stein le dégoût qu'il en éprouvait : « J'ai pour l'armée prussienne une considération très grande, mais elle souille et profane la grande et belle cause des alliés par la vengeance, les mauvais traitements, les violences de ses soldats. Le prince de Wurtemberg est trop indulgent envers ses troupes; il exagère ses prétentions sur la diminution de la France, prétend lui enlever l'Alsace et la Lorraine. Cela est contraire aux promesses données à Vienne au commencement de la guerre... Les Alsaciens répugnent à devenir Allemands. » Un gentilhomme prussien discutant politique devant Alexandre s'écria: « Nous avons des baïonnettes. » Sur quoi l'empereur, en colère : « Et moi aussi, j'ai des baïonnettes! Et il sortit de l'appartement'. » Ils firent tant que Liverpool lui-même, sans se rendre sur le fond et pour l'avenir, finit par écrire à Castlereagh : « Je partage entièrement votre avis et celui du duc de Wellington au sujet de l'extravagance des propositions prussiennes dans les circonstances actuelles. »

2

1 Private intelligence from Paris, 7 août 1815. Corr. de Wellington. Supplé

ment.

18 août 1815.

Ces discussions remplirent le mois d'août. Les propositions. présentées par les différentes puissances, dans leurs notes et mémoires, se résument ainsi :

RUSSIE: Occupation temporaire et contribution de guerre à fixer d'un commun accord;

ANGLETERRE : Occupation temporaire, contribution de guerre, retour à la frontière de 1790, la Savoie et Landau comme maximum

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des cessions territoriales ;

AUTRICHE Occupation par 150,000 hommes, contribution de guerre, retour à la frontière de 1790, cession ou démantèlement des forteresses de la première ligne, Flandre et Alsace;

PRUSSE: Occupation par 240,000 hommes, contribution de guerre de 1,200 millions, cession des places fortes de Flandre, de l'Alsace, de la Lorraine et de la Savoie.

PAYS-BAS ET ÉTATS ALLEMANDS: Occupation, contribution, cession de la Flandre, de l'Alsace, de la Lorraine, de la Savoie. Le démembrement, le plus étendu auquel on ait songé, entraînait la perte de 4,762,000 habitants et comprenait la Franche-Comté, l'Alsace, la Lorraine, la Bourgogne, la Flandre française. La frontière laissait en dehors Dunkerque, Lille, Metz, Strasbourg, Besançon, Chambéry, une partie du Dauphiné.

C'était Paris ouvert, « un chef-d'œuvre de destruction», disait dans un rapport au tsar Pozzo di Borgo. Dès qu'on connut l'opposition des Russes et des Anglais, ce fut une clameur dans toutes les auberges et tables d'hôte où se rencontraient les Allemands. Stein disait : « Les Russes veulent que l'Allemagne demeure vulnérable. » Gneisenau écrivait, le 18 août, à son ami et compagnon de lutte le poète Arndt : « Nous sommes en danger de conclure une nouvelle paix d'Utrecht, et le danger vient du même côté qu'autrefois. L'Angleterre ne veut pas qu'il arrive de mal à la France : pas de cession de territoire! Que la Russie tienne un pareil langage, cela s'explique par sa politique égoïste, par son dessein de laisser l'Autriche et la Prusse menacées dans leurs frontières et de se ménager toujours dans la France un allié. Mais, pour l'Angleterre, on ne peut conclure d'une pareille perversité qu'à un effort un effort pour maintenir la guerre sur le continent et l'Allemagne dans sa dépendance... L'Autriche, ou

plutôt Metternich, est chancelante, douteuse; elle réfléchit à des alliances avec la France. La Bavière et le Wurtemberg se joignent à nous. Si chacun était plus sûr et plus capable de suivre une politique supérieure, nous pourrions bien, en commun, avec les petits États, faire la loi, et les autres devraient se taire. "

Mais cette communauté, précisément, était ce qui manquait le plus, et elle manquait par le motif même des revendications allemandes et par le caractère particulier des petits États : l'avidité, qui les associait pour dépouiller et les mettait aux prises pour le partage des dépouilles. Les Flandres? Ils n'y tenaient que pour les principes: le droit historique, et la leçon de moralité; c'était, au surplus, affaire aux Anglais de construire la barrière » et de fortifier leur client des Pays-Bas. La grosse affaire demeurait la Lorraine, l'Alsace, la FrancheComté. Or, qui les garderait 1? La Prusse, mais elle était comblée, et les petits États la trouvaient déjà trop puissante. L'Autriche ne daignait ni ne voulait, et l'on a vu à quel point, en 1792 et 1813, elle redoutait ce présent dangereux. Toutefois si la Prusse prenait l'Alsace, l'Autriche réclamerait une compensation; elle en réclamerait une aussi dans le cas où la Bavière se ferait attribuer en garde les « Marches allemandes " : il ne fallait pas que la Bavière devînt une Prusse du midi. D'ailleurs, qui pouvait compter sur la Bavière? L'Autriche serait-elle plus en sûreté parce que les Bavarois tiendraient garnison à Strasbourg et à Metz? Les exemples de la guerre de succession n'étaient pas oubliés; ceux de la guerre de 1805 et de celle de 1809 auraient suffi à les raviver. Si l'on ne confiait Strasbourg et Metz au Bavarois, les confieraiton au Badois, au Wurtembergeois? Alors les Bavarois réclamèrent à leur tour. Si l'on divisait les Marches entre les petits États, la garde paraissait insuffisante; si on l'attribuait à un seul, il deviendrait trop fort. On parla de donner l'Alsace à la Prusse, et la Lorraine à un archiduc; mais les petits États

1

Comparez les conflits au temps de la première coalition, t. II, p. 498-500.

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