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de plus urgente et de plus embarrassante que la présence de Napoléon. Cet homme qui avait rempli le monde dix-neuf années durant, réduit désormais à l'impuissance, ne savait plus que faire de sa personne et les vainqueurs ne savaient que faire de lui. Il était décidément trop grand pour tous les moules de l'ancien monde.

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Comme on ne pouvait l'envoyer ni en Russie, ni en Allemagne, ni en Italie, où l'on tenait sa femme en une sorte de demi-captivité, ni en Autriche, où l'on internait son fils afin de le livrer aux pédants de cour et d'État; comme tout le monde redoutait de le voir partir pour l'Amérique, d'où l'on revient avec trop de facilité, l'Angleterre, le seul gouvernement qui possédât des îles lointaines et fût en mesure d'en interdire l'approche et de les bloquer lui-même, en quelque sorte, se voyait avec humeur inévitablement menacée de la garde du prisonnier. Les ministres anglais auraient préféré passer à d'autres cette besogne discourtoise et se débarrasser de l'empereur par d'autres moyens... Qu'il mourut! Que ne se faisaitil justice à lui-même! Lord Liverpool en raisonnait par dilemme « De deux choses l'une, ou Napoléon doit reprendre son caractère primitif de sujet français, ou il n'est rien du tout, et il a conduit ses expéditions à la manière d'un outlaw, d'un proscrit qui est en dehors de la société, en dehors des lois, hostis generis humani. » Dans le premier cas, il appartient à la justice du roi de France: « Nous voudrions, mandait ce lord à Castlereagh, que le roi de France fit fusiller ou pendre Bonaparte; ce serait la meilleure façon de terminer l'affaire. » Et il disait à Lieven, l'ambassadeur d'Alexandre2: « Les hommes de loi de ce pays-ci étaient généralement d'opinion que S. M. Très Chrétienne aurait eu tout droit, et sans grand examen, de le faire juger et condamner » . Ajoutons : « et exécuter sans désemparer la procédure, l'arrêt et la mort du duc d'Enghien. Pour l'opération, à défaut du conseil de guerre de Vincennes, on possédait des cours prévôtales, « ce

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Au chancelier, lord Eldon, Lord ROSEBERRY, Napoléon. Traduction Filon. * Lieven à Nesselrode, 28 juillet 1815. MARTENS, t. XI, p. 239.

qu'il y a de mieux, disait Napoléon, pour contenir le petit peuple et la canaille... Pendre, exiler, chasser, voilà ce que les Bourbons doivent faire; en 1814, ils n'avaient agi qu'à l'eau de rose, aussi ils ont été culbutés 1. » Mais Louis XVIII ne l'entendait point de la sorte, et il en jugea bien. La cour des pairs, qui suffit pour Ney, ne suffisait point pour Napoléon.

Restait l'autre terme du dilemme : le tuer. Il était hors la loi, de par l'Europe même et ses représentants à Vienne. Il ne fallait qu'un homme de bonne volonté : Maubreuil était disponible, Bruslart aux ordres, et il ne manquait point de chouans, chauffeurs, compagnons de Jéhu impatients de se refaire la main et de se créer des titres à la reconnaissance du monde civilisé. Mais cet expédient, qui aurait eu l'avantage de concilier les précédents de l'ancien régime et ceux de la Révolution, le ban de l'Empire, et le hors la loi de la Terreur, ne convenait ni à Alexandre, qui avait solennellement garanti la vie de Napoléon, ni à Wellington, qui en avait assumé la protection. «Si le roi de France ne se sent pas assez fort pour le traiter comme rebelle, écrivit alors Liverpool, nous sommes prêts à nous charger de la garde de sa personne... »

Napoléon se livra lui-même, soit qu'il comprit qu'il n'avait plus d'autre destinée et qu'il préférât devancer l'arrestation, soit qu'il gardât sur l'Angleterre, les Anglais, leur caractère, leur constitution des illusions qui avaient été celles de presque tous les hommes de son âge; soit qu'il se figurât que, réfugié en Angleterre, il y serait libre d'aller, de venir, d'écrire d'agir, de parler à l'Europe et de se faire un parti, sorte de Charles-Quint prêt à sortir du cloítre ou de Charles XII chez les Turcs, soit qu'il se rappelât sa Corse, Théodore le roi postiche, et Paoli le grand citoyen, tous deux recueillis par l'hospitalité britannique. Tout jeune, il avait composé, comme on compose un petit poème, une lettre de Théodore en prison

'GOURGAUD, 27 décembre 1816.

'Frédéric MASSON, Napoléon inconnu; manuscrit de Napoléon, VII: Théodore à milord Walpole.

VIII.

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à Walpole : « Hommes injustes! J'ai voulu contribuer au bonheur d'une nation. J'y ai réussi un moment, et vous m'admiriez. Le sort a changé. Je suis dans un cachot, et vous me méprisez. Et l'ami de Voltaire, l'Anglais philosophe, Walpole, répondait : « Vous souffrez et vous êtes malheureux. Ce sont bien deux titres pour avoir droit à la pitié d'un Anglais. Sortez de votre prison, et recevez 2,000 livres de pension pour votre subsistance. "Il crayonnait ces lignes, vers 1788, probablement à Auxonne, lieutenant d'artillerie. De l'île d'Aix, où on l'avait transporté, empereur déchu et captif, il écrivit, le 14 juillet, au prince-régent d'Angleterre : «En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale, comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. "

Cette démarche le conduisit à Saint-Hélène, où l'Angleterre se donna pour tâche historique, faute d'avoir pu supprimer sa personne, de supprimer son nom et d'anéantir sa mémoire. Il fut embarqué sur le Northumberland. Cockburn, qui commandait ce vaisseau, était réputé pour un Anglais « de rudes manières». Après qu'il eut débarqué son prisonnier, Bertrand, compagnon d'exil de Napoléon, lui écrivit, et dans la lettre mentionna le titre de l'empereur: « Je n'ai point, répondit Cockburn, connaissance d'un empereur quelconque demeurant dans cette île, ni d'une personne revêtue de cette dignité ayant, comme vous me le dites, voyagé avec moi sur le Northumberland. » C'était la consigne. Hudson Lowe l'appliqua jusqu'au delà de la mort. Il ne permit point que le nom de Napoléon figurát sur le cercueil de l'empereur, et la tombe de Napoléon fut scellée sur un cercueil anonyme :

Ici git! point de nom!...

CHAPITRE III

LE TRAITÉ DU 20 NOVEMBRE

1815

I

Louis XVIII était rentré dans ses Tuileries; mais il y vivait en roi sequestré de l'Europe, comme Louis XVI l'était de son peuple après les journées d'octobre 1789. Il attendait, dans cette sorte de relégation dorée, le traité que lui imposeraient les rois coalisés, comme Louis XVI dut attendre après Varennes la constitution que lui faisait l'Assemblée nationale. Les conditions du gouvernement étaient épouvantables. Au nord de la Loire, l'invasion avec tous ses excès; au sud de la Loire, la terreur blanche avec toute ses fureurs. Entre les deux, l'armée française frémissante, famélique, révolution errante, toujours prête à mordre, à courir aux armes, ferment de révolte, partout où on la semait, qu'on ne pouvait déporter, qu'il fallait disperser, comme les huguenots sous Henri IV et les vendéens au temps du Consulat. Les alliés accaparaient le pays, maîtres des finances, disposant des sources; ils entravaient toute police, empêchaient toute administration. Ils avaient organisé, à Paris, sous le nom de Conférence, une sorte de gouvernement provisoire qui, s'il respectait, en théorie, le pouvoir du roi, en paralysait l'exercice. Cette conférence était composée, pour l'Angleterre, de Castlereagh et de Wellington; pour la Russie, Rasoumowsky et Capo d'Istria; pour l'Autriche, Metternich et Wessenberg; pour la Prusse, Hardenberg et Humboldt.

Ils ne parlaient ni d'abréger ni d'alléger l'occupation. Les monuments publics étaient menacés. Louis XVIII, dans les

fétes de 1814, avait pu s'étourdir de la joie de régner et croire vraiment, à tant de vivats et d'illuminations, que la catastrophe des armées françaises se tournait en bienfait pour la dynastie et pour la France. Une affreuse équivoque travestit toute cette première restauration. En juillet 1815, Louis XVIII se vit à la fois nécessaire et impuissant, il se sentit Français, il souffrit et il devint roi. Il trouva des mots qui restent, et il y ajouta une sorte de majesté poignante par le spectacle de ses infirmités. Blücher voulait faire sauter le pont d'Iéna. Louis écrivit qu'il s'y ferait porter dans son fauteuil. Voilà toutes les ressources de prestige et d'influence de la monarchie française !

En 1814, ce fut un parti pris, de la part des alliés, de ménager la dignité des Français, l'amour-propre des Parisiens. Les Allemands rongèrent leur frein: on les força de se tenir au port d'armes, et quand ils sortaient dans les rues, de tenir les mains au corps, fermées et serrées. En 1815, on leur donna licence. En 1814 les alliés laissèrent aux musées les objet d'art conquis par la République et par l'Empire. Les diplomates ne s'en souciaient, les Prussiens protestaient peu, faute de chefs-d'œuvre à revendiquer; on laissa gémir les Hollandais et crier les Italiens. Dans la façon d'accorder à la « vanité française » cette aumône de trophées, quand on dépouillait la France de tant de conquêtes, il entrait quelque peu de ce mépris orgueilleux qui a fait dire à un illustre historien allemand, marquant du sceau de la niaiserie le premier héros de la légende nationale française, le Gaulois Vercingétorix « Tout est dit sur la nation celte, quand on dit que son plus grand homme ne fut qu'un chevalier '!» Ils laissèrent dédaigneusement aux chevaliers leurs panoplies, au peuple ses hochets. En 1815, ce fut de conseil, et pour frapper les Français au point le plus sensible, les humilier devant eux-mêmes, les fustiger devant l'univers, que les alliés décidèrent de rendre aux Italiens, aux Flamands, aux Hol

1 MOMMSEN, Histoire romaine.

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