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souverain où l'auriez-vous pris?

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Qui sait, peut-être le duc d'Orléans, s'il avait voulu être intelligent et raisonnable. Il aurait bien fallu que celui-là fùt sincèrement constitutionnel; je ne pense pas qu'il eût fait peur à l'Europe... » Pasquier estima sans doute ce propos sensé et bon à retenir; mais il le jugea aussi fort prématuré. Il continua sa tournée et se rendit chez Fouché. Le dialogue qui s'engagea entre eux est une merveille de tact. Rarement le jeu politique a été mené d'une main si adroite et si sûre, la bille poussée d'un coup plus léger à des effets plus fins; rien ne paraît toucher, tout porte et tout ricoche vers le but.

Fouché, après avoir congédié quelques importuns, emmène Pasquier dans le jardin et, lorsqu'ils sont au milieu des pelouses, qui n'ont point d'oreilles, Fouché prend les devants et entame les confidences : « Cet homme », dit-il, parlant du souverain qui lui a donné pour mandat de prévenir les complots royalistes, « n'est corrigé de rien et revient aussi despote, aussi désireux de conquêtes, aussi fou enfin que jamais. » C'est un thème qui prête; Fouché s'y étend. « Ce sont, dit Pasquier pour le laisser respirer un instant, matières graves; je ne puis me permettre de les discuter. Allons donc ! réplique Fouché, qui a repris haleine, laissez-là cette réserve: je vous donne l'exemple; pour achever, je vous déclare que malgré l'assurance qu'il en a donnée, toute l'Europe va lui tomber sur le corps; il est impossible qu'il y résiste; son affaire sera faite avant quatre mois. Quand cela arrivera, je m'y résignerai; mais, en bonne foi, monsieur le duc, je ne vois pas à quoi peut servir la confidence que vous me faites.

Je vais vous le dire. Je ne demande pas mieux que les Bourbons reviennent; seulement il faut que les affaires soient arrangées un peu moins bêtement qu'elles ne l'ont été l'année dernière par Talleyrand; il ne faut pas que tout le monde soit à leur merci. Il faut des conditions bien faites, de bonnes et solides garanties '. — A merveille, je ne m'oppose à rien de

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Comparez, ci-dessus, p. 310, les propos de Talleyrand à Mme de Coigny en janvier 1814.

tout cela; je pourrai m'en arranger aussi bien que vous, mais qu'y puis-je? Rien, pour le moment, beaucoup peutétre dans quelque temps. Quand l'instant décisif arrivera, il me faudra des hommes capables et surs pour me seconder, des hommes qui inspirent confiance à tout le monde, même à la famille royale. Vous êtes cet homme-là, je compte sur vous. " Pasquier trouvait que c'était aller bien vite et bien loin; il savait Fouché familier avec toutes les trahisons et avec toutes les fourberies. Napoléon était debout, tout-puissant en apparence, et Fouché, officiellement, son ministre de la police. - - Vous me faites beaucoup d'honneur, dit Pasquier; à vous parler vrai, je ne suis pas tenté de courir de si grands hasards. » Il parla de voyager. Fouché mesurait parfaitement le degré de confiance qu'il était digne d'inspirer : « Vous affectez de faire la sourde oreille, reprit-il; je suis sur que vous m'avez bien compris. Ainsi donc, vous allez vous en aller... Vous êtes lié avec Mme de Vaudemont: laissezlui votre adresse; je la chargerai de vous écrire quand le moment sera venu. Puisque vous m'ouvrez cette voie, je m'en servirai dans un mois, non pour un sujet aussi grave, mais pour vous demander la permission de passer par Paris en allant au Mont-Dore. -A merveille! tout ce que vous voudrez; voilà notre moyen de correspondance établi »... Puis, comme se ravisant « Pourquoi vous laisseriez-vous exiler? Demandez à rentrer au conseil d'État; il sera trop heureux de vous l'accorder. Pasquier déclina l'ouverture. « Oh! s'écria Fouché, je vois bien ce que c'est des scrupules de fidélité dont vous vous piquez maintenant pour la maison de Bourbon, comme si, pour faire quelque chose de vraiment utile à ceux que l'on veut servir, il ne fallait pas, avant tout, avoir la main à la páte? A quoi, je vous prie, auriez-vous été bon au mois d'avril dernier, si vous n'aviez pas été préfet de police 1?»

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Ces confidences s'échangeaient dans les derniers jours d'avril 1815.

1 Comparez le mot de Bonaparte à Bourmont en 1800, t. VI, p. 12.

Fouché trouva plaisant, tendant sous les pieds de Talleyrand les cordes où il trébucherait en descendant les marches, d'embaucher le plus renommé, le plus répandu de ses affidés, le plus adroit à solliciter la fortune à tous les jeux de politique et de hasard, Montrond. Il jugea très habile de mêler son intrigue aux démarches secrètes dont Napoléon chargea le même personnage près de Marie-Louise, d'Alexandre, des ministres au congrès. Malgré tout son savoir-faire, Montrond n'obtint rien des alliés, moins que rien même. Quand il essaya de parler de l'empereur, on l'éconduisit : « Nous ne voulons pas mėme la régence », dit Metternich; et Nesselrode : « Point de paix avec Bonaparte!» Restaient donc les « nuances intermédiaires, et ici la mission produisit ses effets. Montrond se chargea, très vraisemblablement, de tâter Talleyrand, Fouché aimant mieux l'avoir pour associé que pour adversaire'. Talleyrand lui-même se fit sans doute le même raisonnement que Fouché. Si le lendemain s'appelait Orléans, Talleyrand avait besoin de Fouché; si le lendemain se nommait Louis XVIII, Fouché aurait besoin de Talleyrand; d'où nombre de conciliabules nocturnes, visiteurs masqués au collet relevé, froissements d'acier dans l'ombre, parades et coups fourrés... Le fait est qu'ils devinrent tous deux ministres de Louis XVIII, comme ils l'avaient été de Bonaparte après Brumaire, de Napoléon après 1804, et comme ils l'auraient été de Louis-Philippe, si la révolution de Juillet, devançant le temps de quinze années, eût prévenu leurs désirs. Au fond, tous ces détours et toutes ces mines sont choses assez indifférentes à l'histoire, et il ne faut point se tracasser l'esprit pour en démêler l'inextricable écheveau2; on n'y saurait découvrir d'autre secret que l'intérêt personnel de quelques hommes, se débattant, pataugeant ou nageant dans le grand fleuve débordé; aucun de ces hommes ne fait

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1 7 avril. Diné chez Talleyrand. Montrond vient et repart. Journal de Rapports de Consalvi, 12 et 30 avril 1815. Rinieri.

Saint-Marsan.

Sur un autre émissaire de Fouché, orléaniste, Saint-Léon, voir PASQUIER, t. III, p. 190; PALLAIN, p. 380; WELSCHINGER, p. 150.

le courant ni ne souffle la tempête; ils cherchent le bord ou la passe; et l'on ne doit retenir de leurs aventures que ce qui explique et dépeint l'allure générale, laquelle emporte tout, eux et le reste.

Sous ce rapport, les démarches de Fouché en Belgique, à Bruxelles près de Wellington, à Gand près des agents de Louis XVIII, sont infiniment plus significatives que les tripotages de Montrond à Vienne. Il s'occupa d'abord de pourvoir à sa propre sûreté, et confia à Wellington a ses inquiétudes sur la stabilité des affaires de France et sur les dangers qu'il courait de la part de Napoléon, en ajoutant qu'il espérait trouver un asile en Angleterre, dans le cas où il serait forcé de s'y réfugier ». Puis il offrit ses services et s'occupa, par un coup signalé, de les mettre en valeur. Personne ne connaissait mieux que lui les dessous des complots royalistes, de celui de Georges en particulier, et ce serait le calomnier que de le supposer ignorant des « missions » récentes de Maubreuil et de Bruslard. Il savait jusqu'à quel point il pouvait pousser ses pointes avec des princes et des ministres qui avaient trempé dans ces affaires, et des alliés où figuraient plus d'un confident, sinon d'un complice, de la mort de Paul I". Il en attendait l'occasion; elle se présenta '.

Vitrolles avait été arrêté à Toulouse. Mme de Vitrolles se trouvait à Bruxelles; elle tremblait pour son mari. Le comte d'Artois lui donna ce billet: « Je serai éternellement reconnaissant à celui qui sauvera les jours et rendra la liberté à M. de Vitrolles. » Mme de Vitrolles, munie de ce talisman, part pour Paris; elle connaissait un des affidés de Fouché, Gaillard; elle lui montre l'écrit. Gaillard le prend, le porte à Fouché, revient trouver Mme de Vitrolles, l'emmène chez le duc d'Otrante; ce duc la console: « Votre mari est sauvé; j'en ai arraché la promesse à l'empereur... Vous devez partir pour Gand; je vous ai fait préparer une voiture et vous ferai accompagner par un homme de confiance. » L'homme de con

1 Rapport de Pozzo, Bruxelles, 17 avril 1815. Conversation avec Wellington. POLOVTSOFF.

fiance fut reçu par Louis XVIII et lui dit « que Fouché était prêt à se défaire de Bonaparte s'il obtenait la promesse de demeurer ministre de la police et si M. de Talleyrand était mis à la tête de l'administration. Louis XVIII avait trop de finesse et il était trop blasé, depuis le Consulat, sur des insinuations de ce genre, pour se compromettre dans une affaire aussi louche. Il ne parla que de Vitrolles, et se contenta d'encourager l'émissaire, ajoutant, à ce propos, qu'il serait toujours prêt à reconnaître les services que Fouché serait dans le cas de rendre à lui et à la France'. » L'homme de confiance sut-il insister? Pozzo écrit trois jours après cette première entrevue « Mme de Vitrolles part aujourd'hui. « Le roi l'a chargée d'assurer Fouché que les services qu'il pourra rendre seront agréés et récompensés; nous verrons ce qu'il fera 2. Mais il est vraisemblable que « le cœur » lui manqua. Il se réserva, négociant et marchandant 3.

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Pozzo écrit le 23 mai : « S'il voulait et, encore plus, s'il pouvait détruire Bonaparte, nul doute qu'il le ferait sans hésiter, parce qu'il se trouverait alors l'homme le plus puissant de France... Mais il est loin de posséder le pouvoir ou le courage nécessaire pour hasarder une pareille entreprise... Mon langage, lorsque les circonstances m'ont porté à m'exprimer sur ce sujet, a toujours été très encourageant pour Fouché, en disant à ceux qui pouvaient le lui répéter, ce qu'il sent bien lui-même, que l'homme qui, à la tête d'un parti quelconque, parviendrait à délivrer l'Europe de Bonaparte, n'aurait aucune condition à demander, parce qu'il pourrait les prescrire toutes. » On peut supposer que Fouché en jugea plus finement. A débarrasser l'Europe de Napoléon, il jouerait un jeu de dupe, car le monstre exterminé, l'Europe, rassurée, ne penserait plus qu'à se séparer du libérateur, devenu gènant.

1 Pozzo à Nesselrode; Bruxelles, 3 mai 1815. POLOVTSOFF. 2 Pozzo à Nesselrode, 6 mai 1815.

3 Il se fit durant toute cette période une remarquable levée d'espions et un étrange marché de trahison. Nombreux rapports d'agents dans la correspondance de Wellington, supplément. Voir Pozzo à Nesselrode, 4 juin 1815. POLOVTSOFF.

VIII.

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