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la politique de Louis XVIII et de Talleyrand avait besoin d'une contre-épreuve, elle la trouverait ici : Napoléon obligé de tenir le même langage et de déclarer le même désintéres

sement.

II

Dans la nuit du 6 au 7 mars, Metternich fut averti que Napoléon avait quitté l'île d'Elbe '. Ce fut une consternation générale, suivie aussitôt de fureur. Alexandre, qui, naguère, dans son irritation contre Talleyrand et Louis XVIII, parlait de déchaîner « le monstre », ne parla plus que de l'exterminer. Il s'écria « que l'affaire le regardait personnellement, qu'il avait à se reprocher une imprudence, à se laver d'un tort (avoir laissé Napoléon à l'île d'Elbe), et qu'il mettrait à cette guerre renaissante par sa faute son dernier homme et son dernier écu». Les Prussiens, flairant l'occasion d'une vengeance plus complète que celle de 1814, et de conquêtes, qui alors leur avaient échappé, attisaient l'irritation de leur allié. On put voir quelle chimère auraient poursuivie ceux des Français qui auraient tenté de séparer la Prusse de la Russie, et de se donner à Alexandre avec l'arrière-pensée que la Russie procurerait à la France un morceau d'Allemagne ou de Belgique. La seule menace d'une reprise d'ambition de la part de la France, la seule pensée que le traité de Paris pourrait être mis en question, rapprocha les alliés, et le pacte de Chaumont se retrouva formé, plus ferme que jamais. Le 13 mars, les huit puissances signataires du traité de Paris déclarèrent que Buonaparte avait rompu « le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée », elles le placèrent a hors des relations civiles et sociales », et le livrèrent « à la

1 Mémoires de Metternich, t. I, p. 205. Rapport de Consalvi, 8 mars 1815. Riniert.

Journal de Saint-Marsan, 7 mars.

vindicte publique ». C'était le hors la loi de la Convention, le hors la loi de Brumaire, traduit en langage monarchique. Elles promirent, en même temps, leur appui au roi de France et à la nation française contre l'usurpateur. Talleyrand signa ce pacte qui faisait de Louis XVIII l'allié de l'Europe contre Napoléon.

On apprit bientôt que, débarqué en France, Napoléon y était acclamé; que sa marche vers Paris rappelait, au moins, par le spectacle populaire, sa rentrée triomphale d'Égypte en 1799; que les troupes faisaient défection au roi, que la France se refusait aux Bourbons, et que Louis XVIII était contraint de fuir. La France elle-même déchirait ainsi le traité de Paris. Les alliés ne doutèrent point qu'en se donnant à Napoléon, les Français ne voulussent, avec lui, par lui, reconquérir la frontière de la République, les limites naturelles, toujours sacrées dans leurs imaginations, et seule condition à leurs yeux de la paix glorieuse et durable. «Nul doute que pour reprendre la Belgique et se reporter sur le Rhin, tous les soldats et même les recrues ne courussent », écrivait naguère le ministre par intérim des affaires étrangères, Jaucourt. Les alliés ne s'y trompaient pas. Leur principale garantie de paix, c'était Louis XVIII, la monarchie, la charte. La monarchie restaurée manifestant son impuissance à affectionner la nation, à la gouverner; les Français déclarant leur répugnance pour cette monarchie, les alliés se retrouvaient dans les conditions qui avaient précédé la chute de Napoléon; mais ils y revenaient avec la déception d'une opération manquée, le regret de s'être montrés trop modérés envers les Français, la volonté de chercher des garanties plus réelles contre l'humeur belliqueuse et l'esprit révolutionnaire de cette nation.

Le 25 mars, les quatre renouvelèrent solennellement l'alliance de Chaumont, afin de « maintenir le traité de Paris, avec cette clause menaçante : « dans le but de compléter les dispositions de ce traité ». Vainement Napoléon, essayant de la politique que l'on a reproché à Louis XVIII de n'avoir

pas suivie, voulut renouer avec la Russie, la détacher de l'Angleterre et de l'Autriche. La révélation du traité du 3 janvier demeura sans effet. Mais le traité n'était déjà plus qu'une lettre morte. Alexandre, qui n'aimait point Metternich, en montra contre ce ministre quelque humeur. Cela ne les empêcha point de s'accorder en toutes choses. Alexandre n'en conçut ou au moins n'en montra aucune irritation contre les Anglais'. Il fit même écrire à Castlereagh une lettre tout échauffée de l'esprit de 1813. Quant à Talleyrand et aux Bourbons, s'il affecta de s'indigner de ce traité qu'ils avaient signé avec l'Autriche et l'Angleterre, et qu'il pardonnait si facilement à l'Autriche et à l'Angleterre, c'est qu'il lui convenait d'avoir un grief ostensible contre Talleyrand et un motif de ne se point engager dans une nouvelle restauration de la branche ainée.

Le retour de Napoléon à Paris, la fuite de Louis XVIII à Gand avaient, d'un coup, renversé le savant et subtil échafaudage de Talleyrand. Tout cet échafaudage reposait sur la restauration, le principe de légitimité, en vertu duquel cette restauration s'était accomplie, la proclamation de ce principe

par

les alliés, l'identité de ce principe avec les intérêts de la France, la nécessité où étaient les alliés de soutenir la monarchie restaurée, les garanties de paix que, par son propre intérêt, par les déclarations réitérées de désintéressement, leur donnait cette monarchie. Le retour de Napoléon rejetait l'Europe dans la politique de fait et de force. Les « principes » selon un mot très juste de Talleyrand, n'avaient été reconnus par les alliés qu'autant qu'ils ne contrarieraient en rien leurs convenances; ils n'étaient plus qu'une formule abstraite, sans

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1 « Je me flatte que ceci ne peut produire aucune fàcheuse impression sur l'empereur de Russie, après tout ce qu'il a vu depuis longtemps. L'affaire, en gros, venait des dissidences actuellement arrangées » Castlereagh à Wellington, Londres, 29 mars 1815. Alexandre en prit prétexte pour opposer la modération la constance, l'équité des principes » de sa politique, à l'ascendant qu'exerce sur les conseils des souverains, la faiblesse, la légèreté et l'ambition ». Il se contenta de ce coup de griffe. Nesselrode à Pozzo, 3 mai 1815. POLOVTSOFF. Explication de Wellington et entente: Pozzo à Nesselrode, Bruxelles, 23 mai 1815, id.

valeur politique. On revenait à la maxime d'Alexandre, qui était celle de toute l'ancienne diplomatie: « Les convenances de l'Europe sont le droit. » Les alliés le firent rudement sentir à l'envoyé de Louis XVIII. Le rôle que Talleyrand s'était composé et le personnage qu'il avait joué étaient artificiels. Sa force avait été la force des choses; son art avait consisté à la comprendre et à s'en servir. Lorsque ce soutien lui fit défaut, le masque tomba. Il ne resta plus qu'un homme d'un aplomb extraordinaire, d'une dextérité consommée, mais démenti par les faits, dérouté dans ses calculs, insupportable, détesté. Il ne faisait plus « le ministre de Louis XIV » . Il n'était plus que le ministre de Jacques II. Il se débattit vainement dans cette impasse. Il épuisa les équivoques. Il essaya de faire déclarer par les alliés que l'objet de la guerre serait le rétablissement des Bourbons. Il tacha d'engager les alliés à respecter les limites reconnues à la France par le traité de Paris, et, pour obtenir cette garantie, il s'insinua dans la coalition, il y associa Louis XVIII et adhéra au renouvellement du traité de Chaumont'. Il espérait ainsi rendre très difficile aux alliés de dépouiller un prince qui faisait cause commune avec eux. Mais c'était un prince détrôné, fugitif, sans armée, sans popularité. C'était le « prétendant » de 1795, retourné en son exil, et chacun se réservait, selon ses intérêts, de le traiter en client ou en proscrit. Talleyrand en fut quitte pour donner le spectacle répugnant, quoique correct au point de vue dynastique, au point de vue de la légitimité et selon l'ancien droit public européen, d'un ambassadeur français souscrivant, au nom du roi de France, des déclarations et des actes combinés contre la France et les armées françaises.

Les alliés avaient été, en 1814, fort divisés et très longtemps, sur le gouvernement à établir en France. Sauf les Anglais, ils avaient subi la restauration bien plus qu'ils ne l'avaient faite. En 1815, ces discussions recommencèrent.

Les diplomates anglais, Castlereagh retenu à Londres,

1 Note du 27 mars 1815. ANGEBERG.

2

Clancarty qui le remplaçait à Vienne, Wellington qui se préparait à retourner du congrès à l'armée, demeuraient persuadés que le rétablissement de Louis XVIII serait, en 1815, comme en 1814, la seule garantie sérieuse du traité de Paris. Ils estimaient que toute autre combinaison nécessiterait un pied de guerre, « des armements ruineux pour toute l'Europe '». Mais, comme en 1814, ils étaient obligés de s'en taire officiellement. Comme en 1813 et 1814, le parlement s'opposait à une guerre dont une ingérence dans les affaires intérieures de la France aurait été l'objet. Il voulait l'expulsion « de Bonaparte » et la prise de garanties plus efficaces de l'argent, des terres, des forteresses. Les ministres craignaient même que l'accession de Talleyrand au traité du 25 mars - confirmatif de l'alliance de Chaumont-ne soulevȧt des orages. Napoléon, parce qu'il procédait de la Révolution, gardait quelques partisans parmi les wighs irréguliers. Le 3 avril une motion pacifique de Whitbread, en faveur de la paix, fut repoussée, aux communes, par 220 voix contre 27; les communes approuvèrent les armement annoncés par le régent. Il parut bien clair que l'Angleterre ne se voulait point induire en dépenses pour les Bourbons. Le 8, Castlereagh écrivit à Clancarty « Vous apprécierez combien il importe au point de vue parlementaire qu'on ne puisse pas dire que Louis XVIII étant notre allié contre Bonaparte, est devenu membre de la coalition pour sa propre restauration. Sa Majesté ne peut pas désirer que nous sentions plus que nous ne le sentons combien la restauration est importante. Nous ferons tous nos efforts pour que la guerre produise ce résultat; mais nous ne pouvons en faire une condition sine qua non. » Officiellement, l'Angleterre se réservait. Castlereagh le déclara en envoyant la ratification du traité du 25 mars. « Il ne doit pas être entendu comme obligeant Sa Majesté britannique à poursuivre la guerre dans la vue d'imposer à la France aucun gouvernement particulier 3. »

:

1 Wellington à Metternich, 20 mai 1815.

* Même motion, également repoussée, le 28 avril 1815.

3 Déclaration du 25 avril 1814.

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