Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[ocr errors]

« Plutôt la guerre, que de renoncer à ce que j'occupe! Puis, il se reprit brusquement: « Voilà l'heure du spectacle», et il sortit. Il était réellement en colère; mais Talleyrand avait affronté des assauts plus redoutables, et il ne s'en troubla point outre mesure. « Notre position est difficile, écrivait-il à Louis XVIII. Elle peut le devenir chaque jour davantage... Les ministres de Votre Majesté pourraient rencontrer de tels obstacles qu'ils dussent renoncer à toute autre espérance qu'à celle de sauver l'honneur. Mais nous n'en sommes pas là. "

[ocr errors]
[ocr errors]

Le 3 octobre, il y eut une réunion chez Metternich, et ce ministre demanda à Talleyrand de retirer sa note du 1°. Talleyrand refusa. Metternich insinua de nouveau que tout devrait se régler à quatre. Talleyrand répondit: « Si vous prenez la question de ce côté, je suis tout à fait votre homme; je suis tout prêt, je ne demande pas mieux. Comment l'entendez-vous? - D'une manière très simple. Je ne prendrai pas part à vos conférences; je ne serai ici qu'un membre du congrès, et j'attendrai qu'il s'ouvre. " Le plan des alliés ne pouvait réussir que par le secret. Talleyrand menaçait de le dévoiler avec scandale, et, si on le laissait faire, il se transformerait, de plénipotentiaire de la France vaincue, en avocat de l'Europe jouée, exploitée par ceux qui s'étaient engagés à lui donner l'ordre et la paix. Décidément, si dangereux qu'il fût de l'admettre aux conférences, il valait mieux l'avoir dedans que dehors. Tout convenait mieux aux alliés que de déclarer leurs intentions. On garda donc Talleyrand; mais à chaque pas il relevait le ton. Il rédigea une nouvelle note, selon ses instructions, portant qu'il y aurait un congrès et que ce congrès serait réellement ouvert '; il s'en entretint avec Castlereagh et constata que cet Anglais lui donnait raison sur la forme et, en partie, sur le fond.

Mais avant de se résigner à relâcher le faisceau de Chau

1 « Comme le retour du roi a fait disparaitre en France toutes les idées qui avaient produit et qu'avait propagées la Révolution, il faut espérer de même qu'en Europe on cessera de transformer la force en droit, et que l'on prendra pour règle, non la convenance, mais l'équité. » Circulaire aux agents français, 3 octobre

[ocr errors]

mont, à se confier à la France, bien plus, à lui demander son concours, Castlereagh et Metternich épuisèrent tous les moyens de convaincre leurs alliés et de transiger avec eux. Castlereagh composa, le 4 octobre, un mémoire où il s'inspirait manifestement de la note que Talleyrand lui avait fait passer le 28 septembre. Il concluait au statu quo ante en Pologne. Peut-on supposer, disait-il, que l'Autriche et la Prusse soient entrées dans l'alliance, aient traité à Kalisch et à Reichenbach pour le seul agrandissement de la Russie, et cela en détruisant leurs propres frontières et en laissant ainsi leurs capitales exposées et sans défense»? Qu'on fit de la Pologne une nation libre, un État indépendant ce serait une œuvre juste; mais on ne peut, en la donnant à la Russie, en faire un instrument militaire formidable»; donc, longtemps que Sa Majesté Impériale tiendra à ce projet fàcheux, il est impossible qu'aucun plan d'arrangement pour la reconstitution de l'Europe puisse être proposé ou que le présent congrès puisse s'assembler... »

[ocr errors]

« aussi

Cependant, à grand effort de sous-entendus, malentendus, et équivoques de chancellerie, Gentz avait élaboré un projet de déclaration suspendant l'ouverture du congrès jusqu'à ce que « les questions fussent parvenues à un degré de maturité suffisant pour que le résultat répondit aux stipulations du traité de Paris et à la juste attente des contemporains ». Le congrès serait ainsi ajourné au 1er novembre. Les six furent convoqués, le 8 octobre, chez Metternich pour en délibérer. Talleyrand, invité à s'y rendre un peu avant l'heure de la conférence, trouva Metternich désireux de le faire parler, de l'amener surtout à quelque imprudence compromettante, à demander quelque chose, à accepter au moins la conversation sur quelque objet d'intérêt particulier pour son maître. Il n'y en avait, il n'y en eut jamais qu'un, et il était illusoire, l'affaire de Naples. On savait que le roi mettait quelque passion à détrôner Murat pour rétablir son cousin Ferdinand. Mais c'était se méprendre sur le caractère de Louis XVIII, sur sa politique et sur sa patience, que de le croire capable

de sacrifier son principe en un point où, précisément, ce principe devait par soi-même triompher. Forcé de renoncer aux Légations, Metternich abandonnerait Murat et chercherait à s'en débarrasser. Or, le rétablissement du pape dans les Légations était une question connexe à celle du rétablissement du roi de Saxe, et l'application directe du principe de la légitimité tel que l'entendait Louis XVIII. En défendant les droits du roi de Saxe, il défendait ceux du pape, et le pape rétabli dans ses États, Murat ne serait plus qu'une gêne et un danger pour l'Autriche. C'était déjà le cas. Metternich ne songeait plus à dépouiller le Saint-Siège des Légations, personne ne l'y encourageait. Dès lors Murat fut sacrifié et tout le jeu de Metternich allait être d'attirer ce malheureux roi dans quelque traquenard où il se laisserait tomber aveuglément. Talleyrand était informé de ces dispositions par Saint-Marsan et par les autres Italiens. Il n'aurait donc garde d'accepter comme un service rendu à son roi un acte auquel Metternich serait contraint par son propre intérêt.

[ocr errors]

pas

Metternich le constata dès les premières insinuations qu'il en fit, ce jour-là, à Talleyrand. Celui-ci se montra disposé à s'entendre avec l'Autriche sur les grandes affaires; mais, dit-il, on s'éloignait de lui, on s'environnait de mystère ! « Pour moi, ajouta-t-il, je n'en fais point, et je n'en ai besoin : c'est l'avantage de ceux qui ne négocient qu'avec des principes. Voilà du papier et des plumes. Voulez-vous écrire que la France ne demande rien, et même n'accepterait rien? Je suis prêt à signer. Mais vous avez l'affaire de Naples, qui est proprement la vôtre. Pas plus la mienne que celle de tout le monde. Ce n'est pour moi qu'une affaire de principes. » Et, s'animant, il déclara ce qu'il entendait par ces affaires de principes » le roi Bourbon à Naples, le roi de Saxe à Dresde, point de Prussiens en Saxe, point de Prussiens à Luxembourg, ni à Mayence; point de Russes à Varsovie. Ces principes » concordaient avec les « intérêts » de l'Autriche. Talleyrand le savait bien, et il ne s'étonna point d'entendre Metternich lui répondre « Nous sommes beau

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

coup moins éloignés que vous ne pensez. Je vous promets que la Prusse n'aura ni Luxembourg ni Mayence. Nous ne désirons pas plus que vous que la Russie s'agrandisse outre mesure, et quant à la Saxe, nous ferons ce qui sera en nous pour en conserver au moins une partie. "

Sur quoi on passa à la conférence. Talleyrand accepta le projet de Gentz et les conférences préparatoires à tenir avant l'ouverture du congrès, puisque désormais il était sûr d'y être admis, et que l'on renonçait à tout régler d'avance entre quatre. Mais il demanda qu'à la phrase portant que l'ouverture du congrès aurait lieu le 1 novembre on ajoutât ces mots : « Il sera fait conformément aux principes du droit public. » Cette proposition souleva une tempête. Les Prussiens surtout s'emportèrent à une indignation véhémente. Hardenberg, très sourd, se leva, frappant sur la table, menaçant, proférant des paroles entrecoupées : « Non, monsieur!... le droit public?... c'est inutile... cela va sans dire. Si cela va sans dire, répliqua Talleyrand, cela ira encore mieux en le disant. Humboldt criait aussi : « Que fait ici le droit public? - Il fait que vous y êtes », répondit encore Talleyrand, qui se rappelait comment, à Tilsit, la Prusse avait failli disparaître de la carte d'Europe. Castlereagh le prit à part et lui demanda si, une fois satisfait sur cet article, il se montrerait plus facile; Talleyrand lui demanda, à son tour, ce qu'en se montrant facile il pourrait espérer de l'Angleterre dans l'affaire de Naples. Castlereagh promit de l'appuyer de toute son influence : « J'en parlerai à Metternich; j'ai le droit d'avoir un avis sur cette matière. Vous m'en donnez votre parole? Je vous la donne. » Après deux heures de débat, on finit par adopter la phrase, qui fut placée quelques lignes plus haut: « Pour que le résultat réponde aux principes du droit public, aux stipulations du traité de Paris, etc. "

Talleyrand avait fait du chemin. Il avait reconnu le point faible des alliés; néanmoins il ne s'aveuglait pas sur la difficulté où il était de se faire croire, lui, Talleyrand, parlant de droit, de désintéressement; sur l'impossibilité de faire préva

loir les principes les plus justes si quelque force ne les soutenait. C'est pourquoi il écrivit au roi, le 13 octobre: a Ceux qui nous savent contraires à leurs prétentions pensent que nous n'avons que des raisonnements à leur opposer. L'empereur Alexandre disait il y a peu de jours: « Talley«rand fait ici le ministre de Louis XIV. » M. Humboldt, cherchant à séduire en même temps qu'à intimider M. de Schulenburg, ministre de Saxe, lui disait : « Le ministre de France a se présente ici avec des paroles assez nobles; mais ou elles. << cachent une arrière-pensée, ou il n'y a rien derrière pour « les soutenir. Malheur donc à ceux qui voudraient y croire ! » Le moyen de faire tomber tous ces propos et de faire cesser toutes ces irrésolutions serait que Votre Majesté, dans une déclaration qu'elle adresserait à ses peuples, après avoir fait connaitre les principes qu'elle nous a ordonné de suivre et sa ferme résolution de ne s'en écarter jamais, laissât seulement entrevoir que la cause juste ne resterait pas sans appui. » En attendant, Talleyrand entreprit les représentants des petits États : « La déraison s'agite, disait-il à Gagern; tout s'est fait avec une extrême légèreté. On n'est préparé sur aucune question. On oublie qu'on n'est plus à Chaumont. Nous ne voulons rien, absolument rien, pas un village; mais nous voulons ce qui est juste. Et si on s'y refuse, j'en viendrai jusqu'à la retraite, à la protestation. Personnellement, je ne veux pas la Belgique... Savez-vous où est ma Belgique? Elle est dans la liberté des fleuves, voilà tout ce que je veux. »"

V

La déclaration, adoptée le 8, fut portée le 13 à la connaissance des plénipotentiaires. Et, au milieu des banquets, des fètes, des galas d'opéra et de comédie, le travail des notes, contre-notes, memorandums, confidences et cabales recommença. Rien n'était possible tant que la question de Pologne

« ZurückWeiter »