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lité. Il en spéculait comme en France, les orléanistes de 1802 : « Il nous faut un roi qui ait une couronne parce que j'ai cette place... tirant ses droits des nôtres".

La Harpe, grand souffleur du tsar en ses subtiles spéculations sur la France, lui fournissait de beaux prétextes de liberté, de respect du droit, de souveraineté du peuple français. Alexandre entendait que ce peuple fut consulté, à la polonaise bien entendu, sous les canons russes, et l'ingénieux La Harpe insinuerait la réponse aux « représentants du peuple français » triés sur le volet par ses affidés. Car si le tsar tirait ses doctrines de la Suisse, il empruntait ses pratiques constitutionnelles à la Pologne. « L'empereur, écrit Münster, relatant une conversation du 11 février, me parla longtemps de ses projets. Il m'assura qu'il était éloigné de toute idée de vengeance, mais qu'il croyait devoir faire l'impossible pour renverser Napoléon; que c'était pour cette fin qu'il voulait pousser sur Paris... et, cependant, traîner les négociations, afin de pouvoir en profiter, au cas inattendu d'un revers....... Je ne crois pas me tromper dans la supposition que l'empereur a eu l'idée de vouloir favoriser les projets du prince de Suède. Il résumait ainsi l'état des affaires : « Les Français veulent terminer la négociation par une paix à tout prix; peut-être Metternich la désire-t-il aussi vivement. La religion politique des ministres anglais répugne à trainer une négociation dans le dessein secret de ne pas lui donner de suite; ils croient qu'il serait déshonorable, après avoir consenti à négocier, de ne pas signer la paix si Napoléon voulait tout

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accorder. "

Voilà où en étaient les alliés à Troyes, où leur quartier général s'était établi le 10 février. Alexandre y reçut, le 11, un courrier de Londres qui changea quelque peu la figure des choses. C'était un long rapport de Lieven sur un entretien qu'il avait eu avec le prince régent. Ce prince, finement cons

1 Conversation de d'Antraigues avec Champagny, 21 avril 1802. PINGAUD, p. 209. Lettre de Münster, 12 février 1814. FOURNIER.

titutionnel, ne s'était expliqué qu'à titre de «< particulier ». Il admirait, disait-il, avec l'Angleterre, avec l'Europe entière, dans l'empereur de Russie le libérateur de l'Europe, le chef de cette immortelle coalition"; il admirait « la volonté sublime» de donner la paix à l'univers, et ce serait, «tromper le vœu de la Providence que ne point établir cette paix sur des bases inébranlable ». Ce qui le conduisit à cette déclaration: « Une paix, quelque avantageuse qu'elle pút être, faite avec Napoléon n'assurerait jamais qu'une trêve plus ou moins longue à l'humanité. » Il inclinait à en avertir les Français, à les inviter à « séparer leurs intérêts de ceux de leur tyran », à leur promettre de « conclure avec tel maître qu'ils voudraient se donner, hors celui sur la bonne foi auquel ni eux ni les alliés ne sauraient compter ». Toutefois, en leur laissant la liberté du choix, ainsi qu'il convient « à une nation respectable », le régent était d'avis de « leur rappeler l'existence d'une dynastie légitime « Je ne puis, dit-il, que prendre un vif intérêt aux Bourbons et je suis persuadé que l'intérêt politique de l'empereur et sa conviction intime le disposent également en leur faveur, mais dans tous les cas cet intérêt doit être subordonné au vœu de la nation. » Enfin, et c'était l'essentiel, Lieven « avait acquis la certitude » que lord Liverpool, le chef du ministère, partageait au fond la manière de voir du régent... « et qu'il redoutait cette propension extraordinaire du cabinet autrichien à la paix dans un moment où les chances les plus brillantes semblaient ouvrir aux armées alliées la route de Paris' ".

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Ces communications fortifiaient Alexandre; elles désarmaient Castlereagh et Metternich dans l'affaire la plus prochaine la paix sans Napoléon. Quant au second point, le futur gouvernement de la France, Alexandre restait en dissentiment avec Metternich, qui désirait in petto la régence, et Castlereagh, qui, personnellement, se déclarait pour les Bourbons; Alexandre s'en remit aux événements et se réserva de

: CASTLEREAGH, t. I, p.

267.

· Cf. ARNETH: Wessenberg, t. I,

p.

177.

les tirer à lui. Le prince régent tendait à la restauration des Bourbons, sans la proposer; il suffisait à Alexandre pour éviter un désaccord, de ne les point exclure. D'ailleurs on se trouvait à l'aise avec eux. Ils avaient apporté leur gage sur l'article essentiel, les limites. Metternich écrivait à Hudelist, le 9 février: « La question des Bourbons qui chaque jour prend de la consistance, est encore d'ailleurs très problématique... Les Bourbons ont tout récemment consenti la paix que nous réclamons: ainsi peu à peu on en vient à ce que l'on souhaitait.»

Sur ses entrefaites, Metternich reçut la lettre de Caulaincourt', demandant « si la France, en consentant à rentrer dans ses anciennes limites, obtiendrait immédiatement un armistice". Metternich y inclinait, et il saisit les alliés de la question. Mais la scène changea tout à coup. Napoléon était entré en campagne, et le 10 à Champaubert, le 11 à Montmirail, le 12 à Château-Thierry il battit les Russes et les Prussiens. Avec ce retour de génie et ce retour de fortune, le danger que la France ne se soulève, cette résistance nationale que l'on avait tout fait pour paralyser semblent s'annoncer: les paysans tirent sur les cosaques, tuent les traînards, enfin et par-dessus tout le signe qui étonne et alarme à la fois les alliés on ne trouve pas d'espions 2!

Voilà tout remis en question. Il importe à tout prix d'ajourner les querelles, de resserrer les liens et de foncer en masse sur Napoléon; ses victoires mêmes l'affaiblissent, car son armée ne se recrute plus. C'est sous ces impressions que se poursuivirent les pourparlers que l'on a appelés les conférences de Troyes. Les ministres des quatre se réunirent deux fois dans la journée du 12, une fois le 13, sans parler des visites et des conciliabules particuliers. « Mécontentement des Autrichiens contre Alexandre », note Hardenberg dans son Journal: « L'Autriche outrée menace de se séparer. Je fais tout au monde pour concilier. Écrit à l'empereur de Russie... Nuit passée dans l'inquiétude. »

'Du 9 février 1814, ci-dessus, p. 266, arrivée le 11 à Troyes.

2 TREITSCHKE, t. I, p. 542-543.

Metternich posa les questions'; il y en avait sept: Que répondra-t-on au duc de Vicence? Se prononcera-t-on pour Louis XVIII ou laissera-t-on l'initiative aux Français? Comment s'assurer des dispositions des Français sur un changement de dynastie? Quel sera le dernier terme qui leur sera assigné pour se prononcer? Si Paris se prononce pour les Bourbons et si Napoléon reste en armes, que feront les alliés? Entre temps, quelle conduite tenir à l'égard de Louis XVIII, du comte d'Artois et de leurs émissaires au quartier général? Comment gouverner Paris quand on en sera maître?

Les réponses, qualifiées de votes, furent données par écrit, et insérées au protocole. Castlereagh déclara : « Les alliés sont entrés en France pour conquérir la paix qu'ils n'ont pas cru pouvoir faire sur le Rhin » ; si Napoléon accepte une paix qui semble convenable, traiter avec lui, à moins qu'un mouvement national « ne rende douteuse sa compétence à contracter: mais, la paix obtenue, il n'y aurait pas lieu de continuer la guerre « pour détrôner l'individu placé à la tête du gouvernement de la France ». En aucun cas, ne consentir

d'armistice.

L'Autriche et la Prusse s'arrêtèrent aux mêmes conclusions: par la rentrée de la France dans les anciennes limites, « le but de la guerre se trouve entièrement atteint ». Si Napoléon y consent, signer avec lui. Paris ne peut suffire pour constater l'opinion générale du pays. Si le vœu national se prononce pour les Bourbons, Louis XVIII doit être préféré. « Ne point appuyer les prétentions de l'un des princes de la maison de Bourbon au préjudice du principe de légitimité»; mais, en tout cas, à l'égard de tous, conserver un rôle passif.

Le vole russe différait très sensiblement des trois autres : Ne se point prononcer pour Louis XVIII; laisser aux Français l'initiative; « les dispositions de la capitale guideront à cet égard les démarches des puissances » ; si Paris ne se prononce pas contre Napoléon, traiter avec lui; on nommera un gou

Lettre de Münster, 14 février

1 FOURNIER, annexes, III. La crise à Troyes. 1814. RUSSIE, t. XXXI: Conférences de Troyes.

verneur de Paris; « S. M. l'empereur désire que ce soit un gouverneur russe. »

"

Entre le vote de l'Autriche et celui de la Russie, il se produisait, sur un point très délicat du droit public, une opposition fort significative aux yeux d'Alexandre, élevé par La Harpe, à l'école des philosophes, et selon les précédents de la Révolution, Paris représentait la France, et l'assemblée qui serait censée représenter Paris stipulerait pour la France entière; Metternich, au contraire, se sentait agité de scrupules juridiques : une invasion ennemie ne lui semblait point propice à faire exprimer au peuple sa volonté indépendante ». Il se souvenait peut-être des votes de la Belgique en 1793 et des plébiscites de l'Italie en 1796. Il n'admetet c'était un corollaire de sa conception de la réque des corps formés par Napoléon devinssent souverains la chute même de leur auteur et compétents pour par déclarer déchu un prince qu'ils n'auraient pas eu le droit d'élire. Enfin il ne regardait pas moins comme impossible d'attribuer aux votes d'une assemblée d'individus appelés et choisis par les puissances étrangères la valeur de l'expression du vœu national » .

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Ainsi se contredisaient, en leurs formes protocolaires, les propositions des alliés. Dans les propos, l'opposition s'accentuait étrangement. «L'exaspération de l'Autriche et la jalousie. de cette espèce de dictature de la Russie, comme on l'appelle, sont extrêmes. Les Autrichiens ne parlent de rien moins que de s'arranger séparément avec la France plutôt que de se laisser trainer à Paris à la suite de l'empereur de Russie, sans savoir ce qu'il y fera... Ils veulent inciter Votre Majesté à faire bande commune avec eux, écrivait Hardenberg au roi'. Ils disent qu'ils sont sùrs que la Bavière et le Wurtemberg se rangeraient de leur côté. Quel malheur si cela fût réalisé! »

Hardenberg s'entremit. Metternich eut avec Alexandre une longue conférence, le 14 au matin. Il l'endoctrina et lui

1 A Troyes, 14 février 1814. FOURNIER.

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