Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

peine du Grand empire? Cet empire étouffait la France! Quant au sort de la Pologne, nul ne le redoutait, sûr que l'on se sentait de la magnanimité d'Alexandre, de la grandeur d'âme, de la générosité des Anglais, et de leur paix d'Amiens. Rien n'était capable d'ébranler cette illusion acharnée. Plus Napoléon insistait sur la nécessité de dominer la Hollande et l'Allemagne pour garder les limites, plus il persuadait les esprits de son entêtement insensé, de son aveuglement coupable.

Le même jour, il reçut Rœderer, s'informa de Jérôme, en fuite; de Louis, errant; de Joseph, à Mortefontaine, mais tous trois toujours rois dans l'âme, emportant leurs couronnes dans leurs valises, leurs royaumes à la semelle de leurs bottes et cramponnés à leurs parchemins. « Veut-il toujours le trône d'Espagne? Sire, il pense, à ce que je présume, qu'il lui serait encore possible de négocier. Chimère ! Ils ne

[ocr errors]

veulent pas de lui. Ils le regardent comme incapable. Ils ne veulent pas d'un roi qui vit toujours avec les femmes, à jouer... Le roi dépend des femmes, de ses maisons, de ses meubles... Moi, je ne tiens ni à Saint-Cloud ni aux Tuileries. On brûlerait cela, que j'y serais indifférent. Je compte mes maisons pour rien', les femmes pour rien, mon fils un peu... C'est une de mes fautes d'avoir cru mes frères nécessaires pour assurer ma dynastie, ma dynastie est assurée sans eux... » Il parla d'Eugène, à qui il songeait pour la couronne d'Italie, s'il la devait abdiquer : « Il a de l'honneur, le roi n'en a pas... Il n'y a que deux mobiles qui détournent les hommes des mauvaises actions la religion et l'honneur. De la religion, le roi n'en a point... Mon beau-père n'a point d'honneur, mais il a de la religion 2. » Il revint à Joseph, qui revendiquait au moins sa primogéniture. « Il serait mon aîné! Ainé! lui... pour la vigne de notre père, sans doute! - Dans le cas d'ou

1. Ordre que, si jamais les Anglais arrivent au château de Marracq (près Bayonne) on brûle le château et toutes les maisons qui m'appartiennent, afin qu'ils ne couchent pas dans mon lit. » A Caulaincourt, 15 novembre 1813. Religion d'État » comme les entrailles; elle ne l'empêcha point de « mettre auprès de sa fille pour consolateur, « ce polisson de Neipperg". GOURGAUD,

2

[ocr errors]

"

[ocr errors]

t. VIII, p. 330.

verture de la régence, Sire? Oh! dans ce cas, il ferait du trouble, je m'y attends. Voyez l'histoire... Tout a été tranquille cette année... M. de Taillerand a été tranquille..... On ne m'a point fait d'intrigues comme Fouché avec Taillerand, il y trois ans... Si j'avais ici le roi- Joseph et ses grands amis, les Clément de Ris et autres, ils me mettraient tout sens dessus dessous. "

[ocr errors]

Cet entretien, emporté dans la forme, mais parfaitement médité quant au fond, annonçait des résolutions graves au sujet de l'Espagne. Napoléon les couvait depuis plusieurs mois. Il envoya M. de Laforest à Valençay, très secrètement, avec des pouvoirs, et cette lettre pour le prince des Asturies Ferdinand « Mon cousin, les circonstances actuelles de la politique de mon empire me portent à désirer la fin des affaires d'Espagne....... Je désire ôter tout prétexte à l'influence anglaise, et rétablir les liens d'amitié et de bon voisinage qui ont existé si longtemps entre les deux nations. » C'était ramener les choses en avril 1808, le jour où Ferdinand arrivait à Bayonne, les y ramener pour les reprendre à l'envers et décréter l'oubli sur cinq années de guerre atroce et tant de Français inutilement sacrifiés.

Sur ces entrefaites arriva, le 14 novembre, SaintAignan avec son rapport. Napoléon le reçut le 15. « Vous ferez, écrivait-il ce jour-là même à Fouché, tout votre possible pour empêcher que, dans ce pays [l'Italie], on ne se laisse fourvoyer par les promesses fallacieuses de l'Autriche et par le langage fallacieux de Metternich. » Voilà son impression, toute directe et toute vive, à la première connaissance qu'il prit de ces ouvertures de Francfort. Il en perça la feinte, et c'est tout l'esprit de la réponse qu'il fit adresser à Metternich, par Maret, le 16 novembre. Sous le coup de l'expérience de Prague, qui ne justifiait que trop ses prévisions, il opina que les alliés auraient beau jeu à désavouer des insinuations verbales rapportées par un Français sans pouvoirs

[ocr errors]

A Ferdinand, 12 novembre 1813. LECESTRE.

que

et sans mission; qu'il importerait donc d'en obtenir la confirmation par écrit, ce que les alliés accorderaient aisément, s'ils étaient sincères. Il ne pensa point - et il voyait juste les paroles rapportées par Saint-Aignan constituassent un ultimatum à accepter ou repousser par oui ou par non; il y vit une suggestion officieuse en vue de pourparlers à reprendre, à rouvrir, et l'indication d'une base de préliminaires à étendre ou à restreindre; or, sous ce rapport la guerre pouvait le servir, aussi bien que les alliés. Il se borna donc à annoncer simplement l'envoi d'un plénipotentiaire. Selon le vœu des alliés, il désigna Caulaincourt'; ce qui marquait un désir de conciliation. Il se réserva de s'expliquer ultérieurement sur les bases, selon la réponse que feraient les alliés et selon la tournure que prendraient les événements militaires. Il raisonnait avec prudence; mais il comptait sans l'astuce de Metternich et les échos que ce ministres s'était ménagés dans Paris. Napoléon ne négociait qu'en vue des alliés et des réalités de la guerre; Metternich n'opérait qu'en vue du public et de l'opinion à Paris, et il avait touché juste.

Saint-Aignan était fort répandu dans Paris; son beau-frère Caulaincourt davantage encore. Ils se rencontraient chez Mme de Coigny, chez Mme de Vaudémont, qui donnait à diner chaque semaine; où l'on se retrouvait tous les soirs, avec Mme de Laval, avec Pasquier, Molé, Dalberg, Lavalette, Vitrolles, qui savait écouter et entendre, nombre d'amis, confidents ou affidés de Talleyrand, enfin « un comte de S., ancien envoyé de Perse à la cour de France, Piémontais par sa mère, c... allemand par sa femme, Anglais par ses alliances, Russe par une cousine, Français par conquête et espion par gout, état et habitude ». Il y eut, raconte Pasquier, des indiscrétions volontaires, calculées, et on connut bientôt dans Paris les propositions dont M. de Saint-Aignan avait été porteur. Metternich avait dit à Saint-Aignan : « M. le duc de Vicence sait qu'il y a entre nous, sous le sceau du secret, IERNOUF, ch. LXV. Notes de Maret.

"

* Mémoires de Mme de Coigny. Étienne LAMY.

(6

un écrit qui pourrait faire conclure la paix en soixante heures. Tout Paris fut bientôt dans ce secret-là et sut que quelques heures ont tout fait perdre à Prague1», et quelle paix : non seulement les limites, mais la Westphalie, Berg, la Hollande, l'Italie, enfin tout ce qui n'était pas spécifié dans l'ultimatum du 8 août! Maintenant après tant de désastres, Saint-Aignan apporte encore la paix tant désirée, la «< paix des limites", celle dont Napoléon n'a pas su se contenter, et que la France regrette toujours. Personne ne douta ni de la sincérité des alliés, ni de l'authenticité des propositions; SaintAignan en avait été « formellement chargé par M. de Metternich et M. de Nesselrode » ; L'Angleterre « déclarait qu'elle était disposée aux plus grands sacrifices... pour conclure une paix qui serait fondée sur ces bases»!« Elle possède beaucoup, mais elle rendrait à pleines mains 2! »

"

Des bases! Les bases de Francfort! Ces mots sont désormais dans toutes les bouches. Ces bases sont certaines, car elles sont raisonnables, car les limites sont imprescriptibles, tous les gouvernements le déclarent depuis 1795, tout le monde le croit aveuglément. Chacun parle comme s'il avait vu le parchemin merveilleux où il suffisait d'apposer une signature pour mettre fin à tous les maux de la France et de l'Europe et réparer d'un trait de plume la double faute qu'il était devenu classique de reprocher à Napoléon : avoir rompu la paix d'Amiens, ne s'être pas arrêté après Austerlitz. désir de le voir les accepter [ces bases] fut universel, rapporte Pasquier, et il se forma dans le palais, dans la ville, dans le conseil une sorte de ligue pour pousser Napoléon dans cette voie de salut. M. le duc de Vicence en était l'âme et M. de Talleyrand n'y était point étranger. "Le ministre du trésor, Mollien; celui de la police, Savary « étaient des plus prononcés pour une acceptation prompte et franche ». Berthier et «< presque tous les aides de camp pensaient de même ». La Valette y tra

-

« Le

'Caulaincourt à d'Hauterive, 8 mars 1814. — Cf. ci-dessus p. 117, 135, 138, 170. 2 Mémoires de Pasquier, t. II, p. 104. THIERS, t. XVII, p. 43 et suiv. D'HAUSONVILLE, Mélanges, p. 125.

vaillait par le cabinet noir, Pasquier en avertissait l'empereur par les bulletins de « ce qui se disait dans Paris ».

Ce fut un tollé général contre Maret que l'on accusait d'être l'auteur de la réponse malheureuse du 16 novembre. Caulaincourt, « éclairé par les conférences de Prague sur les véritables dispositions des alliés, et très exactement informé par son beau-frère, M. de Saint-Aignan, n'hésitait pas à regarder les dernières propositions comme un ultimatum sur lequel il était indispensable de s'expliquer franchement, si on ne voulait pas que la négociation fùt rompue. » Et tout Paris le répétait après lui, Napoléon finit par s'inquiéter d'une désapprobation si générale; il sacrifia Maret et le remplaça aux affaires étrangères par Caulaincourt. En même temps Daru quitta la secrétairerie d'État pour prendre l'administration de la guerre.

La lettre de Maret, que Metternich reçut le 25 novembre, lui fournit l'occasion de perpétuer l'équivoque et de mettre Napoléon en échec devant l'opinion, sans s'engager lui-même à rien. Il répondit à Maret qu'avant d'accepter un congrès, les alliés désiraient avoir « la certitude que Napoléon admettait les bases générales et sommaires que j'ai indiquées dans mon entretien avec le baron de Saint-Aignan. Il évita, d'ailleurs, de les spécifier, ce que précisément Napoléon voulait obtenir de lui; les mots « bases générales et sommaires trahissaient l'intention de découvrir d'autres exigences, plus particulières et plus détaillées, dans la négociation; les termes indiquées dans mon entretien avec le baron de Saint-Ai

[ocr errors]

ramenaient les feintes ouvertures à leur véritable caractère, n'y ajoutaient aucune garantie officielle, encore moins aucune garantie collective.

Cette lettre fut remise à Caulaincourt. Il y répondit, le 2 décembre. C'était, en principe, l'adhésion à une paix fondée sur l'équilibre de l'Europe et — Napoléon insistait sur ce que Metternich laissait dans l'équivoque « sur la reconnaissance de l'intégrité de toutes les nations dans leurs limites

1 PASQUIER, t. II,
P. 108.

« ZurückWeiter »