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LA COALITION

LES TRAITÉS DE 1815

LIVRE PREMIER

LA COALITION

CHAPITRE PREMIER

DÉFECTION DE LA PRUSSE ET DE L'AUTRICHE

1812-1813

I

Le ressort de la grande armée était faussé 1. L'hiver ne s'annonçait pas encore que, débandée, elle s'éparpillait déjà. L'avarice, du haut en bas, détruisait la discipline. On ne pensait qu'à garder son butin et ses provisions. Brusquement, le 4 novembre, la neige tomba, puis, le 6, le froid prit, subit et intense. Napoléon se trouvait ce jour-là non loin de Smolensk, à Dorogobuje. Il y reçut le premier avis de la conspira

Pour l'ensemble de ce volume: Archives des Affaires étrangères; Correspondance de Napoléon; supplément par LECESTRE; Publications de la Société d'histoire de Russie; HANSARD, Parliamentary History. Correspondances publiées par Ducasse, Bailleu, les Archives Woronzof, Stern. Mémoires et correspondances de Talleyrand, Metternich, Pasquier, Castlereagh, Nesselrode.

:

Ouvrages de FAIN, BIGNON, THIERS, ERNOUF, LEFEBVRE, DE MARTENS : Traités de la Russie, RANKE, DUNCKER, ONCKEN, PERTZ, CAVAIGNAC, FOURNIER, ARNETH, BERNHARDI.

VIII.

1

tion de Mallet. L'émotion qu'il en ressentit fut profonde. Paris ne connaissait point encore le grand échec; rien ne faisait soupçonner en France que la retraite tournait au désastre; et cependant, au seul bruit de la mort de l'empereur, tout l'échafaudage si savamment lié de l'empire avait menacé de s'écrouler. Dès lors, la résolution de hâter son retour s'arrête dans son esprit; dès lors aussi la préoccupation de montrer qu'il est vivant, alerte, et l'importance donnée dans les bulletins à sa santé. Cependant, il différa, pour retenir ce qui subsistait d'armée; il s'exposait même, sans nécessité militaire, et rien que pour relever le moral. Mais tout sombrait. L'inhumanité montait avec la misère et le désespoir; l'égoïsme devenait féroce. Plus de prestige, plus de grades, c'est la lutte pour la vie dans toute son horreur. Ney commande l'arrière-garde, en combattant, le fusil à la main, comme en l'hiver de 1793. Les soldats lui obéissent non parce qu'il est maréchal et duc qu'est un maréchal sans chevaux, sans escorte, sans conseils de guerre, les bottes boueuses, la tète affublée d'un foulard sous le chapeau déformé? On lui obéit parce qu'il se révèle chef, du droit de sa valeur. Il fut la conscience et l'honneur dominant cette foule inconsciente et stupéfaite qui rampait sur la neige.

Aux bords de la Bérésina, vers le 22 novembre, il y eut dégel et débâcle, l'abîme de la boue, l'empoisonnement du marécage, pire encore que le froid. Les ponts restèrent longtemps libres. Les troupeaux d'hommes, harassés, se couchaient, refusant d'aller plus loin; puis, à l'approche des Russes, ils voulurent passer tous à la fois, se bousculèrent, se jetèrent dans l'eau qui charriait, rompirent les ponts.

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Napoléon, jusque-là, dans ses lettres, avait dissimulé : quelques mots seulement, brefs et imprécis. Devant cette déroute hideuse, il avoua. L'armée est nombreuse, mais débandée d'une manière affreuse. Il faut quinze jours pour la remettre aux drapeaux; et quinze jours, où pourrait-on les avoir?... Peut-être cette armée ne pourra-t-elle se rallier

que derrière le Niémen... Il est possible que je croie ma présence à Paris nécessaire... Je désire bien qu'il n'y ait à Vilna aucun agent étranger. L'armée n'est pas belle à montrer... Il y a quinze jours que je n'ai reçu aucune estafette et que je suis dans l'absence de tout '... » Dix-huit courriers manquaient. Il les trouva, pour la plupart, le 2 décembre. Ils lui apportaient les détails de l'affaire Mallet et les nouvelles d'Espagne, toujours au pire. Il écrivit en hâte et partout, envoya Montesquiou à Paris, sans débrider. Au passage cet officier fera mettre dans toutes les gazettes de la Prusse et de la Confédération la « victoire de la Bérésina: 8 drapeaux, 6,000 prisonniers, 12 pièces de canon, » puis, il donnera à Paris, à l'impératrice, « des détails sur la bonne santé de l'empereur et sur l'état de l'armée ». Le XXIX Bulletin, du 3 décembre, se termine par ces mots : « La santé de Sa Majesté n'a jamais été meilleure. » A Maret : « Nous sommes

affamés! "

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Les lettres de Paris ne lui laissaient plus de doute : il lui fallait revenir, précéder la révélation sinistre y préparer par gradation les esprits, supprimer toutes réflexions par sa présence, secouer tout l'empire par son énergie. Le 5 décembre, il quitta l'armée dans le plus grand secret et partit en traineau pour Vilna. Ainsi, treize ans auparavant, il abandonnait son armée d'Égypte; mais alors il courait en France pour y réparer les désastres encourus par autrui ; il y arrivait comme l'espérance. Cette fois, le désastre le frappait en son œuvre propre; il laissait derrière lui le désespoir, il semait l'inquiétude sous ses pas, il apportait la stupeur et le découragement.

Cependant, à Vilna, Maret, s'évertuait à faire bonne figure, officielle au milieu des diplomates en quête de nouvelles, des agents propagateurs de mauvais propos, des espions de toute sorte, et les plus dangereux, parce qu'ils étaient inévi

jour.

A Maret, 29 novembre 1812.

Molodetchna, 2 décembre 1812. Montesquiou partit le 3, à la pointe du

tion de Mallet. L'émotion qu'il en ressentit fut profonde. Paris ne connaissait point encore le grand échec; rien ne faisait soupçonner en France que la retraite tournait au désastre; et cependant, au seul bruit de la mort de l'empereur, tout l'échafaudage si savamment lié de l'empire. avait menacé de s'écrouler. Dès lors, la résolution de håter son retour s'arrête dans son esprit; dès lors aussi la préoccupation de montrer qu'il est vivant, alerte, et l'importance donnée dans les bulletins à sa santé. Cependant, il différa, pour retenir ce qui subsistait d'armée; il s'exposait même, sans nécessité militaire, et rien que pour relever le moral. Mais tout sombrait. L'inhumanité montait avec la misère et le désespoir; l'égoïsme devenait féroce. Plus de prestige, plus de grades, c'est la lutte pour la vie dans toute son horreur. Ney commande l'arrière-garde, en combattant, le fusil à la main, comme en l'hiver de 1793. Les soldats lui obéissent non parce qu'il est maréchal et duc qu'est un maréchal sans chevaux, sans escorte, sans conseils de guerre, les bottes boueuses, la tète affublée d'un foulard sous le chapeau déformé? On lui obéit parce qu'il se révèle chef, du droit de sa valeur. Il fut la conscience et l'honneur dominant cette foule inconsciente et stupéfaite qui rampait sur la neige.

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Aux bords de la Bérésina, vers le 22 novembre, il y eut dégel et débâcle, l'abîme de la boue, l'empoisonnement du marécage, pire encore que le froid. Les ponts restèrent longtemps libres. Les troupeaux d'hommes, harassés, se couchaient, refusant d'aller plus loin; puis, à l'approche des Russes, ils voulurent passer tous à la fois, se bousculèrent, se jetèrent dans l'eau qui charriait, rompirent les ponts.

Napoléon, jusque-là, dans ses lettres, avait dissimulé : quelques mots seulement, brefs et imprécis. Devant cette déroute hideuse, il avoua. « L'armée est nombreuse, mais débandée d'une manière affreuse. Il faut quinze jours pour la remettre aux drapeaux; et quinze jours, où pourrait-on les avoir?... Peut-être cette armée ne pourra-t-elle se rallier

que derrière le Niémen... Il est possible que je croie ma présence à Paris nécessaire..... Je désire bien qu'il n'y ait à Vilna aucun agent étranger. L'armée n'est pas belle à montrer... II y a quinze jours que je n'ai reçu aucune estafette et que je suis dans l'absence de tout '... » Dix-huit courriers manquaient. Il les trouva, pour la plupart, le 2 décembre. Ils lui apportaient les détails de l'affaire Mallet et les nouvelles d'Espagne, toujours au pire. Il écrivit en hâte et partout, envoya Montesquiou à Paris, sans débrider. Au passage cet officier fera mettre dans toutes les gazettes de la Prusse et de la Confédération la « victoire de la Bérésina 8 drapeaux, 6,000 prisonniers, 12 pièces de canon, " puis, il donnera à Paris, à l'impératrice, « des détails sur la bonne santé de l'empereur et sur l'état de l'armée ». Le XXIX Bulletin, du 3 décembre, se termine par ces mots : « La santé de Sa Majesté n'a jamais été meilleure. » A Maret : « Nous sommes affamés! "

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Les lettres de Paris ne lui laissaient plus de doute : il lui fallait revenir, précéder la révélation sinistre y préparer par gradation les esprits, supprimer toutes réflexions par sa présence, secouer tout l'empire par son énergie. Le 5 décembre, il quitta l'armée dans le plus grand secret et partit en traineau pour Vilna. Ainsi, treize ans auparavant, il abandonnait son armée d'Égypte; mais alors il courait en France pour y réparer les désastres encourus par autrui; il y arrivait comme l'espérance. Cette fois, le désastre le frappait en son œuvre propre; il laissait derrière lui le désespoir, il semait l'inquiétude sous ses pas, il apportait la stupeur et le découragement.

Cependant, à Vilna, Maret, s'évertuait à faire bonne figure, officielle au milieu des diplomates en quête de nouvelles, des agents propagateurs de mauvais propos, des espions de toute sorte, et les plus dangereux, parce qu'ils étaient inévi

'A Maret, 29 novembre 1812.

* Molodetchna, 2 décembre 1812. Montesquiou partit le 3, à la pointe du jour.

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