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Le capitaine d'un navire, attaché au service de l'île, m'a reconté l'histoire d'un jeune marin qui, s'étant échappé de Verdun en 1804 ou 1805, réussit à gagner les environs de Boulogne, où il se tint caché au milieu des bois pendant quinze jours. Ce jeune homme s'avisa de construire un petit canot avec des branches d'arbre: des lambeaux de sa chemise lui servirent à le recouvrir intérieurement; mais comme elle ne suffisait pas, il vola un drap dans un hameau du voisinage. Son travail terminé, notre marin se tenait la plus grande partie du jour au haut d'un arbre, afin d'observer les croiseurs anglais. Plein de l'espoir d'en pouvoir atteindre un, il s'avançait enfin, son esquif sur le dos, vers le bord de la mer, et allait s'y aventurer, lorsqu'on le découvrit. On le mit en prison, en attendant qu'il fût jugé comme espion ou voleur. Ceci s'était passé depuis deux jours, lorsque Napoléon arriva à Boulogne. Ce Prince, auquel on montra l'embarcation construite par le pauvre fugitif, eut la curiosité de l'aller voir manoeuvrer. « Mon ami, lui « dit-il, lorsqu'on le lui présenta, tu as donc grande envie de revoir ton pays ? N'y as-tu pas <«< laissé quelque maîtresse? Non, Votre Majesté, répondit Jack; je ne désire revoir que ma << mère qui est vieille et infirme. Te sentirais<< tu le courage de traverser le détroit dans ce

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« ce petit canot ? Qui, si Votre Majesté me le «permet.» Napoléon se tourna alors vers un of ficier de marine qui le suivait : « Qu'on habille à neuf ce jeune homme, dit-il, et qu'on le porte à bord du premier croiseur! Qu'on lui donne aussi cinq napoléons pour sa vieille « mère. Elle doit être une bonne mère, puis-> « qu'elle a un si bon fils (1).». La chose fut ponctuellement exécutée, au grand étonnement et à la grande satisfaction du jeune homme. Je suis, etc.

(1). Ce n'est pas aux tyrans à sentir la nature,

á dit un poète. Était-il un tyran, celui qui se montra, quoique maître de l'Europe, fils respectueux, frère trop attaché, excellent époux et père passionné? C'est pourtant en présence de cette famille, qui croit n'avoir rien perdu que depuis la mort de son chef, que la main de ses implacables ennemis souilla sa pierre tumulaire des noms de Néron, d'Héliogabale, de Louis XI! Mais la reconnaissance d'un pauvre matelot parle plus haut que les rugissemens de l'esprit de parti; et les larmes de ce fils que Napoléon fut digne de comprendre, réchauffent et font tressaillir son cœur, tout poudreux qu'il est, mais dans lequel la grandeur et le pouvoir n'avaient pas étouffé la nature. (R.-W.)

MON CHER

LETTRE VIII.

Rade de Jame's Town, le 8 juillet 1817.

J'AI parcouru aujourd'hui les environs de Longwood. Je suis parvenu à m'entretenir avec un individu attaché à cet établissement, et j'ai appris que le gouverneur venait d'ajouter encore de nouvelles restrictions à celles que je vous ai déjà fait connaître. Ne semblerait-il pas que sir Lowe s'appliquât à démentir, de plus en plus, ce que lord Bathurst a avancé en 1815 dans son discours au parlement?

Voici ces nouvelles restrictions:

1° Aucun Français ne pourra s'écarter de là nouvelle route de plus de dix ou douze pieds. En conséquence on a tracé une nouvelle ligne de démarcation en dedans des limites primitivemens assignées par sir George Cockburn;

2° Nul Français ne peut disposer d'aucune somme d'argent sans en justifier l'emploi. Toutes les demandes et mémoires seront contresignés par l'officier en permanence à Longwood;

3° Il est défendu aux employés civils et militaires, aux agens quelconques et aux habitans de prêter ou communiquer aux Français aucuns journaux anglais, français ou allemands, aucuns livres ou brochures, quelle qu'en soit la matière ;

4° Personne ne pourra les informer de ce qui se passe dans la colonie, ou partout ailleurs, sans encourir les peines prescrites par l'acte du parlement.

Accompagné de plusieurs amis j'ai été visiter cette fameuse route, construite exprès pour le service des exilés. Quatorze ou quinze hommes ont travaillé pendant près de quatre mois à la construire. Elle traverse des terrains arides, et est bordée de ravins profonds. On a eu soin de la détourner des endroits habités, ainsi que des lieux où les mouvemens du terrain eussent offert des grottes ou de l'ombrage. On ne peut la parcourir sans être exposé à toute l'action du vent ou du soleil, ce qui la rendra impraticable pendant l'hiver et l'été.

Pourquoi cette route a-t-elle été si resserrée; pourquoi l'a-ton dénuée d'ombrage et de verdure? c'est d'abord ce que l'on ne voit pas. La chose paraît d'autant plus inexplicable, que Napoléon n'est pas sorti depuis près d'une année. N'y aurait-il dans tout cela qu'une insulte gra

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tuite? En y réfléchissant, on croit y trouver trois principaux motifs :

1° De faire peser sur les Français leur dépendance, qu'ils ne comprennent que trop;

2o De les engager dans de continuelles disputes avec les sentinelles, qui se trouvant à la fois juges et parties, doivent prononcer d'une manière arbitraire sur cette question vague et fugitive: A-t-on dépassé ou non les limites de la route?

5o La plus forte raison paraît être de les empêcher de respirer un air plus frais, et de se reposer auprès de quatre jardins, compris dans les anciennes limites.

La seconde des restrictions, dont j'ai parlé plus haut, ne doit être attribuée qu'à la méchanceté pure, puisque depuis un peu plus d'un an Bertrand n'a disposé que d'une somme de 5000 louis, provenant de la vente de la vaisselle de Napoléon, et de quelques lettres de change, tirées par Las-Cases sur un banquier de Londres, et que ces 5000 louis ont été dépensés à raison de 400 par mois pour payer,

1° Les gages des domestiques ;

2° Une grande partie du blanchissage, attendu que le gouverneur s'y refusait, et divers objets

relatifs à la toilette, etc.;

3° Il fallait encore avec la même somme suppléer à la trop faible quantité de viande, pain

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