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assertions d'Assemani; mais que de réserves ne faut-il pas faire! que de correctifs doit-on y ajouter! Afin de rendre notre pensée plus intelligible, nous descendrons un peu plus bas et nous remonterons un peu plus haut dans l'histoire littéraire des Syriens.

Les auteurs indigènes nous apprennent et les faits nous démontrent qu'il se développa dans la littérature araméenne, et en particulier dans la grammaire, deux influences étrangères fort nuisibles à la langue syriaque'. L'une, celle des Arabes, domina en Orient; elle a laissé des traces assez visibles dans la littérature nestorienne. L'autre, partie de Byzance, rayonna sur toute l'Asie occidentale. Antioche était plutôt une ville grecque que syrienne. Édesse, Mélitine et l'Arménie se ressentaient aussi de la longue influence qu'avait exercée la domination byzantine, et eurent pendant longtemps des écoles et des couvents où le grec était enseigné, appris, écrit et parlé avec un zèle digne des plus grands succès. D'ailleurs, la communauté de croyances entre les Grecs et les Orientaux avait établi de bonne heure entre eux un contact et des rapports incessants, d'où était résulté un échange perpétuel d'idées sur toutes les matières dont la science peut faire son objet.

La version Peschitho, le monument écrit le plus ancien de toute la littérature araméenne, nous permet de constater cette influence à une époque reculée et nous fournit un criterium pour apprécier les progrès qu'elle fit durant les âges suivants : elle contient déjà des mots grecs, mais en petit nombre. Ce sont, en général, des noms de lieux, des dénominations de dignités ou de fonctions peu connues chez les Syriens. Quant à la phrase elle-même et aux allures du discours, elles demeurent sémitiques, et on ne voit pas que le grec les ait entamées. Il en fut ainsi pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne et tant que les événements ou le temps n'amenèrent pas des changements plus profonds et plus étendus. Mais

1Œuvres grammaticales de Bar-Hebreus, II, 3 Ms. du Musée Britannique 31454, fol. 28.

à la longue, de grandes modifications s'opérèrent dans les idées et dans les mœurs des Araméens. A force de fréquenter les écoles d'Antioche et d'étudier le grec, les Syriens modifièrent leur langage et adoptèrent des procédés étrangers à leur idiome. Le fait devient frappant dans la célèbre version PhiloxenoHéracléenne faite sur le grec et dans un pays grec. Plus exacte et plus scrupuleusement fidèle que la Peschitho, elle conserve si bien l'empreinte de l'original, en reproduit si servilement les expressions ou les tournures, qu'on pourrait presque le reconstruire avec elle, s'il venait à se perdre. Le succès qui accueillit son apparition et la vogue qu'elle a eue dans l'Asie occidentale, nous autorisent à y voir, comme dans un mi. roir fidèle, un reflet des préoccupations du temps, une image des idées régnantes dans la philologie et la critique de l'époque. Elle est une preuve vivante de la faveur que les études grecques retrouvaient dans les écoles de la Syrie au commencement du vir° siècle, et l'on peut voir en elle les origines d'un mouvement littéraire dont il a été déjà question ici même et auquel se rattachent les travaux de l'école ḥarkaphienne.

Ce mouvement, qui ne faisait alors que s'accentuer, progressa avec lenteur jusqu'au moment où Jacques d'Édesse. parut. Mais avec lui, les études recouvrèrent une partie de leur ancien éclat, malgré les troubles politiques de l'époque. On se passionna pour le grec : les couvents se peuplèrent de travailleurs infatigables, et de là vient qu'une grande partie des traductions syriaques ou arméniennes remontent au VIII° siècle. On se livra avec une espèce de fureur à ces travaux et on n'en évita pas tous les écueils. On emprunta une foule d'expressions inutiles; on ne se borna pas à imiter les originaux, on les calqua, on les copia servilement. On vit naître enfin une grécomanie semblable, sauf les différences inhérentes au temps et au pays, à celle que l'on retrouve plus tard en Occident à l'époque de la Renaissance.

Parmi les conséquences les plus ridicules et les plus nuisibles de cette imitation servile des Grecs, il faut signaler les

modifications qu'on introduisit dans l'orthographe des noms propres. Déjà Thomas d'Harkel avait donné dans ce travers, mais sans approcher des extravagances où l'on tomba depuis, car il est certain qu'on a retouché son œuvre 1. En voulant reproduire aussi exactement que possible la véritable prononciation des mots, on multiplia les semi-voyelles et on fit perdre à l'araméen cette noble simplicité, cette simplicité élégante qui caractérise les écrivains de l'âge d'or. Jacques d'Édesse fut un des plus ardents promoteurs de ce mouvement littéraire; il eut à lutter plus d'une fois contre de vives répugnances, et ce n'est pas sans avoir eu beaucoup à souffrir qu'il parvint à faire triompher ses idées. La Syrie connut alors, en effet, une espèce de querelle des classiques; la ville d'Édesse en fut troublée, et, dans un moment d'indignation contre les Byzantins, elle chassa de ses murs son évêque qui semblait trop enclin à les favoriser. Celui-ci supporta l'exil plutôt que de renoncer à ses opinions, et continua à promouvoir ses réformes du fond même de sa retraite. On doit lui reprocher d'avoir poussé beaucoup trop à l'imitation de l'orthographe grecque. Sa lettre à Georges de Sarug, ses traductions, sa correspondance, en un mot tous ses écrits, trahissent cette tendance qu'on pourrait appeler la grécisation. Peut-être ne fut-il point le chef des docteurs occidentaux appelés Karkaphiens, mais il est le représentant le plus distingué de leur école, celui dans lequel on retrouve plus complétement tous les traits qui caractérisent leurs œuvres. Il tourna son attention du même côté que ces écrivains, composa une grammaire et rédigea des Kourosse sch'mohoïe, cspèces de correctoria, où ses successeurs trouvèrent le modèle de leurs travaux linguistiques. Ses disciples exagérèrent son système, et l'orthographe servilement imitée du grec avait atteint ses limites extrêmes au x° siècle, c'est-à-dire au plus beau temps de l'école karkaphienne 2.

'Bernstein, Das heilige Evangelium des Johannes, Syrisch, Vorbericht. v. 2 Voir les divers ouvrages cités précédemment. Voici quelques exemples

On s'est demandé souvent si Jacques d'Édesse n'avait pas connu et introduit chez les Syriens l'usage des voyelles grecques comme signes graphiques. M. Wright semble incliner vers l'affirmative, en s'appuyant sur quelques faits paléographiques observés dans deux manuscrits de Nitrie (no 17134, 14429) qui remontent à l'époque de Jacques d'Édesse, si l'un n'a même pas été écrit de sa main. Il est bien vrai que les voyelles grecques sont ajoutées en quelques endroits dans ces deux manuscrits; mais ne sont-ce pas là des additions faites à une date postérieure, et pouvons-nous croire que, si elles émanaient de la main du célèbre évêque d'Édesse, il ne nous l'aurait pas appris dans quelqu'une de ces notes dont ses écrits nous le montrent si prodigue?

Nous serions plutôt porté à penser que l'introduction des voyelles grecques dans l'écriture araméenne est due à l'initiative des docteurs karkaphiens, auxquels se rattache, du reste, le célèbre restaurateur des études chez les Syriens. On n'a, il est vrai, sur ce point aucun témoignage explicite et positif, mais une foule de faits semblent concourir à démontrer la légitimité de cette assertion. Leurs manuscrits sont d'abord les plus anciens où l'on rencontre cette ponctuation rigoureusement appliquée dans toute leur étendue; les voyelles sont de la même main que le reste de l'écriture; on a essayé de les combiner de diverses manières pour traduire toutes les nuances de son et de prononciation, par exemple les diphthongues au, eu, ou, ïou. Nulle part, enfin, on n'a dépensé autant de soin pour les noter que dans les manuscrits de cette école. Il semble donc légitime de conclure que l'introduction de ces signes dans l'alphabet araméen appartient à la famille des Massorèthes karkaphiens; et ce qui

.ܙܒܪܐܐܡ,ܦܐܘܠܘܣ, ܦܐܛܪܘܣܘܐܢܓܐܠܝܳܐ : le celte étrange orthographe

. Bar-Hebreus attribue expressément à Jacques d'Édesse des Kourosse sch'mohoïe (Œuvres grammaticales, I, 246). Il y a aussi dans le ms. 14467, I, b. du Musée Britannique un autre témoignage qui aurait même une certaine importance si l'on pouvait le lire intégralement.

rend cette opinion plus vraisemblable, c'est le témoignage de Bar-Hebreus qui leur attribue une opinion particulière sur les voyelles syriennes '.

Telles sont les réflexions que nous suggère et les faits que nous rappelle l'examen des fragments du Tourotso d'mam'l'lo retrouvés et publiés par M. Wright. On nous pardonnera de nous être étendu un peu longuement sur une publication composée d'un petit nombre de pages, en voyant qu'elle est destinée à faire époque dans les études syriaques. On regrettera de ne pas avoir tout entier l'ouvrage du docte évêque d'Edesse, et peut-être ces regrets, éveillant l'attention de quelque consul européen, le feront-ils retrouver dans les monastères qui subsistent encore en Asie. Plusieurs évêques orientaux nous ont assuré que ce livre ne leur élait pas inconnu : nous apprendrions avec bonheur que ces lignes ont aidé à ressaisir les traces de cette œuvre perdue, et nous accueillerions avec infiniment de plaisir l'annonce de sa publi cation.

L'abbé MARTIN.

NOTE SUR LE CHAPITRE DU FARHANG-I-DJEHANGIRI
RELATIF À LA DACTYLONOMIE.

Après que mon travail eut été publié dans le numéro d'aoûtseptembre 1871 de ce Journal, M. Defrémery m'a fait remarquer que S. de Sacy avait déjà donné la traduction, sans le texte, de ce même chapitre dans le t. III du premier Journal asiatique. Je m'y suis reporté, et j'ai constaté que deux vers seulement y sont expliqués: celui de Sanayi, commençant par: Ce qui du côté gauche, etc. et celui de Khāqānī, com

1Œuvres grammaticales, I, 3. Journal asiatique, 1872, I.

* Ce tome manque précisément dans la bibliothèque de la Société, ce qui explique, jusqu'à un certain point, comment j'ai ignoré l'existence de cette traduction.

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