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Je les avais fait escorter pendant 12 lieues sur la route de Bagdad; mais ces Turcs, au lieu de s'y rendre, se jetèrent dans Jaffa, défendirent la place à outrance, et furent cause que je perdis un grand nombre de braves avant de m'en emparer. Sans le renfort que ces misérables donnèrent à la garnison de Jaffa, mes soldats n'auraient pas été sacrifiés. D'ailleurs, avant d'attaquer cette ville, j'avais envoyé un parlementaire. Presque aussitôt, nous vîmes sa tête au bout d'un pieu planté sur la muraille. Si je leur avais pardonné, et que je les eusse encore laissé aller sur parole, ils se seraient rendus directement à Saint-Jeand'Acre, pour y recommencer leur conduite de Jaffa.

Je devais à la sûreté de mes soldats et à ma qualité de père, de veiller à l'intérêt de mes enfans, et de ne pas permettre que ces prisonniers renouvelassent de pareils excès. Il était impossible que je consentisse à laisser une partie de mon armée, déjà réduite par la perfidie de ces misérables, pour les garder. Enfin, agir autrement que je n'ai fait, c'eût été vouloir la destruction de mon armée. En conséquence, usant des droits de la guerre, d'après lesquels j'étais le maître de faire mourir des prisonniers faits dans une semblable circonstance, de ceux qu'a le vainqueur sur une ville prise d'assaut, et des représailles contre les Turcs, j'ordonnai que les prisonniers fussent fusillés. J'en agirais encore de même demain, et tous les généraux qui auraient commandé

une armée, en de semblables circonstances, en auraient fait autant '. »

A ces motifs, des écrivains qui n'ont Bonaparte, en ont ajouté d'autres.

pas flatté

L'armée déjà affaiblie par les pertes des siéges d'El-Arych et de Jaffa, l'était encore par des maladies dont les ravages devenaient de jour en jour plus effrayans. Elle avait de grandes difficultés pour vivre, et le soldat recevait rarement sa ration complète. Ces difficultés de subsistance devaient s'augmenter à cause des mauvaises dispositions des habitans. Nourrir les prisonniers de Jaffa, en les gardant, était, non-seulement accroître les besoins de l'armée, mais de plus la gêner dans ses mouvemens. Les renfermer dans Jaffa, c'était, sans détruire le premier inconvénient, faire naître celui de la possibilité d'une révolte, vu le peu de monde qu'on pouvait laisser pour garder la place. Les envoyer en Égypte, c'était s'obliger à faire un détachement considérable, qui aurait réduit de beaucoup les troupes de l'expédition; leur laisser la liberté sur parole, c'était, malgré tous les engagemens qu'ils pouvaient prendre, les envoyer grossir les ennemis et particulièrement la garnison de Saint-Jeand'Acre; car Djezzar n'était point homme à respecter les promesses faites par ses soldats, peu religieux eux-mêmes sur un point d'honneur dont ils ignoraient la force. Il ne restait donc qu'un parti qui conciliât tout; il était affreux, et ce

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pendant on se crut, à ce qu'il paraît, obligé de le prendre'. La garnison passée au fil de l'épée, présenta l'une de ces scènes d'horreur que justifient les lois nécessaires et terribles de la guerre '.

Nulle considération, même l'impérieuse loi de la nécessité, ne pouvaient justifier, selon les uns, la violation d'une capitulation, ni, suivant d'autres, le contrat tacite, équivalent, qui se forme entre les vaincus et leur vainqueur, lorsqu'ils déposent les armes, et qu'il les fait pri

sonniers.

Comment, dans une ville prise d'assaut, au milieu du carnage, des assiégés, poussés dans

leurs derniers retranchemens, renoncent à se défendre, demandent grâce, mettent bas les armes, et sont épargnés par le soldat! Et l'on appelle cela une capitulation !

La suspension des coups du soldat, envers un ennemi qui demande grâce, équivaut-elle à un contrat? Est-elle valable sans la sanction du général? Oui, répondront les moralistes et les philantropes; non, diront le politique et le guerrier. La vie de l'ennemi qui se rend à discrétion, appartient au vainqueur, comme celle des habitans désarmés, innocens, d'une ville emportée d'assaut et livrée au pillage. C'est le droit de la guerre.

Chez les peuples civilisés, les mœurs et l'usage

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tempèrent ordinairement l'atrocité de ces lois. Encore les a-t-on vus, dans les guerres civiles ou nationales, égorger le vaincu qui se rend, et jusqu'aux prisonniers. Le sol de l'Espagne a été plus d'une fois ensanglanté par ces odieuses représailles; mais ces cruelles exceptions sont le droit commun des peuples barbares. Envers qui Bonaparte se serait-il montré humain et généreux ? Envers un ennemi sans foi, qui égorgeait ses prisonniers, qui ne répondait aux sommations ou aux ouvertures de paix, qu'en coupant la tête aux messagers et aux parlementaires; qui assouvissait sa rage brutale jusque sur des cadavres, et se faisait des trophées de leurs têtes. Si, renvoyant sur parole les prisonniers de Jaffa, certain que le lendemain il les retrouverait armés contre lui, Bonaparte eût éprouvé une défaite, c'est alors qu'on l'aurait accusé, avec raison d'avoir compromis le salut de son armée par une sotte générosité et une folle imprévoyance.

Quelque insensibilité que l'on suppose à un général, depuis longtemps accoutumé au spectacle des champs de bataille, il est absurde d'admettre que celui qui, des murs sanglans de Jaffa, écrivait au Directoire, que jamais la guerre ne lui avait paru aussi hideuse, et qu'il avait fait fu

'C'était et c'est un fait de tout temps notoire et avéré. Miot lui-même dit au sujet de la mort du malheureux Mailly, qui périt dans le premier assaut de Saint-Jean-d'Acre: Jamais les Turcs auxquels nous faisions la guerre ne faisaient de prisonniers (page 164). En ménageant la garnison de Jaffa, il n'y avait donc pas même l'espoir d'être imité par les Turcs.

siller des prisonniers, eût cru avoir commis une action odieuse, et eût voulu, prófitant du droit rigoureux de la guerre, flétrir, par un massacre inutile, une si belle gloire, une si grande renommée..

Certes, s'il usa de son droit, en se portant à cette dure extrémité, il faut bien croire qu'un général qui savait tout prévoir et tout calculer, eut, pour s'y déterminer, des raisons majeures, que, malgré l'éloignement des temps et des lieux, aucun homme impartial ne peut méconnaître.

Cependant la peste régnait dans l'armée. Depuis qu'elle avait quitté les confins de l'Égypte`, elle avait toujours marché au milieu de ce fléau, le traînant avec elle. A Qatieh, on avait reconnu des pestiférés dans la division Kléber, venant de Damiette. On en avait trouvé à El-Arych . Pendant le siége de Jaffa, plusieurs malades avaient péri rapidement d'une fièvre pestillentielle, accompagnée de tumeurs bleuâtres aux aines et de pétéchies gangreneuses. Le sac de la ville où la peste régnait, les rapports des soldats avec les femmes du pays, et surtout l'imprudence qu'ils commirent en s'emparant d'un grand nombre de pelisses et d'habillemens turcs qui en étaient infectés, étendirent les progrès de la maladie dans l'armée. Le général en chef ordonna à tous les

I

Larrey, Relation chirurgicale de l'armée d'Orient.

Assalini, dans son ouvrage sur la peste, attribue aux exhalaisons des cadavres des Turcs fusillés à Jaffa, les premiers germes de la maladie qui affligea bientôt les Français. Il est évident qu'il y a ignorance ou mauvaise foi dans cette assertion.

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