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Ces longues marches, devenues vaines par une suite de contre-temps inouïs, ont éloigné l'armée de sa ligne d'opérations, renfermée jusqu'alors entre la Seine et la Marne. On se voit avec inquiétude transporté aux débouchés des Ardennes; les craintes sur ce qui se passe derrière nous augmentent avec les distances qui nous séparent de la Seine. On ne reçoit aucune nouvelle de Lusigny, on n'en reçoit aucune de Châtillon: sans doute les alliés, revenus de leurs alarmes, auront eu honte des avances qui ont failli leur coûter la suspension des hostilités; sans doute le ministre anglais, mettant à profit l'assurance que rend aux plus timides le retour de la fortune, n'aura pas manqué de prendre des précautions contre les vicissitudes à venir! Ces conjectures auxquelles on se livrait avec anxiété n'étaient

que trop fondées; l'Angleterre venait de faire signer le traité de Chaumont.

Par ce traité, qui porte la date du 1er mars, les souverains, resserrant leur alliance, s'étaient engagés à ne pas se départir du projet de renfermer la France dans ses anciennes limites. Il est même probable que l'idée de renverser Napoléon du trône venait d'être agréée; mais, par condescendance pour l'Autriche, on devait encore tenir quelques conférences à Châtillon pour voir si le duc de Vicence pourrait se résoudre à signer le traité.

Ces résolutions n'ont été connues que plus tard; mais déjà il est évident que les affaires deviennent plus difficiles; de noirs pressentiments commencent à se répandre, et Napoléon lui-même est plus sombre !

Toujours sur les pas de l'ennemi, il ne voit de tous côtés que dévastation et incendie. Il n'est entouré que de malheureux habitants, qui, dans leur désespoir, poussent bien plutôt des cris de vengeance que des cris de paix. « Vous aviez bien » raison, sire, »lui disent dans les termes les plus énergiques, et d'une commune voix, tous les habitants des pays que nos armes délivrent un moment de l'ennemi, « vous aviez bien raison » quand vous nous recommandiez de nous lever

» en masse. La mort est mille fois préférable aux > vexations, aux mauvais traitements, et aux » cruautés qu'il faut endurer lorsqu'on se soumet » au joug de l'étranger.

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Le désespoir général est devenu une arme contre l'ennemi: Napoléon s'en saisit. Il entreprend de donner même aux plus faibles cette espèce d'énergie que peut inspirer la peur. Il laisse un libre cours aux cris de vengeance : le Moniteur se remplit de toutes les plaintes, de tous les gémissements des malheureux habitants de Montmirail, de Montereau, de Nangis; des souffrances de Troyes, et des horreurs plus récentes encore dont les plaines de la Ferté-sous-Jouarre et de Meaux viennent d'être le théâtre. Toutes les villes que la guerre a frappées de son fléau envoient des députés à Paris pour y peindre leur situation et demander des vengeurs! Partout des enquêtes sont faites : les maux sont si grands, qu'on n'a pas besoin de les exagérer. Les ressentiments et l'effroi sont donc mis en jeu dans toute leur vérité pour suppléer à l'ardeur que le patriotisme seul aurait dû rallumer. On invoque les grands exemples de l'antiquité : on rappelle ce que la France a fait en 1792; on s'anime même par l'exemple de ce que l'Espagne, la Russie et la Prusse viennent de faire contre nous ! Dans

ces circonstances extrêmes, on ne peut avoir recours qu'aux mesures extrêmes; mais, il faut le dire, ces mesures produisent à Paris et dans les grandes villes un effet tout contraire à celui qu'on veut obtenir. On y est trop civilisé pour avoir la résolution des Russes et des Espagnols. L'imagination des citadins s'effraie de la violence du parti qu'on leur propose; ils reculent devant le tableau trop hideux que la guerre leur présente les récits de tous ces députés, échappés de l'incendie et des ruines de leur province, abattent les esprits au lieu de les relever; et l'on demande encore plus hautement la paix, puisqu'elle doit mettre un terme à tant d'horreurs.

Dans les campagnes, au contraire, tous les hommes sont déjà soldats; il ne s'agit plus que de les rallier.

Avant de quitter le bourg de Fismes, Napoléon signe un décret par lequel non seulement il autorise, mais même requiert tout Français de courir aux armes, à l'approche de nos armées, pour seconder nos attaques. Dans un second décret du même jour, Napoléon prononce le supplice des traîtres contre tout maire ou fonctionnaire public qui refroidirait l'élan de ses administrés, au lieu de l'exciter.

Ces décrets reçoivent la plus grande publicité,

mais aucune suite n'est donnée à leur exécution.

On ne tarde pas à s'apercevoir que Napoléon, en les rendant, a moins voulu se procurer une ressource militaire qu'un épouvantail politique. Ces appels, ces démonstrations de levée en masse, dont nos journaux sont devenus les trompettes, vont frapper l'attention des souverains alliés : peut-être intimideront-ils la haine des rois en leur faisant entrevoir jusqu'où peut aller cette guerre, si elle est poussée de part et d'autre avec trop d'acharnement.

Plus les circonstances deviennent critiques, moins Napoléon voudrait prolonger l'excursion dans laquelle il s'est engagé. Cependant il ne peut se résoudre à renoncer à la poursuite des Prussiens sans les avoir mis, du moins pour quelque temps, hors d'état de revenir sur nous. Maintenant qu'ils sont derrière l'Aisne, et qu'ils ont pu se réunir aux renforts que les armées du nord leur fournissent, on doit croire qu'ils ne refuserent pas davantage le combat: Napoléon ne cherche plus qu'à presser l'événement.

Dans la nuit du 4 au 5 mars, le général Corbineau est détaché de Fismes, avec la cavalerie du général Laferrière-Lévêque, pour aller s'emparer de Reims, dont la possession est trop utile en ce moment pour la laisser à l'ennemi. Le général

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