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qu'entre les poches des contribuables et les coffres du roi, il y avait les ministres et les traitants, qui, tous, depuis le premier jusqu'au dernier, depuis Mazarin et d'Émery jusqu'au plus infime de leurs commis, volaient impudemment par eux-mêmes, par leurs amis ou par leurs créatures. Puis il ajoutait, par la bouche d'Omer Talon « Bien que la France semble avoir été exempte des maux de la guerre, parce que les armées du roi ont été portées dans les pays étrangers, il est vrai pourtant que les préparatifs nécessaires pour l'entreprendre et la faire réussir, les grandes et immenses sommes levées sous ce prétexte, le passage et l'insolence des gens de guerre ont désolé le plat pays, incommodé les bonnes villes et réduit le royaume dans une extrémité de langueur qui menace l'État d'une ruine complète. >> Aussi le Parlement ordonnait-il (17 décembre) de publier un arrêt de police rendu sur la proposition du procureur général contre les violences, outrages et exactions de gens de guerre (Molé 111, 305).

1649.- Notons-le en passant, ce cri de malédiction contre l'armée, fléau de la France, ne cessera pas de retentir un seul jour pendant le règne de Louis XIV, et l'année 1649 s'ouvre par un arrêt du Parlement (8 janvier), qui enjoint à tous et à chacun de sonner le tocsin et de courir sus aux hommes d'armes 2. Nous sommes retombés aux jours maudits du moyen âge, à ces appels incessants à la révolte, à ces ordonnances royales de 1357 et 1358 qui provoquèrent la sanglante explosion de la Jacquerie.

4. O. Talon, 297. 24 octobre. —16 mai 1648. Mandement du licutenant en la prévôté de la ville de Troyes aux habitants des paroisses du ressort de ladite ville, à l'effet d'informer des désordres et exactions des gens de guerre qui ont eu passage et lieux d'assemblées en leurs dites paroisses pendant le dernier quartier d'hiver.

2. Isambert, Anc. lois françaises, XVII, 118.

« Ce fut une résolution nécessaire à prendre, que de se défendre et d'armer le plus puissamment pour obliger le roi à prendre d'autres pensées (Molé, 320). »

C'est Matthieu Molé lui-même qui a écrit ces lignes dans lesquelles la guerre civile est amnistiée et glorifiée. Quel trouble étrange devait agiter les consciences vulgaires, et quelles proportions le mal avait-il acquises, pour que le premier président du Parlement, la personnification vivante de la loi, l'homme stoïque, l'homme du devoir, ait pu concevoir une telle pensée et émettre de pareilles maximes!

D'Émery avait dévoré par avance les années 1649, 1650 et 1651. Il avait engagé les finances du roi de plus de 100 millions vis-à-vis des maltôtiers, et l'État ne subsistait plus que de retranchements qu'il faisait sur les offices et sur les rentes. La banqueroute passait à l'état chronique. On comprendra tout ce qu'avaient dû subir les gens sans autorité, sans appui, sans protections, quand on saura que les compagnies souveraines n'avaient pu s'opposer au retranchement d'un quartier de leurs gages; les présidiaux ne touchaient rien des leurs; les trésoriers de France, les élus, les grenetiers et tous les officiers comptables n'en touchaient rien non plus, car ce qu'on semblait leur en laisser était épuisé en droits nouveaux et imaginaires. Puis, de tous ces retranchements et de toutes ces taxes, d'Émery avait traité avec les partisans, qui avançaient quelques deniers moyennant de fortes remises et en se chargeant des recouvrements à opérer. Tout le monde était atteint, était ruiné, même les personnes de condition modeste : « Les artisans seuls, et les gens de journée subsistaient dans les villages; car, n'ayant aucuns meubles qui pussent être saisis, ils vivaient de l'argent qu'ils recevaient de leur travail. Dans Paris, la plupart du luxe était fondé sur les gros intérêts que le roi payait, les marchands

ayant la plupart abandonné leur trafic ancien pour mettre leur argent dans cette espèce de négociation infâme (0. Talon, p. 300). »

Pour solder l'armée que l'on se disposait à lever, le Parlement établit une chambre des finances composée d'officiers du Parlement, de la Chambre des Comptes et de la Cour des Aides: même elle comptait des trésoriers de France parmi ses membres. Ses séances se tenaient chez le premier président. Là, on pesait à la légère la fortune des particuliers, et l'on établissait arbitrairement des taxes sur ceux que l'on estimait être les plus aisés. Des délateurs venaient officieusement informer que des personnes lancées dans le parti de la cour avaient caché de l'argent on mettait la main sur ces sommes, en abandonnant une prime de dix pour cent pour prix de la trahison. En une semaine, on se procura ainsi 600,000 livres 1.

« On ignore communément, dit un écrit du temps 2, que les traitants ont mis le pied sur la gorge quasi d'un chacun, et ont réduit à une si triste et si rigoureuse nécessité, les uns, qu'ils ont été contraints d'abandonner leur patrie pour aller servir dans les pays étrangers, en des conditions sordides et indignes de leur courage; les autres ont demeuré dans la France cherchant leur misérable vie, n'ayant pour retraite que les hôpitaux, ou des granges, ou des masures, ou des cavernes souterraines et obscures qui leur ont servi presque de tombeau... Leur vie n'était pas une vie, mais une mort vivante... Les uns, réduits à un funeste désespoir, ont eu quelquefois l'envie de finir leurs jours par un licol, ou en se précipitant dans les rivières ou

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2. Description des vies, mœurs et façons de faire des péagers, publicains, maltótiers, monopoleurs, fermiers et partisans, 1649.- Bibl. Imp., Lb39 565.

les abîmes. Les autres, succombant sous le faix de leurs afflictions inconsolables, ont perdu patience, et ne pouvant subsister davantage, ont été mis avec violence et animosité en des prisons et traités comme des malfaiteurs... Enfin les autres, dans les bois et ailleurs, ont servi de pâture, avec leurs femmes et enfants, aux bêtes farouches... Voilà comme ils ont traité, depuis plusieurs années, mille, mille et mille Français, qu'ils ont moins estimé que les bouchers ne font les bœufs et les moutons qu'ils tuent pour vendre à la boucherie...»

Donc, le 8 janvier, le Parlement avait lancé le manifeste de la guerre civile. La nature se mit de la partie. La peste était dans le midi, et, de Marseille, menaçait de remonter jusqu'à Lyon (G. Patin, I, 77). Depuis Sully jusqu'à Angers, les plus riches contrées de l'Orléanais, de la Touraine et de l'Anjou étaient ruinées par les furieuses inondations de la Loire, « de sorte qu'il n'y eut point de récolte cette année-là, et qu'une infinité de personnes y périrent de faim 1. » Dans l'élection de Saumur, à Varennes-sous-Montsoreau, à Saint-Lambert, à Saint-Martin, tout fut perdu, arbres et vignes périrent, les bestiaux furent entraînés, les terres ensablées, les maisons abattues sur les cadavres des habitants surpris par le fléau : l'air empesté sema la mort dans ces riches vallées. Dans l'élection d'Angers, les digues furent rompues en plusieurs endroits, les pertes surtout furent immenses sur la commune des Rosiers-sur-Loire. Il fallut, malgré les pressants besoins d'argent qui tourmentaient la cour, faire remise aux habitants des élections d'Angers, de Saumur et de Chinon, de l'arriéré des tailles et des tailles elles-mêmes, pendant dix ans, pour leur permettre de relever leurs digues. Le Rhône inonda le Dauphiné, endommagea les ponts de Lyon,

4. L'abbé Faillon, Vie de M. Olier, II, 62.

de Saint-Esprit, d'Avignon. Paris également était sous l'eau, « ce qui, dit la Gazette de Renaudot, ne nous incommode pas moins que les troupes qui sont logées aux environs d'ici. » On ordonna des prières de quarante heures dans toutes les églises 1. L'hiver qui suivit fut des plus rudes. Pour affamer Paris, la cour chargea les maréchaux du Plessis et de Grammont d'empêcher les vivres d'y pénétrer. Mais le haut prix des denrées qu'ils parvenaient y faire entrer décidait les cultivateurs à tout braver. Alors ces généraux reçurent l'ordre de piller et de ruiner tous les villages dans un rayon assez étendu, et bientôt Paris ressentit les premières tortures de la faim 2.Condé, pour le moment opposé à la cour, concourait au même but, bien que poussé par un autre mobile, et, ne pouvant solder ses troupes, il leur accordait également le pillage des lieux où il passait en vainqueur3.

Les lettres de l'abbesse et réformatrice de PortRoyal, la mère Angélique Arnaud, ajoutent quelques traits au tableau des forfaits inouïs de l'armée:

Imaginez-vous, écrit-elle à l'une des religieuses de son ordre, qu'on trouva avant-hier une pauvre femme veuve qui a un enfant de cinq mois qu'elle voulait tuer par faiblesse d'esprit, et parce qu'elle mourait de faim, afin d'aller quérir un nourrisson qui la fit vivre... C'est une chose horrible que ce pauvre pays;

1. Delamare, Traité de la Police, III, 544.—Ordon. du 24 mai 1651. - Mémoires de Matth. Molė, III, 320.

2. Mém. de du Plessis- Praslin, 400.

« Le pain ne venait plus de Gonesse, à cause des quartiers d'armée qui étaient à Saint-Denis et à Aubervilliers, commandés par le maréchal du Plessis. Les bouchers n'osaient plus aller à Poissy, où était le régiment des gardes, et le chemin de Bourg-la-Reine leur était interdit par les troupes qui étaient à Saint-Cloud et à Meudon sous le maréchal de Grammont, et le château de Vincennes ôtait le passage aux blés de la Brie.» (Montglat, 204.)

3. Toute la journée se passa à l'attaque de Charenton, et au pillage qu'on en donna à l'infanterie (Bussy-Rabuțin, I, 481). »

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