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un complément de la révolution; ç'a été l'exercice d'une tyrannie farouche et sanglante, et non un abus ou un accès de la liberté. Le parti de la Gironde qui a abattu la royauté a péri par la terreur, et le chef de cette terreur a été ce Robespierre qui, dans les premiers jours d'Août, se portait encore pour défenseur de la royauté. La terreur n'a donc pas été la suite et l'effet nécessaire de la révolution, elle a été l'ouvrage de quelques scélérats intervenus dans la révolution, ou qui s'y sont rencontrés, et qui s'en sont emparés à la faveur des circonstances. Et faut-il les rappeler ces circonstances? fautil retracer la souffrance de ce peuple impatient et aveugle, à une époque où les revers militaires se succédaient rapidement, et où les subsistances poursuivies par des assignats avilis, se dérobaient à ses besoins? Alors il appartenait, par ses appréhensions et par ses fureurs, non à ceux qui pouvaient le mieux le servir, mais à eux qui savaient le mieux le flatter; alors son sort était de se livrer à des scélérats subalternes qui n'avaient pas même besoin d'être des factieux hardis; et c'est ainsi que la révolution est tombée dans les mains qui devaient la déshonorer. Le secret de l'organisation de la terreur, ce secret ignoré de ceux qui en ont tiré le plus de parti, a consisté uniquement en ces trois choses le resserrement des subsistances par l'émission désordonnée des assignats; l'irritation du peuple par la crainte de la famine; sa corruption par les assignats même et par la spoliation des proscrits. Voilà les circonstances à l'aide desquelles un petit nombre de scélérats revêtus de l'autorité nationale, ont pu oser tous les crimes. On a attribué à l'ascendant de leur génie un pouvoir qu'ils ne durent qu'au malheur du peuple et à sa profonde ignorance. Ces circonstances qui ont favorisé la terreur ne naissaient point immédiatement de la révolution, elles étaient étrangères à ses chefs. Ces hommes qui n'avaient pas fait la république et qui ont fait périr ses auteurs, ne peuvent pas être considérés comme ses contimateurs nécessaires, comme les fidèles observateurs de l'esprit et des

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intentions dans lesquels elle a été fondée. Encore une fois, leurs crimes sont un affreux accident dans cette graude Histoire, et n'entraient pas dans la marche naturelle des évènemens.

Si les crimes de la terreur ne sont pas une suite de la révolution, non plus que la révolution l'ouvrage immédiat de la Philosophie, il faut qu'ils aient été immédiatement commandés par elle, pour que Rivarol soit fondé à les lui attribuer. La Philosophie a-t-elle commandé la terreur, voilà donc ce qui nous reste à examiner.

Avoir prescrit la terreur, ce serait avoir prescrit tous les crimes; la question se réduit donc à savoir où, comment, par quel organe, par la voix ou par la plume de quel Philosophe moderne, la Philosophie a prescrit la spoliation, le pillage, la proscription, le meurtre, le massacre. Ainsi réduite, il est plus difficile de concevoir comment on a pu la proposer, que de prévoir comment on peut la résoudre. Est-ce Montesquieu, est-ce Voltaire, est-ce Rousseau, est-ce Diderot, est-ce Mably que Rivarol prétend accuser? Mais tout le monde connait comme lui ces écrivains, et personne n'y citerait une ligne propre à accréditer le systême de la terreur. On a reproché à Diderot d'avoir prêché l'abolition de la propriété ; mais outre qu'abolir la propriété serait toute autre chose qu'autoriser l'envahissement des propriétés et la proscription des personnes, il est reconnu faux que Diderot ait fait ce Code de la nature dont on lui a fait un crime. Quant à Mably, il a véritablement déclamé contre les richesses, .contre la propriété ; mais ç'a été en politique spéculatif et nullement en orateur séditieux; ç'a été contre la doctrine qui a fait des riches et non contre les riches; ç'a été contre les Législateurs de tous les tems, et non contre les lois sur lesquelles reposaient, dans son pays, la propriété et la sûreté des citoyens. Au reste, les ouvrages de Mably ne sont pas la Philosophie moderne, tous les Philosophes modernes ne sont pas dans Mably. Mably fut publiciste plutôt que Philosophe. Jamais on ne l'a mis sur la ligne

de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau, ni pour le talent ni pour le genre de ses ouvrages. Tout le monde connaît son déchaînement continuel, dans la société, contre Voltaire, et les deux vers pleins de mépris par lesquels Voltaire le punit de vingt années d'injures.

Mais quelle preuve encore que Mably ait dirigé les principaux agens de la terreur? Est-ce la citation que quelques-uns ont faite de quelques-unes de ses phrases? Mais autre chose est le motif du crime, autre chose la couleur que le scélérat veut y donner avant de le commettre, ou l'excuse dont il se sert après l'avoir commis. Que quelques conspirateurs, dans le procès de Babœuf, que quelques orateurs du Comité de salut public de la Convention, aient cité Mably, cela n'accuse pas plus Mably que Cartouche n'eût accusé l'Imitation de Jésus-Christ, s'il l'eût citée pour prouver le néant et le danger des richesses. C'est une exagération puérile d'attribuer à de vaines opinions rencontrées par peu d'hommes, dans les pages d'un livre sans autorité, la puissance d'inspirer les desseins accomplis par la terreur, et d'en organiser le régime. Il est ridicule d'attribuer à trois pages de Mably un pouvoir bien autre que celui de l'Évangile et de l'Alcoran. Ce qui a enfanté les crimes de la terreur, je le répète; c'est la souffrance populaire poussée jusqu'à la frénésie par des scélérats qui avaient le besoin du crime et une grande autorité politique. Ce qui a enfanté les Billaud, les Collot, les Baboeuf, c'est le même concours de circonstances qui ont fait des scélérats dans tous les tems, et qui en ont élevé plusieurs à des places éminentes d'où ils pouvaient répandre les calamités aux plus longues distances. S'ils ont invoqué la Philosophie, ç'a été comme des scélérats de cour ont invoqué autrefois la religion pour des proscriptions religieuses; s'ils ont entouré la hache révolutionnaire de sentences philosophiques, c'est comme des assassins royaux ont écrit dans d'autres tems le nom de Dieu sur leurs drapeaux, comme les Pontifes qui les conduisaient ont répandu les bénédictions sur leurs

poignards. Ils auraient invoqué l'Évangile comme le plus respecté des livres, s'il n'eût été dans leurs vues d'en frapper les Ministres; quelques-uns d'entre-eux n'ont-ils pas même essayé de placer Jésus à leur tête (1)? S'il était un écrivain auquel on pût attribuer le régime de la terreur, ce serait Machiavel; je m'engage à montrer que les feuilles de Marat sont pleines de ses vues et de ses principes : eh bien, l'ont-ils jamais cité, ont-ils jamais invoqué son nom? Ils s'en sont bien gardés, parce que ce nom était généralement abhorré. Eh, comment interdire l'hypocrisie à la scélératesse toute puissante ? S'il était possible d'empêcher qu'elle ne prit un masque, ne serait-il pas facile de l'empêcher d'être?

Un seul argument appuie l'accusation de Rivarol au sujet de la terreur : c'est que Robespierre, le plus obscur satellite de la Philosophie moderne, s'est, dit-il, élevé au trône de la terreur par un sentier que les Philosophes lui avaient ouvert de leurs mains et pavé de leurs tétes. Certes, il y a dans ce peu de mots, beaucoup de mauvaise logique, (sans parler du mauvais goût.) Si l'auteur avait dit : « La preuve que la terreur est née de la Philosophie, c'est que Robespierre, le plus éminent des Philosophes, s'est élevé au trône par un sentier que les Philosophes avaient pavé de la tête des ennemis de la Philosophie », on entendrait ce raisonnement; il n'y manquerait que la vérité de fait. Mais comment entendre sans un peu de pitié, accuser les plus grands Philosophes des crimes de leur plus vil satellite, et les en accuser sur-tout, parce que leurs têtes lui ont servi de pavé? Quoi, vous prouvez qu'ils ont été ses complices, parce qu'ils ont été ses victimes? Mais des Nobles, des Prêtres n'ont-ils pas aussi péri sous les coups de la terreur? Pourquoi donc ne diriez-vous pas tout aussi bien que la

(1) Jésus fut proclamé réellement le premier des sans culottes dans plusieurs écrits révolutionnaires.

terreur

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terreur a été l'ouvrage volontaire du Patriciat et du Sa cerdoce?

Une preuve que la Philosophie n'a pas enfante lescent crimes de la terreur, c'est que Robespierre en le donnant était le détracteur de la Philosophie, l'ennem des Philosophes, le vengeur de l'Eternel, tout comme Mr. de Rivarol. Il a égalé M. de Rivarol en injures contre les hommes les plus respectés, comme lui les a accusés d'athéisme, comme lui a accusé l'athéisme de tous les maux qu'il voulait réparer. Rivarol était Philosophe pour Robespierre, comme Robespierre l'est pour Rivarol; «Les Philosophes, a dit Robespierre (1), étaient pour la plupart des charlatans ambitieux; ils déclamaient quelque fois contre le despotisme, et ils étaient pensionnés par les despotes; ils fesaient tantôt des livres contre la cour, et tantôt des dédicaces aux rois, des discours pour les courtisans, des madrigaux pour les courtisanes. Ils étaient fiers dans leurs écrits, rampans dans les anti-chambres'; ils réduisaient l'égoïsme en systême, regardaient la société humaine comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste et de l'injuste, la probité comme une affaire de goût ou de bienséance, le monde comme le patrimoine des fripons adroits ».....

« Les Philosophes se sont tous déshonorés dans la révolution, reprend Robespierre; et à la honte éternelle de l'esprit, la raison du peuple en a fait seule tous les frais. Hommes petits et vains, rougissez. Les prodiges qui ont immortalisé cette époque de l'Histoire humaine ont été opérés sans vous et malgré vous: le bon sens sans intrigue, le génie sans instruction ont porté la France à ce degré d'élévation qui épouvante votre bassesse et qui écrase votre nullité ». L'anathême lancé par Robespierre contre la Philosophie, l'hommage qu'il fait au peuple de la révolution, à ce peuple que Rivarol appelle anthropo

(1) Rapport du 18 floréal de l'an II.

An VIII. 1r. Trimestre.

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