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la marque de cet esprit exclusif qui rétrécit son génie. Ce trait lui est commun avec les plus illustres hommes de guerre, sauf peut-être avec ce Vauban, qu'il avait pris pour modèle.

Ces faiblesses furent rares chez lui. Il sut s'entourer, et il y fallut du courage, de collaborateurs excellents, sortis tous de l'ancienne armée : Lacuée de Cessac, Montalembert, Favart, Laffitte-Clavé, d'Arçon, gens d'étude et de ressources qui constituèrent à l'armée française, dès la fin de 1793, le premier état-major général qu'il y eût alors en Europe. Ils opèrent sur un terrain qu'ils connaissent d'expérience; ils discernent, d'après les correspondances des diplomates, les mouvements politiques des alliés; ils pressentent, ils devinent, ils mesurent d'instinct les déplacements constants des masses qu'opère la Pologne; ils spéculent sur les dissensions, ils profitent des incertitudes, et tous leurs plans se fondent sur ces calculs.

Leur stratégie est celle qui convient le mieux à une armée de formation récente, plus capable d'entraînement que de manœuvres patientes, qui ne peut s'aguerrir que par la victoire, qui ne peut vaincre qu'en attaquant et triompher que par l'élan et par le nombre; c'est celle aussi que la politique conseille envers une coalition aux membres lourds et disloqués, qui opère avec art des mouvements de détail, mais ne parvient jamais à porter des coups d'ensemble. Condé, aux débuts de sa carrière, demandait à Turenne quelle conduite il devait tenir dans la guerre de Flandre : « Faire peu de sièges, répondit Turenne, et donner beaucoup de combats. Quand vous aurez rendu votre armée supérieure à celle des ennemis par le nombre et par la bonté des troupes (ce que vous avez presque fait par la bataille de Rocroi), quand vous serez bien maître de la campagne, les villages vous vaudront des places'. » Ces maximes étaient classiques. Dumouriez s'en était inspiré à Jemappes. Carnot et son état-major s'en firent un système, et ils changèrent la tournure de la guerre.

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Les commissaires de la Convention les aidèrent souvent, et les génèrent plus souvent encore.

Ces commissaires, c'est la Convention même qui se transporte dans les camps avec son despotisme, son énergie et ses factions. Leur œuvre est complexe, comme celle de l'Assemblée qu'ils représentent. On retrouve parmi eux, ce qu'on voit dans le Comité de salut public, les hommes de tyrannie et les hommes de guerre, opérant côte à côte, en conflits les uns avec les autres, souvent avec eux-mêmes; car il y a moins entre eux des divisions de parti que des divisions d'âme, et le même conventionnel a pu passer, sous le coup des circonstances, presque instantanément du rôle de terroriste à celui d'intendant du salut public. « Emplois redoutables », disait l'un d'entre eux, « où le moment de la réflexion était sans cesse absorbé par la nécessité d'agir'. » Leur tâche est d'activer les concentrations d'hommes et les approvisionnements; de maintenir la discipline; d'attiser le feu dans les cœurs; d'empêcher tout à la fois les soldats de se trop attacher à leurs chefs, les chefs de se trop attacher à leur gloire; de forcer les généraux à vouloir, la troupe à obéir, tous à vaincre. Ils donnent, dans l'ensemble, une impulsion formidable; mais, en même temps, par leurs complaisances aux délateurs, leur complaisance aux flatteries, leurs partialités, leurs révocations arbitraires, leur goût à souffler les rivalités entre les généraux, leur intolérance politique, leur esprit de discorde, l'incohérence et le despotisme de leurs ordres, ils créent presque autant d'obstacles qu'ils contribuent à en abattre.

L'ennemi, qui recevait les coups, ne se trompa point sur la main qui les portait. Un officier de l'ancienne armée royale, passé au service de la Russie et chargé par Catherine de suivre les opérations des alliés, écrivait après la campagne de 17932:

1 JEANBON SAINT-ANDRÉ, Discours à la Société des sciences de Mayence, 1804, cité par SAINTE-Beuve, Nouveaux Lundis, t. VIII, article JEAN Bon. Voir Wallon, Les représentants du peuple en mission, 5 vol. Paris, 1890.

2 Mémoires de Langeron: Campagnes de 1793 en Flandre et en Alsace. Mémoires sur la guerre, janvier 1794.

• Les désastres de cette campagne ont eu pour principales causes la prodigieuse activité des Français, leur audace, leur ténacité et la lenteur et la circonspection des Autrichiens. » Si l'on attaque les Français, si on les surprend, ils se défendent mal; mais ils sont supérieurs dans l'offensive. C'est, poursuit Langeron, un spectacle étonnant, au premier abord, que donnent ces généraux sans naissance et sans éducation, commandant à des paysans à peine armés. Cependant ces généraux font des plans, et ces soldats les exécutent. « Il est possible d'expliquer cette énigme par le génie naturel des Français et leur impulsion dans l'attaque, et plus que tout autre par la formation de leur comité dirigeant, composé d'officiers du corps du génie et de l'artillerie, joignant à une connaissance parfaite du théâtre de la guerre celle de la collection des excellents mémoires faits par les généraux de Louis XIV et de Louis XV et par leurs états-majors... Les généraux, en suivant les plans de ce comité, feront toujours une campagne savante, si la composition de leur armée ne leur permet pas d'en faire une brillante... Les Français choisissent leur terrain, cachent leurs masses derrière un rempart de canon, et opèrent avec vigueur sur un seul point et avec toutes leurs troupes... >> « Le projet insensé et affiché de morceler la France >> a passionné les esprits. « La guerre est devenue nationale pour les Français; chaque Français, de quel parti qu'il fût dans le fond de son cœur, s'est armé contre les spoliateurs. Les armées républicaines fortes d'une multitude d'hommes naturellement braves, que la misère, la faim et la terreur de la guillotine rendent furieux, ne sont plus telles qu'elles étaient au commencement de la guerre; d'abord inférieures en nombre, en talent, en ressources, en habitude de la guerre à leurs ennemis, elles leur sont maintenant supérieures en tout, excepté en courage. » Les Français ont pour eux « le génie supérieur et ardent qui dirige, l'activité et la ténacité qui exécutent, l'audace qui ose tout, la folie même dont les écarts conduisent au succès, l'unité d'accord, le besoin de la guerre, la nécessité de vaincre... Le comité

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dirigeant les opérations est aussi supérieur aux généraux des alliés, que les Condé, les Turenne et les Luxembourg l'étaient aux Juan d'Autriche et au prince d'Orange'..

Ainsi, au mois de janvier 1794, le territoire de la France était délivré, l'armée vendéenne écrasée, les séditions royalistes étouffées, les insurrections fédéralistes anéanties, Louis XVI et Marie-Antoinette n'existaient plus, les frères de Louis XVI étaient reniés ou abandonnés de l'Europe, les émigrés dispersés ou enrégimentés en mercenaires, la France les exécrait, l'Europe les délaissait. La nation française entière était en armes; les troupes se formaient rapidement sous des chefs consacrés par la victoire. « L'année d'épreuves était terminée, rapporte Soult. Maintenant les rôles étaient changés. » Les armées républicaines étaient mûres pour l'offensive, et elles s'y disposaient. La coalition, un instant formidable, vacillait et se lézardait. Si la Terreur avait été un instrument de salut public, la raison d'État ne l'imposait plus; mais le salut public n'avait jamais été que le prétexte de la Terreur; le salut des terroristes et leur tyrannie en étaient la seule raison d'être, elle redoubla donc, par l'effet de sa propre cause; elle devint plus féroce à mesure qu'elle parut plus inutile, et, comme pour découvrir elle-même sa monstruosité, les ennemis de la République étant abattus, elle s'acharna sur les républicains.

1 Cf. dans ZEISSBERG, t. IV, p. 117 et suiv., le rapport de Mack en mars 1794: La discipline n'a jamais été aussi sévère dans aucune armée française; leur espèce nouvelle de généraux vaut peut-être mieux que celle de l'ancienne armée. Mercy, dans un rapport à l'Empereur, confirme ce jugement; 9 mars 1794, Id., p. 128 et suiv. Mallet du Pan transmet les mêmes renseignements. SAYOUS, t. II, p. 23 et suiv. Comparer l'impression d'un simple soldat français : « C'est la disci pline qui a fait tous nos succès et qui a excité l'admiration de l'Europe.» LOREDAN LARGHEY, Journal de Fricasse, p. 35.

FIN

TABLE DES MATIÈRES

I. L'INVASION.

LIVRE PREMIER

L'INVASION ET LA RÉPUBLIQUE.

CHAPITRE PREMIER

LA GUERRE D'indépendance NATIONALE.

Août-septembre 1792.

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