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de satisfaire ses goûts de lecture, sans que la politique vint aussitôt lui barrer le passage! Il sortit tout colère du cabinet maudit, et se dirigea vers la Bibliothèque nationale. Elle était fermée; les livres étaient sens dessus dessous.

Il prit un fiacre pour aller visiter la manufacture des Gobelins. Quand il arriva, il entendit des gens assurer qu'on avait fait un auto-da-fé des plus riches tapisseries de l'établissement, parce qu'elles avaient le chiffre royal et les armes de France. Aussi, la collection lui sembla-t-elle moins intéressante qu'il ne s'y était attendu.

Il se rendit à l'Hôtel des Invalides, où l'on avait affublé de bonnets rouges les saints ou les empereurs qui décoraient le monument.

Il apprit qu'on avait supprimé toutes les académies, et qu'il ne lui restait à voir que le Conservatoire des arts et métiers, nouvellement créé, ainsi que l'École normale, d'aussi fraiche date, et destinée à rendre l'enseignement uniforme dans toute la république, et enfin la pyramide en bois élevée sur la place des Victoires nationales, et portant les noms des départements et des citoyens morts au 10 août, ainsi qu'une espèce de petite chapelle en l'honneur de Marat, sur la place du Carrousel, et devant laquelle une sentinelle se tenait jour et nuit.

Le 6 thermidor, notre provincial se décida à rendre visite à son parent le geolier. Il arriva le soir, au moment où celui-ci signifiait aux prisonniers leurs actes d'accusation, ce qui s'appelait, en style adopté, le journal du soir. Parmi les gens qu'on appela se trouvaient André Chénier et Roucher, auteur des Mois, tous deux hommes de lettres, ainsi que Goësman et le baron de Trenck. Il assista au journal du soir. Son parent, qui ne lui semblait pas aimable, exécutant de pareilles fonctions, venait faire l'appel des condamnés, qui tremblaient entendant le bruit des bières roulantes qui allaient les emmener, accouraient au guichet, et écoutaient avec une attention et une anxiété impossibles à dépeindre.

On appela André Chénier, coupable d'avoir écrit, en 1790, dans le Journal de Paris, quelques articles contre les clubs des jacobins, et que son frère Joseph n'avait pu ou n'avait voulu sauver des bourreaux. On appela ensuite le poëte Roucher. dont un de ses amis, le peintre Suvée, achevait au moment même le portrait. Attendez un instant, fut la réponse de Roucher au guichetier. Et il sortit, après avoir écrit ces vers au bas de son portrait, — quatrain adressé à sa femme et à ses enfants :

Ne vous étonnez pas, objets charmants et doux,
Si l'air de la tristesse obscurcit mon visage:
Lorsqu'un crayon savant dessinait cette image,
On dressait l'échafaud, et je songe is a vous (a).

Le lendemain, ils étaient guillotinés.

a Cité dans les Esquisses historiques de Dulaure.

Notre provincial avait lu les jolis vers de ces deux poëtes qu'on envoyait à la mort. Le 7 thermidor même, il repartit pour Gonesse, triste au-delà de toute expression, heureux de rentrer dans sa petite ville, pour assister à la société populaire, dont jusqu'alors il n'avait pas eu la moindre idée.

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Son voyage à Paris en avait fait un homme politique.

A peine était-il revenu au pays, que la relation de sa promenade pouvait sembler de l'histoire ancienne.

Il se passa tant de choses à Paris, quelques jours après son départ!

Le séjour du provincial à Paris lui sembla par la suite un rêve, une vision terrible, un cauchemar. Lorsqu'il quitta la capitale, la terreur touchait à son terme; deux jours après, les rênes du gouvernement appartenaient aux conspirateurs du café Corazza, aux partisans de Tallien.

Par cet épisode, où nous n'avons glissé aucune réflexion qui nous soit personnelle, le lecteur a pu se figurer la situation de Paris, et, conséquemment, des provinces, pendant le triumvirat de Robespierre, de Couthon et de SaintJust, pendant les missions de Carrier, de Barrère. et de leurs amis dans les départements.

Reprenant maintenant notre rôle d'historien, nous ferons observer que, quels que fussent d'ailleurs les moyens employés par Robespierre, son but était de revenir à des idées de gouvernement un et fort. Sa chute ne fut pas semblable à celle des girondins, des dantonistes, des indulgents. Elle tint à

une question de personnes, de personnes seulement. En réalité, le parti robespierriste n'allait pas mourir avec Robespierre, ou bien alors, la Révolution allait rétrograder. Les ennemis du triumvir, approuvaient au fond son système, et l'on verra que la puissance qu'ils substituèrent par la suite à la convention nationale, ne fut autre qu'une unité gouvernementale. Par malheur, les excès du régime de la terreur avaient séparé les Français en deux camps, les révolutionnaires, les contre-révolutionnaires. La masse intelligente de la nation s'était trop habituée à ne voir que Robespierre dans tous les actes qui avaient coïncidé avec son passage au pouvoir, et bientôt ceux mêmes qui avaient renversé le tyran pour se mettre en sa place, lu parurent indignes de la commander. Si l'on comprend maintenant l'autorité des généraux d'armées, et plus encore l'influence morale qu'exerçait la guerre sur les affaires de l'intérieur, on ne s'étonnera pas, qu'en désespoir de cause, n'ayant plus à craindre les moyens révolutionnaires, n'ayant plus à espérer la mise en pratique des théories et des principes républicains, la France se soit donnée à un soldat. Les ennemis de Robespierre, ont eu pour premier tort de renverser le triumvir avant d'avoir pu lui substituer une autorité ferme et stable. La politique, au dedans, devenant molle, sans principes, irrésolue; la guerre, au dehors, étant constamment juste, digne, admirable, il en résulta que la même pensée cumula la politique et la guerre; et nous eûmes le premier consul!

Le chapitre suivant exposera la réaction thermidorienne.

FIN DU CHAPITRE VINGT-SIXIÈME.

CHAPITRE XXVII.

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Dernier discours de Robespierre. Il est généralement accusé. — Journée du 9'thermidor. · Arrestation de Robespierre et de ses amis. Adresse au peuple de Paris. Troubles. Proclamation au maire et aux patriotes de Bercy. Le peuple se met à la hauteur de la liberté. Mort des triumvirs. Commencements de la réaction. Le peuple français ou le régime de Robespierre. Le 9 thermidor ou la surprise anglaise. Les formes acerbes. Le temps resserrant les nœuds des frères et amis. Notre-Dame de thermidor, de septembre, La queue de Robespierre. J.-J. Rousseau au Panthéon. Bataille de Fleurus et affaires de la guerre.

Le jour même ou Pichegru prit Anvers et Jourdan Liége, la réaction s'opéra contre les robespierristes.

Robespierre se rendit à la convention (a), et fit un discours violent par lequel il espérait imposer silence à ses ennemis, et auquel il travaillait depuis longtemps. Dans ce discours, où il commentait toute la révolution française, il essaya de ramener à lui la convention qui lui échappait, en désavouant toutes les mesures odieuses qu'on lui avait imputées, pour en charger la mémoire de ceux qui avaient succombé pendant sa dictature. « Est-ce nous s'écria-t-il, est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes, et porté la terreur dans toutes les conditions? Ce sont les monstres que nous avons accusés... Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes, avons promené le glaive sur la plus grande partie de la convention nationale? qui demandions, dans les sociétés populaires, la tête de six cents représentants du peuple? Ce sont les monstres que nous avons accusés. » « On disait aux nobles : C'est lui seul, Robespierre, qui vous a proscrits; on disait aux patriotes : Il veut sauver les nobles; on disait aux prêtres : C'est lui seul qui vous poursuit, sans lui vous seriez paisibles et triomphants; on disait aux fanatiques : C'est lui qui détruit la religion; on disait aux patriotes persécutés : C'est lui qui l'a ordonné, ou qui ne veut pas l'empêcher... En voyant la multitude des vices que le torrent révolutionnaire a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'a

Le 8 thedor.

tremblé quelquefois d'être souillé, aux yeux de la postérité, par le voisinage impur de ces hommes pervers, qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé tous les vices. Il ont cru qu'il ne s'agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et prospère; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés contre tout ce qui s'oppose à leurs projets, a tracé la ligne de démarcation entre eux et tous les gens de bien.» «‹ Ainsi donc, des scélérats nous imposent la loi de trahir les peuples, sous peine d'être appelés dictateurs! Souscrirons-nous à cette loi? non ! Défendons le peuple, au risque d'en être estimés. Qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu. Dirons-nous que tout est bien? Continuerons-nous de louer, par habitude ou par pratique, ce qui est mal? Nous perdrions la patrie. Révélerons-nous les abus cachés? dénoncerons-nous les traîtres? on nous dira que nous ébranlons les autorités constituées; que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? notre devoir. Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité, et qui consent à mourir pour elle? Disons donc qu'il existe une conspiration contre la liberté publique; qu'elle doit sa force à une coalition criminelle, qui intrigue au sein même de la convention; que cette coalition a des complices dans le comité de sûreté générale et dans les bureaux de ce comité (a); qu'ils y dominent; que les ennemis de la république ont opposé ce comité au comité de salut public, et constitué ainsi deux gouvernements; que des membres du comité de salut public entrent dans ce complot; que la coalition, ainsi formée, cherche à perdre les patriotes et la patrie. Quel est le remède à ce mal? punir les traîtres, renouveler les bureaux de sûreté générale, épurer le comité de salut public lui-même, constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la convention nationale, qui en est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions sous le poids de l'autorité nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté : tels sont les principes. S'il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive le taire; car que peuton objecter à un homme qui a raison, et qui sait mourir pour son pays? Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n'est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patric. Les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits tant que la horde des fripons dominera. »

Les discours sont peu concluants en histoire; mais ce dernier, il faut en convenir, révèle tout Robespierre. Cet homme considérait la tribune comme une forteresse d'où il lançait contre ses ennemis la foudre de ses accusations.

a Robespierre savait bien qu'il avait tout à redouter du comité de sûreté générale

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