Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

CHAPITRE XXVI.

Promenade d'un provincial à Paris pendant la terreur.

Le premier décadi de thermidor, un provincial débarqua dans une petite cour de messageries, rue du Bouloy.

Il était vêtu d'une petite carmagnole ou veste bleu de roi (c'est-à-dire bleu de tyran), d'une culotte de nankin clair, et d'un chapeau rond, à bords relevés. Il faisait le voyage de Paris, pour son agrément, et venait visiter cette capitale dont on lui avait dit monts et merveilles. Ce jeune homme était de Gonesse, qui, pendant tout le temps de la révolution avait joué un rôle peu important, et en était encore à exposer, dans ses rues, des caricatures sur le tiers-état, dans lesquelles la noblesse faisait la corvée.

[graphic][graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small]

lait en purée! mais de bel et bon numéraire; à l'effigie du ci-devant Louis

Capet. Il n'avait pas oublié, aussitôt arrivé, d'acheter, sous l'arcade de la Cour des Fontaines, un Itinéraire d'occasion, mais dont, par malheur, il n'avait pas examiné le millésime. Ce livre portait la date de 1786.

Muni de son Itinéraire,

il se dirigea vers une marchande de jouets d'enfants, et lui adressa la parole: - Citoyenne (il savait qu'on ne disait plus madame, voudriez-vous bien m'enseigner le chemin du Palais-Royal? Il en était à deux pas.

La marchande le regarda avec surprise : Dis donc, beau muscadin, est-ce que t'est-un aristocrate? parle mieux qu'ça. Tutoie.

Notre voyageur s'exécuta, recommença sa question, en mettant les tu à la place des vous; mais il répéta encore le mot Palais-Royal.

- Dis donc Palais-Egalité.

[blocks in formation]

Le jeune provincial se trouva dans le Palais-Egalité, où il se promena long-temps, occupé à regarder les boutiques, qui s'y trouvaient déjà en assez grand nombre. Il tombait de surprise en surprise; tout objet l'étonnait, et lui arrachait des exclamations. Chez un bijoutier, il vit des tabatières en argent aux emblèmes républicains, des boucles d'oreilles de femme à la guillotine; des bagues en argent et en or à la Marat, aux martyrs de la liberté; des épingles de chemises au bonnet de la liberté, formées de pierres bleues, blanches et rouges; de riches boutons d'habits ciselés et dorés avec les portraits de Marat, de Chalier, de Lepelletier de Saint-Fargeau, d'autres avec une guillotine; enfin, un cachet de timbre en argent représentant également une guillotine.

-

Il ne comprit pas bien pourquoi toutes ces choses étaient si vénérées. Il ouvrit son vade-mecum, et voulut se renseigner lui-même sur la rue de Richelieu, qu'on lui avait assuré être fort belle. Vous dire combien de temps il chercha décidé qu'il était à ne rien demander aux passants, -nous semble chose inutile. Il voulait connaître la rue de Richelieu, et n'apercevait sur le fatal écriteau que le mot rue de la Loi. Par bonheur, une ancienne inscription, au coin de celle Honoré, n'avait pas été bien effacée. Il se promenait depuis une heure dans la rue qu'il cherchait, et s'expliqua, après mûre réflexion, que son Itinéraire n'était plus de circonstance, qu'on l'avait dupé, et qu'il fallait bien vite en acheter un autre.

L'occasion ne se fit pas attendre. Il se trouva devant la boutique d'un libraire ayant pour enseigne: A Notre-Dame-de-la-Guillotine. Il eut comme un frisson à cette lecture, mais enfin, il entra, et demanda un itinéraire... pour l'année 1794-(appuyant sur le mot).

Le libraire était un tout jeune homme, aspirant à l'Ecole de Mars, à devenir page de Robespierre. Il s'avança vers le provincial, et lui dit, avec un certain grognement significatif : Tu es un suspect, un fédéraliste impuni. Non pas, citoyen, je t'assure, fit l'acheteur, avec excellente conte

[ocr errors]

nance.

Tu ne sais donc pas que nous sommes dans l'an II de la liberté, de l'égalité, de la fraternité.

J'oubliais...

[ocr errors]

- A la bonne heure: sais-tu qu'il y a là, camarade, de quoi te faire aller dans ce que les ennemis du peuple surnomment l'antichambre de la guillotine (a), puis, dans ce qu'ils appellent poétiquement, les scélérats! - la bierre roulante (b), belle charrette qui te conduirait à la grande guillotine du faubourg de Gloire (Saint-Antoine), où tu ne tarderais pas à mettre la tête à la chatière (c), comme dit le bon Achard, pour de là être enterré au cimetière, en terre libre. Cela t'arriverait aussi vrai que je m'appelle Niveau, de mon nom républicain (d)! Niveau! ce nom-là vaut bien celui de Leroy, ci-devant de Montflabert, juré du tribunal révolutionnaire, qui se fait appeler dix-aout!

Le provincial éprouva une sorte d'étourdissement.

Cependant le libraire prit un livre dans ses rayons, et le présenta au voyageur, en disant: il coûte une livre vingt-cinq centimes.

Notre jeune homme paya et sortit, pendant que le marchand, lui faisant des offres de service, lui proposait, entre autres ouvrages, La République ou le Livre de Sang, qui, disait-il, était d'une grande énergie républicaine, et « formait les bons citoyens. >>

Le nouvel itinéraire avait bien la date voulue. En guise des anciennes approbations, le provincial lut ces mots, en forme de tableau :

UNITÉ, INDIVISIBILITÉ

DE LA RÉPUBLIQUE

OU LA MORT (e)

Puis, feuilletant, il rencontra cette phrase au milieu du livre : Cette barrière est celle des Vertus «< bien moins rares chez des hommes libres qu'elles ne l'étaient parmi les esclaves ou les satellites des despotes (f.) »

Ah! mon Dieu! m'y voilà ; j'ai ce qu'il me faut, s'écria-t-il !

Et il parcourut une foule de rues, parmi lesquelles il remarqua celles de la Raison, de Marat, d'Hébert, de Chalier, de Lucrèce- Vengée, du 31 mai, autrefois celle du Petit-Bourbon.

Au détour de la rue du Champ du Repos (des Martyrs) et du faubourg Mont-Marat Montmartre), un homme lui donna une feuille volante. C'était

a) La Conciergerie.

b) Les charrettes conduisant à l'échafaud.

e. A étre guillotiné.

d. Un homme changea son nom en celui de Niveau.

1

L'auteur a vn, dins une collection particulière, des livres ainsi approuvés.

f. Nous l'avons lue nous-même, dans un Indicateur des rues de Paris du temps

le prospectus d'un fabricant-cartier, qui disait au public: « Il n'est pas de républicain qui puisse faire usage (même en jouant), d'expressions qui rappellent sans cesse le despotisme et l'inégalité.»-Aussi l'inventeur appelait-il ses cartes Cartes de la révolution :

Les génies remplaçaient les rois : génie de cœur ou de la guerre.

Génie de trèfle, ou de la paix.

Génie de pique, ou des arts.

Génie de carreau, ou du commerce.

Les libertés remplaçaient les dames: liberté de cœur, ou des cultes.
Liberté de trèfle, ou du mariage.

Liberté de pique, ou de la presse.

Liberté de carreau, ou des professions.

Les égalités remplaçaient les valets: égalité de cœur, ou de devoirs.

Egalité de trèfle, ou de droits.

Egalité de pique, ou de rangs.

Egalité de carreau, ou de couleurs.

Les lois remplaçaient les as. Les points seuls restaient les mêmes, et échappaient à l'allégorie.

-Mais comment faire? se dit notre voyageur; il faudra que j'apprenne de nouveau à jouer aux cartes. En faisant cette réflexion, il froissa le prospectus. et envoya au diable l'inventeur, en ayant bien soin, néanmoins, de proférer à voix basse ses anathèmes, de peur de se compromettre. Au même instant un crieur public annonça la condamnation à mort de cinq ou six contre-révolu tionnaires, agents de Pitt et de Cobourg. Ils devaient être exécutés à la grande guillotine, c'est-à-dire, à celle du faubourg Saint-Antoine (a).

-

Le provincial conçut aussitôt l'idée d'assister à une séance de ce fameux tribunal révolutionnaire qui s'acquittait si franchement de sa besogne. Par malheur, c'était décadi: le tribunal ne jugeait pas. Donc, partie remise au lendemain. Lorsque le promeneur arriva au boulevard Montmarat, il vit un cercle de monde formé autour de deux hommes dont l'un paraissait chanter, l'autre jouer du violon. Il s'approcha: la curiosité est la plus irrésistible passion du voyageur. Des musiciens en plein air, vêtus de la carmagnole, du bonnet rouge, et portant la décoration des sans-culottes, annonçaient au public qu'ils pouvaient lui vendre des recueils de chansons «propres à entretenir dans l'âme des bons citoyens la gaieté républicaine. » En effet, le Garat ambulant lut avec emphase, le titre d'une chanson; c'était la Ronde des guillotinés mettant leur téte à la trappe, par le citoyen Ladré, dont la réputation était immense. Le provincial écouta chanter, et retint ces deux couplets qui le frappèrent plus que tous les autres:

a) Te' etait son non): Etiennes aux amateurs du bon vieux temps, pour 179

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][subsumed][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][graphic][graphic][merged small][subsumed][subsumed][merged small][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][merged small][subsumed][subsumed][ocr errors][merged small][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][graphic][graphic][graphic][graphic][graphic][graphic][graphic][graphic]
« ZurückWeiter »