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réunissait autour de la Rochefoucauld, de madame de la Fayette, de madame de Sévigné. La plus grande partie des autres satires, le discours en vers adressé à Louis XIV et le dialogue des héros de romans, parurent successivement dans l'intervalle de 1660 à 1669, et achevèrent de mettre en évidence ce génie ferme, élégant, caustique, raisonnable. En 1669, le roi voulut voir un poëte à qui la langue et les lettres avaient tant d'obligations, et par lequel il avait été si magnifiquement et si délicatement loué. L'entrevue, où Boileau se montra bon courtisan, augmenta encore l'estime qu'il avait inspirée au monarque. Une pension de deux mille livres lui fut donnée. Peu de temps après, il s'attira de nouveaux applaudissements du public et de la cour par ses épîtres, où son talent a déjà atteint toute sa maturité et toute sa perfection. Honoré de l'amitié du grand roi, accueilli avec empressement par une société brillante toujours avide de lui entendre réciter ses vers, jouissant, sans être riche, d'un revenu assez considérable pour lui procurer une douce aisance, recherché par les meilleurs et les plus grands esprits du temps, lié avec Molière, la Fontaine, Bourdaloue, Racine surtout, pour lequel on connaît sa touchante et fidèle amitié, Boileau était heureux comme il a rarement été donné à un poëte de l'être. Il ne voyait s'élever contre lui que les mauvais auteurs dont il avait fait justice, et qui formaient une cabale soutenue par quelques seigneurs entêtés pour leurs premières admirations, mais peu inquiétante, parce qu'elle devenait de plus en plus ridicule. En 1677, après la publication de l'Art poétique et du Lutrin, il fut nommé, avec Racine, historiographe du roi; mais cette nomination n'eut d'autre résultat que de faire faire aux deux poëtes le voyage de la Flandre et celui de l'Alsace dans les campagnes de 1678 et de 1681. Soit négligence, soit défiance d'eux-mêmes dans un genre qui n'était point celui qu'ils avaient adopté, ils ne firent que prendre des notes et rédiger quelques fragments qui périrent, selon Racine

le fils, dans l'incendie de la maison dé Valincour à Saint-Cloud. En 1683, Boileau avait publié ses meilleurs écrits; il avait quarante-sept ans et n'était point de l'Académie. « Je veux que vous en soyez, » lui dit le roi; et aussitôt la compagnie l'appela dans son sein. Mais il ne vécut pas toujours en parfaite intelligence avec elle. Plusieurs de ses collègues étaient de l'origine de l'Académie, et tenaient pour les principes et les ouvrages adoptés dans leur jeunesse d'autres n'avaient eu que des succès de salon, et cachaient assez de mauvais goût sous un brillant esprit de société. Boileau releva plus d'une fois assez rudement les erreurs de l'Académie. Après la guerre des anciens et des modernes, où il prodigua à Charles Perrault des railleries si justes, mais si dures, il n'assista plus que rarement aux séances; après la mort de Racine, il ne s'y montra plus que lorsqu'il y avait à faire une élection. Vers le même temps, il se retira de la cour; il vieillissait, et sa santé, dont il s'occupait beaucoup, et que plusieurs accidents avaient altérée, contribuait, avec la perte de la plupart de ses amis, à lui faire aimer la re traite. Cette vieillesse fut longue, et ne produisit qu'un petit nombre de travaux qui sont les moins précieux dans l'ensemble de ses œuvres. D'assez bonne heure, sa verve s'était ralentie, et il avait senti diminuer la facilité de son génie; dans ses dernières années, il n'eut d'autre occupation que de revoir ses ouvrages pour une édition nouvelle, et, ce qui n'est peut-être jamais arrivé à aucun poëte, d'écrire et de donner des conseils à son propre commentateur. Mais s'il ne produisait plus, il n'avait rien perdu de la force de son bon sens; s'il ne donnait plus de modèles du vrai goût, il se défendait encore par les critiques et les sarcasmes que lui arrachaient les applaudissements donnés par un public déjà moins délicat et moins sévère à des réformes téméraires ou à des ouvrages mal écrits. Son vieux sang s'allumait à la vue d' succès des paradoxes de Lamothe, et dans l'impatience où le jetaient les

tragédies de Crébillon, il allait jusqu'à regretter ces Pradon et ces Cotin, jadis morts sous les coups de sa critique. Enfin le terme de ses jours arriva peu de temps avant la fin du règne qu'il avait embelli et chanté. Il mourut à Paris, le 17 mars 1711, dans sa soixante et quinzième année.

Il a été dit plus d'une fois de nos jours que la gloire de Boileau était en partie usurpée. Les principaux champions de la grande réforme littéraire à laquelle nous avons assisté, ont cité Boileau à leur tribunal: ils ont revu ses titres et en ont cassé plusieurs. Ce n'était pas le premier procès intenté à sa mémoire. Le dix-huitième siècle avait vu des critiques éminents porter contre lui plus d'une accusa. tion. Il est intéressant d'examiner ces diverses attaques, les plus récentes surtout, à cause de l'importante question littéraire qu'elles soulèvent. Au dix-huitième siècle, les griefs allégués contre Boileau étaient des imperfections de génie ou des erreurs de détail de nos jours on l'a surtout attaqué pour l'influence qu'il a exercée sur notre littérature; on a voulu ruiner le système littéraire à l'établissement duquel il a plus que tout autre contribué.

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Écoutons Voltaire, d'Alembert, Diderot, Marmontel, à leurs instants de sévérité pour Boileau. Ils lui reprochent de manquer de sensibilité, de n'avoir pas cet accent de l'âme qui révèle surtout le poëte, d'être sec et froid, à force d'être raisonnable. Ils l'accusent de n'avoir pas assez de verve et de laisser voir trop souvent l'effort dans la composition de ses ouvrages. Ils le représentent comme un génie imcomparable pour la raison, le bon sens, l'esprit et le travail, mais sans mouvement, sans chaleur et sans fécondité. Après ce reproche général, ils considèrent en particulier ses satires, et se plaignent d'y trouver des inégalités et trop peu d'intérêt; ils se prononcent aussi contre les satires au nom de la morale, qui, dans leur opinion, défend au poëte de railler publiquement les auteurs, et

lui ôte le droit de nommer. Enfin, ils relèvent chez lui quelques jugements littéraires, où ils ne retrouvent pas la justesse ordinaire de son goût: par exemple, ils le reprennent pour avoir mis Horace à côté de Voiture, pour n'avoir vu que du clinquant dans le Tasse, pour n'avoir jamais eu que des paroles de blâme pour Quinault.

Telles sont, en résumé, les principales critiques adressées à Boileau par des hommes qui, d'ailleurs, lui ont rendu de sincères et glorieux hommages. Le vrai et le faux se mêlent dans ces critiques. Sans doute, Boileau n'avait pas reçu de la nature cette sensibilité vive et profonde qui donne à la poésie son plus puissant attrait. Il avait plus de raison que d'âme, et eût été incapable assurément de faire une tragédie comme Racine, ou une fable comme la Fontaine. Mais, ainsi que l'observe justement la Harpe, on ne peut pas en tirer contre lui une raison de blâme, puisqu'il a toujours su se borner aux genres qui lui convenaient, et sur lesquels il avait plus de droits que personne. Prétendre qu'il n'a point de verve, c'est pousser bien loin la sévérité. Sans doute l'inspiration poétique n'est point abondante chez lui; elle n'est point continue; on sent qu'après avoir parcouru un certain trajet l'auteur est forcé de faire une pause, et d'attendre le retour de la muse: on le sent à la froideur et au tour pénible des transitions; mais si la verve ne circule pas d'un jet dans les vers de Boileau, elle n'en est pas absente, et beaucoup de passages sont écrits avec abondance et vivacité, pleins de feu et d'entraînement. On en pourrait tirer un grand nombre de ce genre des Epitres, et plus encore peut-être du Lutrin, cette œuvre originale que tant d'imagination anime, cette fantaisie brillante et correcte, où toujours le mouvement et la couleur s'unissent à la rigoureuse perfection du travail. On trouverait même pour répondre à l'exagération du reproche beaucoup de citations dans ces satires tant dépréciées par Voltaire et Marmontel. Les satires, malgré les

faiblesses qu'on y rencontre, et la distance évidente qui les sépare des épîtres, doivent compter parmi les titres de gloire de Boileau, car elles sont, en général, l'ouvrage d'un esprit juste et mordant qui enferme sa pensée dans un tour précis et vif. En vain a-t-on invoqué la morale contre elles; la question de savoir s'il est permis au poëte de tourner en ridicule les mauvais livres, et de nommer leurs auteurs, ne peut faire le sujet d'un doute pour tout homme impartial, et Voltaire ne consultait que son dépit et sa haine contre ses propres censeurs, en traitant de liberté criminelle le plus légitime de tous les droits, le privilége inaliénable de la critique. Quant aux erreurs que Boileau a pu commettre dans quelques-uns de ses jugements, elles ne nous semblent pas constituer un tort aussi grave qu'on l'a dit. Jamais aucun critique n'a été infaillible, et les plus éclairés, les plus maîtres d'eux-mêmes ne peuvent se soustraire entièrement à l'empire des préjugés de leur époque ou à l'exagératíon de leurs propres idées. Si Boileau met Voiture à une place trop élevée, c'est une marque de l'ascendant universel que ce bel esprit possédait sur le siècle; s'il parle du Tasse avec dédain, cela tient à l'excès de son amour pour la simplicité et de son aversion pour la mollesse et la fadeur. Nous ne faisons ici que reproduire la Harpe, qui a bien défendu Boileau contre ses détracteurs du dixhuitième siècle. Mais la Harpe n'aurait pas dû se mettre comme les autres à réhabiliter Quinault, pour lequel Boileau n'avait été que trop sévèrement juste. Quinault, adopté au dix-huitième siècle par une société passionnée pour les tirades d'opéra et les fadeurs lyriques, ne mérite l'estime des connaisseurs que pour quelques morceaux que l'on a souvent cités, et qu'on est sûr de retrouver partout où il est question de lui, parce qu'il n'y en a pas d'autres à citer.

De nos jours, les novateurs en littérature, après avoir répété tout ce que le dix-huitième siècle avait élevé

de plaintes contre Boileau, ont été plus loin, et ont accusé formellement l'auteur de l'Art poétique d'avoir ôté au génie français sa liberté, enchaîné l'imagination au nom de la raison, étouffé l'enthousiasme au nom du goût, et donné à la littérature du dixseptième siècle, par ses critiques et ses préceptes, un caractère de régularité pompeuse, de rectitude froide et monotone, qu'elle n'aurait pas eu, si elle eût été dirigée avec plus d'intelligence et de grandeur. Puis, agissant d'après cette idée, ils ont aboli les anciennes lois, renversé tout l'édifice élevé par Boileau, et se sont mis à bâtir euxmêmes, dans un genre tout nouveau, sur les ruines qu'ils avaient faites.

Plaçons-nous comme il faut pour apprécier au vrai l'influence de Boileau sur son siècle, influence qui, dans tous les cas, salutaire ou nuisible, heureuse ou funeste, n'a pas été aussi grande qu'on le dit; car un homme ne fait pas à lui seul le caractère d'une littérature; et les grands critiques, les législateurs du goût, obéissent à l'impulsion commune autant qu'ils la règlent.

Quel était l'état des lettres au moment où parurent les premiers ouvrages de Boileau, c'est-à-dire, au moment où Louis XIV commençait à régner par lui-même sur la France paisible et florissante ? Des hommes de génie, dont la gloire devait illustrer ce siè cle, mais dont le nom était encore peu connu, mettaient au jour leurs premiers essais la voie vers laquelle ils se sentaient portés était celle que Malherbe, Corneille et Pascal avaient frayée. L'exemple de ces grands devanciers, l'étude sérieuse de l'antiquité, et la tendance croissante de l'époque vers la noblesse et l'ordre, les portaient à joindre, dans leurs écrits, la régularité à la grandeur, la sagesse à la force, et l'élégance à l'enthou siasme. C'était là l'instinct et le besoin de leur génie. Mais l'expérience leur manquait à cause de leur âge, et sur un terrain encore peu battu leurs premiers pas étaient peu sûrs. D'un autre côté, se présentait une école

d'écrivains arriérés qui s'obstinaient dans les traditions de l'hôtel de Rambouillet, et mêlaient au goût de la cour de Louis XIII et d'Anne d'Autriche pour le jargon précieux et pour les romans, un reste de l'enflure et du pédantisme de Ronsard. Chapelain était à leur tête et trouvait encore de nombreux partisans. D'autres auteurs, qui n'avaient ni plus de goût ni plus de génie que Chapelain, mais qu'animait une verve libre jusqu'à la grossièreté et la folie, professaient le mépris des règles et du travail, et s'inspiraient de la débauche et du hasard dans leurs poésies bouffonnes ou licencieuses. C'était l'école de SaintAmant et des poëtes buveurs et fanfarons de la fronde. Ainsi, chez ceux-ci, force et grandeur de génie, goût naturel de l'élégance et de la justesse, mais jeunesse, inexpérience, hésitation; chez ceux-là, pédantisme, emphase romanesque, purisme ridicule, et réminiscences du seizième siècle; chez les autres, liberté désordonnée et grossière, licence sans génie: voilà sous quels traits la littérature s'offrait à Boileau lorsqu'il publia ses premières satires, en 1660. Voici l'influence qu'il exerça sur elle. Il seconda les dispositions des hommes de génie; il les affermit dans cette voie de naturel et d'art, de passion et de raison, où l'esprit de l'époque et leur propre nature les attiraient, et qui est, après tout, celle du génie français lui-même. Il les avertit de leurs faux pas au début, encouragea leurs progrès, applaudit à leurs triomphes, et prit la défense de leur gloire contre une critique envieuse. Il ne leur imposa aucun joug, et fut pour eux un conseiller judicieux, un utile ami, non un pédagogue, ni un despote. Les auteurs précieux, les beaux esprits pédants qu'on admirait encore dans les ruelles, trouvèrent en lui un impitoyable eritique. Sans s'inquiéter du préjugé qui combattait pour cette école, et des protections qu'elle trouvait à la cour, il épuisa les traits du ridicule contre ces poëmes épiques fastidieux, aventures extravagantes de romans

ces

dont la mode et l'enfance du goût avaient seules fait le succès. Quant aux poetes bouffons et indisciplinés qui s'enivraient au cabaret, ou s'engraissaient dans la domesticité d'un grand seigneur, il joignit, pour les combattre, le mépris à la raillerie, et fit bientôt partager au public son dégoût pour leur burlesque indécence. Telles furent les diverses parties de la tâche qu'il accomplit. En même temps qu'il éclairait Racine sur la frivolité et l'affectation de ses premières poésies, et l'avertissait de sa vocation pour la simplicité, le naturel et la correction, il désabusait le public sur la Pucelle, et dépouillait son auteur d'une répu tation usurpée: il condamnait au mépris et à l'oubli les vers de SaintAmant et de Linière. Y a-t-il là-dedans matière à procès contre lui? Dira-t-on qu'il a méconnu le génie de son époque et fait peser sur les lettres un joug violent? Où sont les grands génies dont il a fait tomber ou contrarié l'essor? Où sont ceux qu'il a étouffés? Croira-t-on que sans lui Racine eût été un Shakspeare; que Saint-Amant fût devenu un grand poëte? Soyons plus justes envers lui. Avouons qu'il a servi et développé les véritables tendances littéraires du dixseptième siècle. Disons qu'il a accéléré le progrès de ce qui devait triompher et la chute de ce qui devait périr. C'est la plus juste manière d'apprécier son influence et ses services.

Après l'accusation générale dont nous avons essayé de discuter la valeur, les modernes réformateurs ont attaqué Boileau en détail, dans les règles particulières de son code littéraire. Il serait trop long d'examiner toutes les objections élevées contre les prescriptions de l'Art poétique. La question du théâtre est une de celles qui ont excité les plus vives réclamations et les débats les plus animés. Il est certain qu'on pouvait introduire dans la tragédie quelques réformes légitimes. On pouvait trouver trop étroites les unités de temps et de lieu, et demander à les suivre moins strictement. Nul doute qu'on eût raison

de vouloir mettre sur la scène un peu plus d'action et de variété qu'il n'y en avait eu, en général, et à quelques grandes exceptions près, du temps de Boileau. Si les réformateurs s'étaient bornés à ces changements, ils eussent rencontré moins d'adversaires, et il eût été plus facile de s'entendre. Mais des changements ne leur suffisaient pas, ils ont fait une révolution. On les a vus abolir entièrement les unités de temps et de lieu, disposer à leur gré, et avec une liberté absolue, de la durée et de l'espace; compliquer les ressorts de l'action, multiplier les événements, les coups de théâtre, les péripéties frappantes et terribles, recourir à l'horreur pour donner plus de force à l'émotion dramatique; enfin porter le dernier coup à l'ancien système, en substituant à la noblesse soutenue, à la grandeur idéale de la tragédie, une image plus exacte et plus complète des différentes faces de la vie réelle; en présentant à côté du noble et du majestueux le familier et le trivial, à côté du touchant le comique, à côté du pathétique le bouffon, à côté du beau et du régulier le laid et le bizarre. Tels furent les principaux caractères du drame, sorte d'intermédiaire entre la tragédie et la comédie, forme bien préférable, aux yeux des novateurs, à tout le système dramatique de Boileau, et destinée, selon eux, à le remplacer. D'un autre côté, les partisans exclusifs du passé repoussaient le drame comme une invention monstrueuse, une œuvre de folie. Ces anathèmes réciproques étaient injustes. Tout en admirant, autant que nous le faisons, les tragédies de Racine et l'Art poétique de Boileau, on peut croire que le champ des tentatives littéraires ne doit jamais être fermé à la pensée, et que l'art est susceptible de revêtir plusieurs formes. La nouveauté ne doit jamais être une cause d'exclusion dans les arts. Tous les genres sont bons, a dit Boileau, hors le genre ennuyeux. Si le drame est un genre capable d'intéresser l'esprit, de saisir l'imagination, d'émouvoir le cœur, il faut donner au drame

droit de cité dans les lettres. Or, on ne peut nier que le drame ne puisse produire ces effets. Nous n'en citerons pas pour exemple les ouvrages des ncvateurs eux-mêmes, qui rarement ont appliqué avec bonheur leurs propres principes, mais le théâtre de Shakspeare est là pour répondre à une proscription arbitraire et aveugle. Laissons donc ouverte à nos auteurs cette nouvelle carrière. Mais faut-il, avec la nouvelle école, reléguer au nombre des choses mortes la théorie de Boileau sur l'art dramatique, et placer les tragédies de Racine dans un rang bien inférieur aux drames de Shakspeare? C'est là un autre excès. Pour nous, loin que les nouveaux principes nous paraissent être la condamnation et la ruine des anciens, il nous semble que la tragédie classique, telle qu'elle se présente dans Andromaque, Iphigé nie et Athalie, est, et restera toujours la plus haute expression, le plus parfait modèle du genre dramatique, et que la théorie de Boileau, malgré quelques erreurs de détail, est ce qui a jamais été dit de plus juste et de plus élevé sur ce grand art. Sans doute l'impression causée par le drame, étant plus voisine de celle que la réalité produit, est plus forte et plus saisissante que celle de la tragédie; mais le but suprême de l'art est-il de faire naître ces impressions qui saisissent, troublent, remuent, comme les évé nements même de la vie humaine? Pour nous, le vrai but de l'art, l'œuvre essentielle du génie, c'est de nous transporter dans un monde idéal où les impressions de notre âme sont le reflet épuré de celles de la vie, où tous les objets agrandis ou embellis, sans cesser d'être vrais, ne produisent sur nous aucune émotion qui ne soit un plaisir noble, doux, élevé. La tragédie classique, et nous ne donnons ce nom qu'aux œuvres dignes de le por ter, la tragédie classique représentant la nature humaine avec une attentive et savante fidélité, et en même temps lui prêtant une délicatesse, une harmonie, une beauté que malheureusement elle ne possède pas en réalité,

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