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ville intéressante : tout ce qu'il put gagner sur lui fut d'ordonner qu'on n'y lançât point d'obus; mais bientôt on remarqua sa joie féroce, quand, au moment même où faisant ouvrir une horrible canonnade dirigée contre les faubourgs, il s'écria : « Nous allons voir ! » Jusques-là Troyes étoit restée calme, et avoit attendu son sort avec résignation; mais quand à cinq heures l'aspect des colonnes d'attaque et la canonnade annoncèrent aux habitans qu'ils étoient assiégés, l'inquiétude et l'effroi glacèrent tous les esprits; chacun courut se réfugier dans les caves et dans les lieux souterrains pour s'y mettre à l'abri. Les alliés voyant que Napoléon cherchoit à emporter la ville de vive force, jetèrent des obus dans trois faubourgs, et en moins d'une heure les flammes se propagèrent avec tant de furie, que les trains ne purent avancer assez près pour battre en brèche : trois ou quatre pièces de canon seulement firent un grand détour, et parvinrent à s'approcher de l'enceinte murée: A la chute du jour les troupes françaises se logèrent dans les faubourgs qu'on leur abandonna, et risquèrent de suite trois attaques sur la ville, qui furent repoussées par la brigade du général Wolkmann, restée en ar

rière-garde dans l'enceinte même de Troyes, tandis que les divisions Giulay et Lichtenstein se retiroient vers Bar-sur-Seine. Les assiégeans, pendant la nuit, essayèrent d'enfoncer une porte, d'enlever d'assaut un endroit foible; mais ils furent constamment repoussés. Au point du jour l'arrière-garde ennemie commença sa retraite, emmenant artillerie, caissons et bagages. Dans ce moment même reparut aux avant - postes français le prince Wensel, qui étoit retourné la veille auprès des souverains confédérés; il fut conduit à Napoléon, et le supplia de suspendre son entrée de quelques heures, afin d'épargner la ville; le général autrichien manifesta en même temps, de la part de l'empereur François, le plus vif désir d'un prompt rapprochement. Napoléon promit qu'il n'entreroit à Troyes qu'à midi; mais à peine l'envoyé autrichien eut-il repris la route de son quartier-général, qu'il pénètre par une porte que lui livrent les habitans, pousse ses troupes, et s'empare de l'intérieur de la ville. Une légère fusillade s'engage contrequelquespostes isolés qui se retiroient en hâte; et, àl'instigation des agens secrets de Napoléon, la populace armée de couteaux, de haches et de fourches, tombe sur les der

niers pelotons des alliés, et massacre plusieurs soldats bavarois (1).

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Sous ces sanglans auspices, le vainqueur fait son entrée dans Troyes à huit heures : ses yeux respiroient la vengeance. Il étoit encore à cheval lorsqu'apercevant un commissaire de police en costume, il lui adresse ces paroles menaçantes : « Il y a ici cinq personnes qui » ont pris la croix de Saint-Louis. - Votre » Majesté est mal informée, répond le com>> missaire, il n'y en a que deux. - Quelles sont>> elles? - Ce sont M. de Widranges et M. de » Gouault. - Quelle est leur moralité ? Sire, je n'en ai jamais entendu dire que du » bien. Qu'on les arrête sur-le champ. Une seule victime étoit restée sous la main de l'oppresseur: c'étoit l'infortuné de Gouault; il venoit de rejeter le conseil de ses amis, qui l'avoient conjuré de fuir. Rien n'avoit pu le décider à s'éloigner de sa femme; il l'adoroit; il lui devoit sa fortune; l'idée de s'en séparer lui sembloit plus cruelle que l'idée même de la mort. Ebranlé un moment à l'approche du danger, par les instances de ses amis et de son beau-père, vieillard octogé

(1) Voyez Pièces justificatives, No. XXXVII.

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naire et infirme, il entend son épouse en proie à la douleur, aux convulsions, et les yeux inondés de larmes, lui dire d'une voix pres qu'éteinte: «< Que deviendrai-je si vous me quittez? » Dès lors plus rien au monde ne peut le décider à s'en éloigner. Il se berce même de l'espoir que Napoléon, par politique, ne le recherchera point, pour ne pas faire connoître à la France et à l'Europe qu'il existe dans Troyes un parti qui s'est prononcé hautement en faveur de la dynastie légitime. Tel fut l'aveuglement d'un homme qui avoit eu le courage, en apprenant l'arrestation du duc d'Enghien, d'offrir sa tête pour sauver celle du prince. Les gendarmes se présentent bientôt, et il va lui-même au-devant d'eux. On le saisit: on le conduit à l'Hôtel-de-Ville devant une commission militaire qui procède à son jugement, ou plutôt à sa condamnation. Une heure s'étoit à peine écoulée qu'un officier survient, se fait ouvrir les portes, et demande si la sentence est prononcée. «< Les juges vont aller aux voix, lui dit-on. — Qu'on » le fusille sur-le-champ, répond l'officier, l'empereur l'ordonne. >> Le malheureux Gouault est condamné; le deuil est général dans la ville. Le propriétaire de la maison

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qu'avoit choisie Buonaparte pour y établir son quartier-général, n'écoutant que l'impulsion d'une âme généreuse, ose sollicitèr une audience: il l'obtient. « Sire, dit M. Duchatel » à Napoléon, un jour de triomphe doit être » un jour de clémence ; je viens supplier » Votre Majesté d'accorder à toute la ville de Troyes la grâce d'un de nos malheureux com» patriotes qui vient d'être condamné à mort. >> - Sortez, répond le tyran d'un air farouche, » vous oubliez que vous êtes chez moi! »

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En même temps étoit mandé en sa présence le propriétaire de la maison où avoit logé l'empereur de Russie, et dont la femme (madame Bourgeois ) s'étoit retirée à Langres, à l'approche de l'armée. Napoléon, en le voyant, l'accable d'invectives, et lui adresse les sarcasmes les plus grossiers, les plus insultans contre sa femme, dont la conduite étoit irréprochable, et la réputation intacte. « Vous êtes bien heureux, ajoute Napoléon en » le congédiant, de n'être ni noble ni émigré : je vous ferois fusiller sur l'heure, comme je » viens d'en donner l'ordre pour Gouault. >>

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Il étoit onze heures, et cet infortuné sortoit de l'Hôtel-de-Ville, escorté par des gendarmes, portant atta ché à son dos et à sa

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