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marcher contre lui avec dix mille Albanais. Il était désigné, dans le firman, par le surnom de Terrible. Il hésitait entre la crainte de désobéir à son souverain et celle de faire douter les Français de son indépendance. Le général Chabot lui envoya le capitaine Scheffer, son aide-de-camp, sous prétexte de régler quelques confins en litige, mais réellement pour empêcher le pacha de se déclarer contre Passwan-Oglou. Ali se plaignit de ce que Gentili et Brueys l'avaient amusé par de vaines promesses; que, loin de lui fournir des secours pour appuyer ses projets d'indépendance, on ne lui avait pas seulement fait payer les vivres fournis à l'escadre française; et qu'il ne pouvait désobéir au divan, qu'autant qu'on lui donnerait dix mille hommes et 100,000 sequins. La négociation resta donc sans effet, et Ali partit pour Widdin, où d'ailleurs l'appelait le désir de juger par lui-même des véritables forces de l'empire ottoman, qu'il espérait démembrer un jour. Par l'éclat de son luxe et la vigueur de son caractère, il effaça tous ses rivaux et s'empara bientôt de la direction du siége,

Il partait pour cette expédition, au moment même où Bonaparte résolut de lui envoyer, de Malte, son aide-de-camp Lavalette. La lettre suivante, du 29 prairial ( 17 juin), contenait ses instructions.

« L'Arthémise, citoyen, a ordre de vous faire mouiller sur la côte d'Albanie pour vous mettre à même de conférer avec Ali-Pacha. La lettre cijointe, que vous devrez lui remettre, ne contient

rien autre chose que d'ajouter foi à ce que vous lui direz, et de l'inviter à vous donner un truchement sûr pour vous entretenir seul avec lui. Vous lui remettrez vous-même cette lettre, afin d'être assuré qu'il en prenne lecture.

Après quoi vous lui direz que, venant de m'emparer de Malte, et me trouvant dans ces mers avec 30 vaisseaux et 50,000 hommes, j'aurai des relations avec lui, et que je désire savoir si je peux compter sur lui; que je désirerais aussi qu'il envoyât près de moi, en l'embarquant sur la frégate, un homme de marque et qui eût sa confiance; que d'après les services qu'il a rendus aux Français, et sa bravoure et son courage, s'il me montre de la confiance, et qu'il veuille me seconder, je peux accroître de beaucoup sa gloire et sa destinée.

Vous prendrez, en général, note de ce que vous dira Ali-Pacha, et vous vous embarquerez sur la frégate pour venir me joindre, et me rendre compte de tout ce que vous aurez fait.

En passant à Corfou, vous direz au général Chabot qu'il nous envoie des bâtimens chargés de bois, et qu'il fasse une proclamation aux habitans des différentes îles pour qu'ils envoient à l'escadre du vin, des raisins secs, et qu'ils en seront bien payés. >>

La lettre pour Ali-Pacha était ainsi conçue:

« Mon très-respectable ami, après vous avoir offert les voeux que je fais pour votre prospérité et la conservation de vos jours, j'ai l'honneur de vous informer que, depuis long-temps, je connais

l'attachement que vous avez pour la République Française, ce qui me ferait désirer de trouver le moyen de vous donner des preuves de l'estime que je vous porte. L'occasion me paraissant aujourd'hui favorable, je me suis empressé de vous écrire cette lettre amicale, et j'ai chargé un de mes aides-de-camp de vous la porter, pour vous la remettre en main propre. Je l'ai chargé aussi de vous faire certaines ouvertures de ma part; et, comme il ne sait point votre langue, veuillez bien faire choix d'un interprète fidèle et sûr, pour les entretiens qu'il aura avec vous. Je vous prie d'ajouter foi à tout ce qu'il vous dira de ma part, et de me le renvoyer promptement avec une réponse écrite en turc, de votre propre main. Veuillez agréer mes vœux et l'assurance de mon sincère dévoûment. >>

Dès le 20 germinal ( 9 avril ), d'après les ordres du Directoire, concertés sans doute avec Bonaparte, qui était alors à Paris, le ministre de la marine avait chargé le général Chabot d'envoyer un de ses principaux officiers porter à Ali une lettre par laquelle on lui témoignait toute la satisfaction et la reconnaissance du gouvernement pour les secours qu'il avait donnés à l'escadre française, et son offre de les continuer.

Ces ouvertures consistaient, dit-on, à s'emparer de la Macédoine et à favoriser le soulèvement de la Grèce. Il n'y a que Lavalette qui puisse le dire. Il n'est pas douteux que la politique commandait à Bonaparte de mettre, à tout événement, dans ses intérêts, un homme tel qu'Ali-Pacha.

L'absence d'Ali-Pacha ne permit pas à Lavalette, lorsqu'il fut arrivé à Corfou, de remplir sa mission. Le général Chabot cependant exprima son étonnement de ce qu'on l'envoyait au pacha sans présens et sans suite; ne croyant pas devoir différer l'exécution des ordres qu'il avait précédemment reçus du ministre de la marine, et encouragé encore par la nouvelle de la prise de Malte, il envoya à Janina, auprès des deux fils d'Ali, Mouctar et Veli, qui étaient dans cette ville, l'adjudant-général Rose, déjà employé avec succès dans plusieurs missions auprès du pacha. Rose donna un grand éclat à sa mission, et fut reçu avec solennité, le 6 messidor ( 24 juin ). II leur remit la dépêche du ministre de la marine une lettre du général Chabot, et leur dit qu'il avait reçu de Bonaparte l'ordre de leur annoncer la prise de Malte après un combat de quelques heures, l'entrée d'une escadre considérable dans les mers du Levant, et l'assurance qu'il donnait à Ali-Pacha et à ses fils, de la protection et de l'amitié de la République.

« Je ne puis vous exprimer, écrivit Rose à Bonaparte, l'effet que cette nouvelle fit sur les deux jeunes pachas, la joie qu'ils en témoignèrent, et l'assurance de leur reconnaissance. Ils ajoutèrent qu'il n'y avait pas d'offres que ne vous ferait AliPacha pour contribuer à la gloire de la grande nation. Nous étions convenus qu'il y aurait un tartare tout prêt, que nos lettres le seraient également, et qu'il partirait de suite pour porter ces

nouvelles à Ali-Pacha, à son camp. Le tartare partit lorsque j'étais encore avec les pachas. >>

Rose, dans sa lettre, ne tarissait point sur le dévoûment d'Ali-Pacha et de ses fils, sur la confiance qui leur était due, et sur le grand parti qu'on en tirerait, si la France dirigeait quelques troupes du côté de l'isthme de Corinthe.

Sur la nouvelle de la prise de Malte, que Rose avait fait passer dans les montagnes de Maïna, le bey de cette contrée le chargeait de faire ses complimens à Bonaparte, et de l'assurer de tout son dévoûment à la République Française '.

D'après l'accueil fait à Rose par les fils d'Ali, le général Chabot ne doutait pas que le pacha, dès qu'il serait informé du voisinage des forces françaises, ne quittât l'armée et ne se rendît à Janina. Il exaltait également la puissance, l'amitié, les talens d'Ali, et ne jugeait pas nécessaire de prendre de ce côté-là les précautions que Bonaparte lui avait recommandées. Il n'en était pas ainsi du pacha de la Morée, qui ne cessait d'accabler les Français de vexations. Le général Chabot croyait que les Grecs étaient pour la France, et que les Maïnotes surtout lui étaient dévoués.

Ainsi, comme on le verra dans la suite, les agens français étaient dupes de la fausseté et de la perfidie d'un brigand cruel, qui ne connaissait d'autre loi que ses intérêts. Il est vrai que la France ne

'Lettre du 24 messidor (12 juillet).

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