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d'Abouqyr où il assurait pouvoir se défendre jusqu'à ce que le travail des sondes de la passe eût fait définitivement connaître si les vaisseaux pouvaient entrer dans le port. Mais ce devait être l'affaire de quelques jours.

Quoiqu'il en soit, il est certain que le 14 thermidor, jour de la bataille navale, Brueys se trouvait toujours dans les termes de l'ordre du général en chef, du 15 messidor, auquel il n'avait rien changé; qu'après le rapport du capitaine Barré constatant la possibilité de faire entrer les vaisseaux dans le port, l'amiral préféra et prit sur lui de rester au mouillage d'Abouqyr, disant tantôt qu'il pouvait s'y défendre, tantôt que sa position y était mauvaise; qu'il répugnait à l'idée de se séparer de Bonaparte et d'abandonner l'Égypte avant d'avoir des nouvelles de l'armée. Dans cette incertitude et cette attente, il consomma ses vivres et ne se trouva plus, même quand il l'aurait voulu, en état de partir pour Corfou, puisqu'il ne com mença à recevoir des provisions par Rosette, qu'après la prise du Kaire, et le 11 thermidor, trois jours avant la bataille navale.

Dans le recueil des lettres interceptées par les Anglais, on en trouve dont la publication a eu pour but de reprocher à Bonaparte de s'être opposé au départ de la flotte pour Corfou, d'avoir voulu la garder malgré l'opinion des marins et de l'amiral, et d'avoir été par conséquent la cause de sa destruction. Que ces lettres aient été écrites ou supposées, la conséquence qu'on en tire s'anéantit devant l'arrêté du général en chef, du

15 messidor, qui, parmi les trois partis à prendre pour la sûreté de la flotte, indiquait son départ pour Corfou, et la correspondance de Brueys dans laquelle le mot de Corfou n'est pas même prononcé.

On lui a reproché d'avoir, dans la mauvaise position où il s'était placé, commis encore des fautes; par exemple, de n'avoir pas eu un bâtiment à la voile pour empêcher l'ennemi de venir l'obser ver, et pour être instruit d'avance de son arrivée. Il est difficile de croire, comme il l'écrivait dans sa lettre du 8 thermidor à Bonaparte, qu'il fût dans une telle pénurie de subsistances et de remplacement en gréement, qu'il ne pût pas prendre cette précaution. Puisqu'il avait eu connaissance de la présence des Anglais par deux de leurs bâtimens qui étaient venus l'observer le 3, du moins aurait-il dû se tenir en état, à chaque instant, de combattre. Or il n'est que trop vrai que, lorsque, le 14, la flotte fut surprise, rien n'était prêt, qu'une partie des équipages était à terre, et que l'amiral envoya demander à Alexandrie les matelots du convoi. Mais disons avec Bonaparte dans sa lettre au Directoire : « Si dans ce funeste événement Brueys fit des fautes, il les expia par une mort glorieuse*.»

On a vu avec quelle fermeté d'âme le général en chef en reçut la nouvelle; on le voit dans la même lettre constamment supérieur aux coups de la fortune. «Les destins, y disait-il, ont voulu,

Lettre du 2 fructidor (19 août ).

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dans cette circonstance comme dans tant d'autres, prouver que s'ils nous accordent une grande prépondérance sur le continent, ils ont donné l'empire des mers à nos rivaux. Mais ce revers ne peut être attribué à l'inconstance de notre fortune; elle ne nous abandonne pas encore : loin de là, elle nous a servis dans toute cette opération au-delà de tout ce qu'elle a jamais fait. Quand j'arrivai devant Alexandrie avec l'escadre, et que j'appris que les Anglais y étaient passés en forces supérieures quelques jours auparavant, malgré la tempête affreuse qui régnait, au risque de naufrager, je me jetai à terre.. Je me souviens qu'à l'instant où les préparatifs du débarquement se faisaient, on signala dans l'éloignement, au vent, une voile de guerre: c'était la Justice. Je m'écriai : « Fortune! m'abandonneras-tu? Quoi! seulement cinq jours!» Je débarquai dans la journée; je marchai toute la nuit ; j'attaquai Alexandrie à la pointe du jour, avec 3,000 hommes harassés sans canons et presque pas de cartouches; et dans les cinq jours j'étais maître de Rosette, de Damanhour, c'est-à-dire déjà établi en Égypte. Dans ces cinq jours l'escadre devait être à l'abri des forces des Anglais, quel que fût leur nombre. Bien loin de là, elle reste exposée pendant tout le reste de messidor. Les Anglais se laissent voir en nombre supérieur pendant dix jours dans ces parages. Le 11 thermidor, elle apprend la nouvelle de l'entière possession de l'Égypte et de notre entrée au Kaire; et ce n'est

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que lorsque la fortune voit que toutes ses faveurs sont inutiles, qu'elle abandonne notre flotte à son destin». bab

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Bonaparte adressa des consolations au vice-amiral Thévenard, père du capitaine de l'Aquilon, tué à la bataille d'Abouqyr.

<«< Votre fils, lui écrivait-il, est mort d'un coup de canon sur son banc de quart: je remplis, citoyen général, un triste devoir en vous l'annonçant; mais il est mort sans souffrir et avec honneur. C'est la seule consolation qui puisse adoucir la douleur d'un père. Nous sommes tous dévoués à la mort : quelques jours de vie valent-ils le bonheur de mourir pour son pays? Compensent-ils la douleur de se voir sur un lit environné de l'égoïsme d'une nouvelle génération? Valent-ils les dégoûts, les souffrances d'une longue maladie Heureux ceux qui meurent sur le champ de bataille! Ils vivent éternellement dans le souvenir de la postérité. Ils n'ont jamais inspiré la compassion, ni la pitié que nous inspire la vieillesse caduque, ou l'homme tourmenté par les maladies aiguës. Vous avez blanchi, citoyen général, dans la carrière des armes; vous regretterez un fils digne de vous et de la patrie en accordant avec nous quelques larmes à sa mémoire, vous direz que sa mort est glorieuse et digne d'envie.....

Croyez à la part que je prends à votre dou

1 Lettre du 2 fructidor (19 août). ·

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Ainsi parlait un guerrier à un père, à un homme, à un militaire. Pour être entendu d'une femme, d'une épouse, c'est un autre langage que tient Bonaparte à la veuve de l'amiral Brueys. « Votre mari, lui écrivit-il, a été tué d'un coup de canon

en combattant à son bord. Il est mort sans souffrir et de la mort la plus douce, la plus enviée par les militaires.

» Je sens vivement votre douleur. Le moment qui nous sépare de l'objet que nous aimons est terrible; il nous isole de la terre; il fait éprouver au corps les convulsions de l'agonie. Les facultés de l'âme sont anéanties, elle ne conservé de relations avec l'univers qu'au travers d'un cauchemar qui altère tout. Les hommes paraissent plus froids, plus égoïstes qu'ils ne le sont réellement. L'on sent dans cette situation que si rien ne nous obligeait à la vie, il vaudrait beaucoup mieux mourir. Mais, lorsqu'après cette première pensée, l'on presse ses enfans sur son coeur, des larmes, des sentimens tendres raniment la nature, et l'on vit pour ses enfans. Oui, madame, voyez dès ce premier moment qu'ils ouvrent votre coeur à la mélancolie. Vous pleurerez avec eux, vous éléverez leur enfance, vous cultiverez leur jeunesse. Vous leur parlerez de leur père, de votre douleur, de la perte qu'eux et la République ont faite.

'Lettre du 18 fructidor (4 septembre).

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