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dont il avait épousé la veuve. En 1776, ayant conçu le projet de s'emparer du gouvernement de l'Égypte, il avait marché pour combattre Ibrahim-Bey, qui y aspirait comme lui. Les forces de ces deux rivaux étaient à peu près égales; mais frappés tous les deux de la crainte qu'un nouveau prétendant ne s'élevât sur les ruines de celui qui succomberait dans cette lutte, ils avaient fait la paix et s'était partagé le pouvoir; Ibrahim, sous le titre de Cheyk-el-Beled, dirigeait l'administration, et Mourad, sous celui d'Émir-Haggy, était à la tête du militaire. Unis par l'intérêt, mais toujours rivaux et jaloux l'un de l'autre, ces nouveaux dominateurs de l'Égypte avaient, depuis 12 ans déjoué un grand nombre de trames ourdies contre eux par les anciens beys, et battu les armées que la Porte-Ottomane avaient envoyées pour ressaisir son autorité. Délivrés de leurs ennemis communs, ils s'étaient eux-mêmes disputé les armes à la main le pouvoir suprême, mais un intérêt commun les rapprochait toujours, et ils paraissaient vivre en assez bonne intelligence, à l'époque où l'armée française arriva en Égypte.

Mourad-Bey était d'une taille ordinaire; sa physionomie noble et imposante. La nature l'avait doué d'une grande énergie, et d'une force de corps extraordinaire. Il possédait ce maintien et cet air de dignité que donne ordinairement l'exercice d'un grand pouvoir. Il était somptueux dans ses habits, et sa magnificence égalait quelquefois celle des anciens despotes de l'Asie. On lui reprochait plusieurs actes de cruauté, inséparables

du pouvoir en Orient; mais on convenait généralement que la fermeté, la franchise et la loyauté formaient le fond de son caractère.

Dès que la nouvelle du débarquement de l'armée française était parvenue au Kaire, les Français établis dans cette ville avaient couru les plus grands dangers. Au moment de partir pour aller combattre, Mourad-Bey avait résolu de leur faire couper la tête; il ajourna cet atroce projet après sa victoire, d'après les conseils de Charles Rosetti, italien rusé et adroit qui possédait une partie de sa confiance. Les Français en furent quittes dans ce moment pour une avanie de 6,000 pataques (20,000 fr.). La femme d'Ibrahim-Bey entreprit de les sauver de la fureur du peuple, et obtint de son mari et de Mourad-Bey lui-même, son consentement à ce qu'elle leur donnât un asile dans son palais. Elle eut pour eux les plus grands soins, et pourvut à tout ce qui leur était nécessaire, sans aucune vue d'intérêt, décidée à suivre son mari partout où le sort le conduirait.

Cependant la division du général Desaix s'avançait péniblement dans le désert de Damanhour, et déjà, après le premier jour de marche, ses soldats avaient éprouvé tous les tourmens de la soif. Elle arriva au puits de Beïdah, le 17 thermidor; il avait été en partie comblé par les Arabes; le d'eau que l'on put en tirer fut bientôt épuisé, et ne put suffire à désaltérer toute la troupe. Desaix fit au général en chef le tableau de sa situation fâcheuse et de ses pressans besoins. « Je suis désolé, lui écrivit-il, de vous parler sur le

peu

ton de l'inquiétude. Quand nous serons sortis de cette horrible position, j'espère pouvoir trouver moi-même tout ce qu'il me faut, et ne jamais vous tourmenter. Si l'armée ne passe pas le désert avec toute la rapidité de l'éclair, elle périra. Elle n'y trouvera pas de quoi désaltérer mille hommes. On ne trouve que des citernes qui, une fois vidées, ne se remplissent plus. Les villages sont des huttes entièrement sans ressources. De grâce, mon général, ne nous laissez pas dans cette situation; la troupe se décourage et murmure. Faites nous avancer ou reculer à toutes jambes ».

I

L'armée partit d'Alexandrie dans les journées des 18 et 19 messidor, avec son artillerie de campagne et un petit corps de cavalerie, si toute fois on pouvait donner ce nom à trois cents cavaliers montés sur des chevaux qui, épuisés par une traversée de près de deux mois, pouvaient à peine porter leurs cavaliers. L'artillerie, par la même raison, était mal attelée. Le géneral en chef partit le 19 au soir (7 juillet), avec son état-major. Frappant à plusieurs reprises sur l'épaule de Berthier, il lui dit, d'un air satisfait: Eh bien, Berthier, nous y sommes enfin !

Pendant la route, l'armée fut en proie à tous les besoins et harcelée par les Arabes. Ils avaient aussi comblé le puits de Berket-Gitâs. Le soldat, brûlé par l'ardeur du soleil et en proie à une soif dévorante, ne pouvait trouver à se désaltérer dans des puits d'eau saumâtre, insuffisans

'Lettre du 17 messidor.

pour ses besoins. Afin de calmer les murmures et l'impatience des troupes, les chefs assuraient d'heure en heure qu'on allait trouver de l'eau en abondance. Une illusion, propre au sol brûlant de ces contrées, venait tout-à-coup rendre l'espérance. On voyait à quelque distance de soi une plaine immense d'eau, où semblaient se réfléchir les images, des monticules de sable, des arbres, des inégalités du terrain. Le soldat hâletant pressait alors sa marche, mais l'eau fuyait devant lui, se montrant toujours à la même distance. C'était le phénomène du mirage qui fait éprouver à l'homme altéré le supplice de Tantale. A l'espoir trompé de voir le terme de ses maux succédaient la tristesse, l'abattement et une prostration de forces; celui qui en était atteint périssait comme par extinction. Cette mort paraissait douce et calme. A son dernier instant un soldat dit qu'il éprouvait un bien-être inexprimable. Le chirurgien en chef, Larrey, en ranima un assez grand nombre avec un peu d'eau douce aiguisée de quelques gouttes d'esprit de vin qu'il portait avec lui dans une petite outre de cuir, ou avec la liqueur minérale d'Hofmann incorporée dans du sucre '.

Arrivées le 20 à Damanhour, les troupes y séjournèrent le 21. Le 20 au matin, 15 employés

'Ce phénomène a lieu aussi dans la plaine de la Crau, département des Bouches-du-Rhône, et dans les landes de Bordeaux.

'Larrey, Relation chirurgicale de l'armée d'Orient, page 9.

du service des transports militaires qui devaient suivre le quartier-général, étaient partis d'Alexandrie avant leur escorte. Ils furent attaqués par les Arabes, à quatre lieues de la ville, cinq d'entre eux furent tués, les dix autres se sauvèrent.

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A midi, un Grec courut dans les rues d'Alexandrie, en criant de toutes ses forces. que les Mamlouks arrivaient; que l'armée française était coupée; qu'il fallait fermer les boutiques : elles furent en effet fermées. On amena cet homme à Kléber; il le renvoya au schérif qui lui fit administrer une bonne volée de coups de bâton; on publia dans les rues la défense de donner de pareilles alarmes.

Cependant les Arabes se montraient plus nombreux que jamais autour du quartier-général de Damanhour. Ils harcelaient les grandes gardes; plusieurs actions s'engagèrent. Le général de brigade Muireur venait d'acheter un cheval; il voulut l'essayer et sortir du camp. On l'engagea à ne pas trop s'éloigner; mais par une fatalité qui accompagne souvent ceux qui sont arrivés à leur dernière heure, il n'écouta pas cet avis. Après avoir fait quelques pas au galop, il fut attaqué par trois Arabes accroupis et cachés derrière des monticules de sable, tué et dépouillé avant qu'on ne fût venu à son secours. Le général en chef le regretta vivement. Il le regardait comme un des plus braves généraux de son armée 1. C'était l'homme des dangers et des avant-postes; son sommeil

Lettre de Bonaparte au Directoire, du 6 thermidor (24 juillet).

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