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le récit de ce trait de confiance d'une part et de loyauté de l'autre.

D'après les instructions que Bonaparte avait laissées aux agens français dans tous les ports de la Méditerranée, ils lui transmettaient exactement les nouvelles qui leur parvenaient sur les forces anglaises, et même sur les dispositions des puissances de l'Italie. Par les intrigues d'Acton et de lady Hamilton, l'influence de l'Angleterre dominait à Naples. Au moment de quitter son poste où il venait d'être remplacé, l'ambassadeur Garat, alors, comme tout le monde, sous le charme de Bonaparte, lui faisait des offres et lui donnait des conseils où l'on reconnaît le penseur plus propre à la philosophie spéculative qu'au maniement des

affaires.

« Je vous avoue, général, écrivait-il, que l'idée d'une révolution faite en Italie par des Italiens me fait horreur. On ne voit pas où s'arrêteraient les bouleversemens des passions et de l'ignorance: d'un autre côté, si les Français font les révolutions et s'ils les font pour eux, ils violent leurs principes et les paroles qu'ils ont tant de fois données. La seule chose done, qui serait bonne, et qui le serait extrêmement, serait de donner ici, à la France, une influence très-prépondérante; elle détruirait celle des Anglais, qui est contre la nature des choses; elle ouvrirait de nouvelles sources de biens et de richesses aux Français, et à la fois aux Italiens. Elle amènerait enfin, sans convulsion, l'époque où l'Italie pourra être heureusement constituée et gouvernée, non par nous,

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mais par nos principes. A mon arrivée à Paris, général, je vous écrirai encore sur cet objet; il est d'une grande importance par lui-même, il touche par tous les points à l'exécution de toutes vos vues sur la Méditerranée et sur l'Orient.

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Je pars demain pour Paris, et le plaisir que j'en ai n'est altéré que par le regret de m'éloigner du théâtre de vos belles opérations; mais, si vous le désiriez, général, j'en serais bientôt plus près encore, je serais bientôt avec vous. J'ai beaucoup médité dans ma vie sur les moyens de rendre, à toutes les institutions: d'un peuple, les grands attributs de quelques législations anciennes et les principes rigoureusement démontrés de notre nouvel ordre social; sur le moyen de rendre toutes les classes d'une nation capables d'exercer à la fois leurs bras et leur intelligence, de faire sortir des travaux même de la main les belles sensations et les pensées justes. Le résultat de toutes mes méditations a été de me persuader profondément qu'avec de la force et du pouvoir, en prenant l'espèce humaine telle qu'elle est, on pourrait en créer une autre, en quelque sorte, dans laquelle on ne verrait presque rien de la stupidité et des folies de la première. Eh bien! général, je vous demande une île ou deux, comme un peintre qui a des dessins dans la tête et un pinceau à la main, demande une toile et des couleurs. Vous allez avoir plusieurs îles et plusieurs peuplades à votre disposition, et toutes sont placées dans les climats les plus propres aux expériences sociales. Si

on laisse tomber les révolutions dans les routines, il arrivera aux révolutions ce qu'il arrive toujours aux routines, elles deviendront stériles.

C'est à vous, général, à multiplier les essais, pour multiplier les méthodes, et à donner aux méthodes les plus mûres et les plus hardies, le poids et l'autorité d'une expérience faite. Je vous le répète, j'ai assez réfléchi sur mes idées pour leur donner de la précision, et rapprocher mes théories de la pratique. »

il

Malgré le sens profond de cette dernière phrase, y a lieu de croire que Bonaparte, peu partisan d'expériences sociales, ne fut pas tenté, pour en faire, de donner une île à Garat.

Tandis que la flotte française voguait vers les côtes d'Égypte, le gouvernement espagnol écrivit à son ambassadeur à Paris que les Anglais, instruits des préparatifs et de la sortie de l'escadre de Toulon, avaient fait partir pour la Méditerranée 16 gros vaisseaux de leur escadre dans l'Océan, et qu'ils en avaient laissé 18 devant Cadix. L'ambassadeur en prévint le Directoire en l'assurant des voeux du roi pour que l'escadre française arrivât heureusement à sa destination; car il regardait les vaisseaux français comme les siens parce que leur sort intéressait également les

deux nations.

En effet, l'amiral Saint-Vincent avait envoyé 10 vaisseaux dans la Méditerranée avec ordre d'y réunir ceux qu'y commandait Nelson, et de lui former ainsi une escadre de 13 vaisseaux pour bloquer Toulon, ou suivre la flotte française si

elle en était sortie. Dans ses instructions l'amiral prévoyait tout, excepté l'expédition d'Égypte.

Le 23 prairial, l'escadre de Nelson, forte de 12 vaisseaux, 2 frégates et un brick fut vue à 12 lieues au large de Toulon, faisant route vers l'est. Najac en envoya la nouvelle à Bonaparte par deux bateaux corses bons voiliers, et lui manda que l'apparition de ces forces l'empêchait de faire partir un convoi de 26 gros bâtimens chargés d'artillerie, de munitions de guerre et de bouche, et d'ustensiles de toute espèce pour l'armée; et que par la même raison Belleville n'osait faire sortir de Gênes un autre convoi de même nature, dans la crainte de l'exposer à une perte inévitable.

Le 27, Nelson reconnut la rade de Tagliamon sur les côtes de Toscane, supposant qu'elle pouvait être le rendez-vous de la flotte française. Le 2 messidor, il parut devant Naples. Il y apprit que les Français avaient débarqué à Malte, que l'ambassadeur Garat avait laissé entendre que leur expédition se rendait en Égypte. Nelson arriva le 4 devant Messine; il y acquit la certitude de la prise de Malte, et y apprit que les Français s'étaient dirigés sur Candie; il passa aussitôt le détroit et se rendit devant Alexandrie où il arriva le II messidor.

Les avis expédiés à Bonaparte sur l'apparition d'une escadre anglaise dans la Méditerranée ne lui parvenaient pas. Cependant conformément à ses instructions Najac lui avait, jusqu'au 1. messidor, expédié 10 avisos de Toulon, et lui en

expédiait encore. Depuis 22 jours, on n'avait dans ce port aucune nouvelle de l'expédition, on y était dans la plus grande anxiété.

Pendant ce temps là la flotte française poussée, en quittant les parages de Malte, par un vent fait de nord-ouest, continuait sa route directement à l'est, dans la grande mer qui sépare l'île de Malte de celle de Candie. Elle apprit par un bâtiment qu'elle rencontra à la hauteur du cap Bonara, la première nouvelle de l'apparition des Anglais. Elle ne lui fut confirmée que le 7 messidor, comme elle reconnaissait les côtes de Candie , par la frégate la Justice qui venait de croiser devant Naples.

Alors Bonaparte ordonna qu'au lieu de se rendre directement à Alexandrie, on manoeuvrât pour attaquer l'Afrique au cap Durazzo, à 23 lieues de cette ville. Le II on signala la côte et ce cap. Le même jour Nelson arrivait devant Alexandrie, mais n'y ayant appris aucune nouvelle de la flotte française, par le hasard le plus heureux pour elle, il lui tourna le dos, et, lui laissant le champ libre, se dirigea sur Alexandrette et Rhodes.

Ainsi l'expédition d'Égypte fut préparée et dirigée avec tant d'activité, de secret et de bonheur, qu'elle échappa à la vigilance inquiète des Anglais. Ils apprirent presque en même temps que ce grand projet avait été conçu, entrepris et exé

cuté.

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