Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

des souverains, la flatterie de leurs conseillers, les préjugés nationaux ne permettent point qu'une nation, qui peut soumettre d'autres peuples, n'en profite pas durant des siècles entiers. Un règne pendant lequel la justice se serait ainsi manifestée, eût été la gloire de l'histoire et un miracle qui ne se répète pas. Voilà pourquoi il ne faut pas oublier ce qui a un caractère réel et journalier, voilà pourquoi il ne faut pas oublier que toute nation essaye de prédominer sur les autres, ses voisines. Voilà pourquoi dans l'intérêt de sa sécurité chaque pays doit continuellement veiller à empêcher l'agrandissement démesuré de son voisin. Empêcher celui-ci de devenir trop puissant, ce n'est pas un crime; c'est se garantir soi-même, garantir ceux qui vous entourent contre la servitude, en un mot c'est travailler pour la liberté, la tranquillité universelle, pour le bien général. L'agrandissement outre mesure d'une puissance change, en effet, le système général de toutes les nations qui ont des rapports avec elle. Ainsi, par exemple, tous les territoires échus par héritage à la maison de Bourbon, tous les pays passés par voie de succession à la maison d'Autriche ont renversé tout le système de l'Europe. L'Europe devait craindre la monarchie universelle sous le règne de Charles-Quint, surtout après la défaite et la captivité de François Ier. On ne conteste pas qu'une nation n'ayant aucun compte privé à régler avec l'Espagne, avait cependant alors le droit, pour la liberté publique, de prendre des mesures de précaution contre cette puissance si rapidement ormée et prête, semblait-il, à tout envahir.

« Les particuliers, eux, n'ont pas le droit d'empêcher l'extension et la richesse de leurs voisins, car il faut présumer que cette extension ne peut les ruiner. Il y a des lois écrites, des autorités judiciaires chargées d'empêcher les injustices et les violences entre les familles de fortune inégale. Entre les États, il se passe tout autre chose. L'agrandissement démesuré d'un État peut avoir pour conséquence la ruine et l'asservissement de tous ses voisins; il n'existe aucune loi écrite aucun juge qui puisse mettre obstacle aux empiètements des puissants. Nous avons toujours le droit de supposer que le pays le plus fort profitera, à la fin, de sa prépondérance, s'il n'y a pas une autre puissance, à peu près égale, qui puisse l'arrêter.

Chaque prince a donc le droit et le devoir de s'opposer à une extension de son voisin qui mettrait son penple et toutes les contrées environnantes en danger d'esclavage éternel.

Ainsi Philippe IV, roi d'Espagne, après avoir conquis le Portugal veut s'emparer de l'Angleterre. Je sais que ses droits étaient sans fondement solide, il ne s'appuyait en effet, que sur ceux de sa femme, la Reine Marie, morte sans enfant. Elisabeth, fille illégitime ne devait pas régner. La couronne appartenait à Marie Stuart et à son fils. Mais supposons que le droit de Philippe IV à la couronne ait été justifié, malgré tout,

l'Europe entière aurait eu raison de s'opposer à son établissement en Angleterre, car ce royaume si puissant, ajouté à ses États d'Espagne, d'Italie, de Flandre,

des Indes Orientales et Occidentales, le mettait en état de faire la loi. surtout par ses forces maritimes, à toutes les autres puissances de la chrétienté. Alors summum jus, summa injuria. Un droit particulier de succession ou de donation devait céder à la loi naturelle de la sûreté de tant de nations. En un mot tout ce qui renverse l'équilibre, et qui donne le coup décisif pour la monarchie universelle, ne peut être juste quand même il serait fondé sur les lois écrites dans un pays particu lier. La raison en est que ces lois écrites chez un peuple ne peuvent prévaloir sur la loi naturelle de la liberté et de la sûreté commune, gravée dans les cœurs de tous les autres peuples du monde.

« Quand une puissance monte à un point que toutes les autres puissances voisines ensemble ne peuvent plus lui résister, toutes ces autres sont en droit de se liguer pour prévenir cet accroissement, après lequel, il ne serait plus temps de défendre la liberté commune. Mais, pour faire légitimement ces sortes de ligues, qui tendent à prévenir un trop grand accroissement d'un État, il faut que le cas soit véritable et pressant: il faut se contenter d'une ligue défensive, ou du moins ne la faire offensive qu'autant que la juste et nécessaire défense se trouvera renfermée dans les desseins d'une agression; encore même faut-il toujours, dans les traités de ligues offensives, poser des bornes précises, pour ne détruire jamais une puissance sous prétexte de la modérer.

« Cette attention à maintenir une espèce d'égalité et

d'équilibre entre les nations voisines, est ce qui en assure le repos commun. A cet égard, toutes les nations voisines et liées par le commerce font un grand corps et une espèce de communauté. Par exemple, la chrétienté fait une espèce de république générale qui a ses intérêts, ses craintes, ses précautions à observer. Tous les membres qui composent ce grand corps se doivent les uns aux autres pour le bien commun, et se doivent encore à eux-mêmes, pour la sûreté de la patrie, de prévenir tout progrès de quelqu'un des membres qui renverserait l'équilibre, et qui se tournerait à la ruine inévitable de tous les autres membres du même corps. Tout ce qui change ou altère ce système général de l'Europe est trop dangereux, et traîne après soi des maux infinis.

Toutes les nations voisines sont tellement liées par leurs intérêts les unes aux autres, et au gros de l'Europe, que les moindres progrès particuliers peuvent altérer ce système général qui fait l'équilibre, et qui peut seul faire la sûreté publique. Otez une pierre d'une voûte, tout l'édifice tombe, parce que toutes les pierres se soutiennent en se contrepoussant.

« L'humanité met donc un devoir mutuel de défense du salut commun entre les nations voisines contre un état voisin qui devient trop puissant, comme il y a des devoirs mutuels entre les concitoyens pour la liberté de la patrie. Si le citoyen doit beaucoup à sa patrie, dont il est membre, chaque nation doit à plus forte raison bien davantage au repos et au salut de la république univer

selle dont elle est membre, et dans laquelle sont renfermées toutes les patries des particuliers.

« Les ligues défensives sont donc justes et nécessaires, quand il s'agit véritablement de prévenir une trop grande puissance qui serait en état de tout envahir. Cette puissance supérieure n'est donc pas en droit de rompre la paix avec les autres États inférieurs, précisément à cause de leur ligue défensive; car ils sont en droit et en obligation de la faire.

Pour une ligue défensive, elle dépend des circonstances; il faut qu'elle soit fondée sur les infractions de paix, ou sur la détention de quelque pays des alliés, ou sur la certitude de quelque autre fondement semblable. Encore même faut-il toujours, comme je l'ai déjà dit, borner de tels traités à des conditions qui empêchent ce qu'on voit souvent, c'est qu'une nation se sert de la nécessité d'en rabattre une autre qui aspire à la tyrannie universelle pour y aspirer elle-même à son tour.» (1)

Par équilibre politique Wolf entend l'union mutuelle de plusieurs nations de façon à ce que la puissance prépondérante d'un ou plusieurs pays soit égale à la puissance réunie des autres peuples. (Equilibrium inter gentes dicitur gentium plurium ad se invicem relatorum talis status, qua potentiæ unius præpotentis vel quarumdam conjunctæ, potentia conjuncta aliarum æqualis est.

(1) V. Œuvres de Fénelon, Paris, DCCCL, t. III, p. 347-349, et aussi Wheaton, op. cit., t. I, p. 112-114.

« ZurückWeiter »