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sait et on ne voulait pas les laisser aller. Ils renouvelèrent vainement la demande d'une escorte au commandant; il leur répondit qu'ils n'avaient rien à craindre. Enfin ils partirent malgré la nuit et leurs inquiétudes.

A cent toises de la ville leurs voitures furent attaquées et arrêtées. La nuit était très obscure, leurs domestiques portaient des flambeaux. Jean Debry, qui était dans la première voiture, en fut arraché; on le fouilla, on prit ses papiers, il reçut de légers coups de sabre, tomba dans un fossé, on le crut mort. Bonnier et Roberjot éprouvèrent d'abord le même traitement, ils furent ensuite massacrés; Roberjot reçut le coup mortel dans les bras de sa femme, qui le défendit vainement en le couvrant de son corps. Les assassins parlaient français; c'étaient évidemment des Français déguisés en hussards autrichiens. Ils n'attaquèrent et ne sabrèrent que les ministres, et ne firent aucun mal aux secrétaires ni aux personnes de la suite.

Jean Debry passa la nuit dans le bois, et le lendemain retourna à Rastadt, chez le comte de Goertz, ministre prussien. Boccardi, ministre ligurien, était dans la dernière voiture; il entendit le tumulte, les cris des mourants; se sauva à pied avec son fils, et vint donner à Rastadt la première nouvelle de cet attentat inouï.

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Le comte de Goertz somma le commandant de la porte d'Etlingen, au nom de l'honneur allemand, de déclarer quelle précaution il avait prise contre un pareil crime; cet officier lui répondit, ainsi qu'aux autres envoyés réunis à ce plénipotentiaire, qu'il y avait eu un malentendu de la part des patrouilles. On lui objecta la demande et le refus de l'escorte : il renvoya à son chef, qui allégua ne l'avoir pas accordée au comte de Bernstorff, alors conseiller de la légation prussienne. Tout ce qui restait à Rastadt de ministres étrangers se rassembla, et le 1er mai fit publier une déclaration sur les circonstances révoltantes de cette violation du droit des nations. Ce manifeste, qui fait honneur à la loyauté germanique, était signé : comte de Goertz, baron de Jacobi, de Dohen, de Rosenkrantz, de Rechberg, de Rehden, baron de Gatzera, comte de Solms-Tanbach, Otto de Gemmingen, de Krenew, comte de Taubé.

Cet attentat donna lieu à bien des conjectures. La mort imprévue et récente du général Hoche, l'insurrection de Rome, dirigée contre le palais de l'ambassadeur de la République, l'invasion de la Suisse, reparurent comme autant d'accusations contre le Directoire, à qui un crime de plus pouvait être imputé. On disait qu'il avait voulu, par ces horribles moyens, rendre la guerre

nationale, et réveiller dans l'armée l'énergie, qui commençait à s'affaiblir. En effet, le message du Directoire du 12 mai, par lequel il annonçait la déclaration de guerre à l'empereur et au grand-duc de Toscane, n'avait pas été favorablement accueilli, et jamais guerre n'avait paru moins nationale. L'archiduc Charles crut devoir aller au-devant des imprécations du Directoire; il écrivit, le 2 mai, au général en chef Masséna; l'Europe et la France rendirent justice à l'honneur de l'archiduc, mais les conseils retentirent d'une indignation unanime, et dénoncèrent l'assassinat des plénipotentiaires français à toutes les nations, comme étant le crime de la maison d'Autriche. Ils adoptèrent d'enthousiasme trois résolutions: la première, de célèbrer dans les chefs-lieux des cantons de la République, et aux armées, une cérémonie funéraire en l'honneur de Bonnier et Roberjot; la seconde, de placer dans tous les tribunaux, écoles ou administrations, une inscription portant: Le neuf floréal à 9 heures du soir, le gouvernement autrichien a fait assassiner par ses troupes les ministres français envoyés au congrès pour y négocier la paix; la troisième, de donner à chacune des armées de terre et de mer, une oriflamme aux trois couleurs, sur laquelle serait inscrit : Vengeance aux mánes des citoyens Bonnier et

an 7,

Roberjot, plénipotentiaires de la République à Rastadt.

On réfléchit après s'être indigné, et l'on ne comprit pas de quelle utilité pouvait être aux gouvernements ennemis le meurtre des ministres plénipotentiaires français; ils ne pouvaient avoir avec eux que les papiers relatifs à la négociation, et les détails en étaient connus. Il était évident pour toutes les puissances que la Russie, l'Autriche et l'Angleterre voulaient la guerre; elle était légitime pour l'Angleterre et l'Autriche, depuis que le Directoire avait révolutionné l'Helvétie, Rome et la Hollande. L'Autriche cherchait et devait chercher à entraîner dans sa cause le Corps germanique; la Prusse devait s'y opposer et s'y opposa en effet de tous ses moyens.

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Que contenait et que pouvait contenir de plus important le portefeuille des plénipotentiaires du Directoire? On essaya à Paris de jeter l'odieux de cet assassinat sur le cabinet de Saint-James; mais l'opinion publique l'en justifia: la moindre réflexion lui prouvait qu'il était inutile aux intérêts de l'Angleterre. Quelques hommes, qui voulaient aller au fond de cette affaire, prétendaient que Bonnier et Roberjot, indignés de la duplicité et de l'exigence du Directoire dans les nouvelles instructions qu'ils avaient reçues, se proposaient, à leur retour, de le dénoncer

aux conseils. Jean Debry, disaient-ils, à qui ces intentions étaient bien connues, était loin de les partager, et rendait compte au Directoire des dispositions de ses collègues. Ceux-ci avaient été laissés morts sur le terrain, tués par des hommes qui parlaient français; et lui, il en avait été quitte pour quelques meurtrissures, quoiqu'il eût été attaqué le premier. A Rastadt, cette opinion sembla prévaloir; car on eut l'air de reprocher à Jean Debry de n'avoir été que légèrement blessé, et d'avoir passé la nuit sur un arbre. Mais alors l'opinion était en guerre avec le Directoire.

S II.

Toute l'Italie était dans la fièvre révolutionnaire; c'était à qui se ferait république. Naples était également en fermentation; les prisons n'avaient pu suffire pour contenir les suspects ou les coupables, et le gouvernement y avait suppléé par les couvents. Rome ne pouvait, à une pareille époque, se soustraire à ses grands souvenirs. Tout ce qui savait lire, dans cette patrie des Cicéron et des Brutus, repoussait le joug pontifical, et rappelait l'antique gloire consulaire. Une grande partie du clergé, chose étrange, partageait ces opinions, peu en rapport

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