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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

Vers la fin de 1852 et au commencement de 1853 on crut en Angleterre que la guerre avec la France allait recommencer.

Aussitôt les esprits s'émurent. Des haines qui passaient pour éteintes, des préjugés qu'on croyait effacés parurent se réveiller : on avait reculé tout à coup de près d'un demi-siècle. Ces bruits trouvèrent un écho jusque dans le parlement, et la presse elle-même avait repris le ton de 1815. On ne parlait que des projets de la France, de cette inquiétude, de ce besoin d'agitation qui, lorsqu'il ne se traduit pas, disait-on, par des révolutions intérieures, la porte sans cesse à menacer le repos et l'indépendance de ses voisins. On rappelait l'exemple de la dernière guerre, et la nécessité où s'étaient trouvées les puissances européennes de s'unir entre elles pour résister à cette ardeur de conquêtes. On ne manquait pas de rappeler aussi de quels revers avait été punie l'agression, et le succès qui avait couronné les efforts des nations alliées et particulièrement de l'Angleterre dans une cause si juste. La mort du duc de Wellington, survenue en ce moment même, ajouta à l'effet produit par ces discours sur la masse du peuple anglais. Elle donnait occasion d'évoquer des souvenirs si propres à irriter l'opinion tout en exaltant l'orgueil national. Les journaux étaient pleins de ces souvenirs, qui se retrouvaient jusque dans les éloges prononcés en chaire par les prédicateurs. Le clergé même, dans ses harangues, ne se contentait pas de célébrer le guerrier; il voyait dans le duc de Welling. ton un héros suscité par Dieu pour sauver non-seulement l'Angleterre, mais encore la liberté de l'Europe mise en péril par l'ambition de la France.

Il y a longtemps que tous les bons esprits en Angleterre savent à quoi s'en tenir sur les causes de la dernière guerre ; mais nul, en présence de l'opinion, n'eût osé exprimer publiquement sa pensée à ce sujet.

Un des hommes dont le nom a été le plus souvent cité depuis plu sieurs années en Angleterre, célèbre par ses talents comme écrivain politique, par les luttes qu'il a soutenues dans le parlement, par la hardiesse de ses doctrines économiques, doctrines qui, après avoir soulevé, sui189

vant l'usage, de violentes tempêtes contre l'auteur, ont fini par être accueillies avec autant de faveur qu'elles avaient été repoussées d'abord avec indignation, M. Cobden enfin, crut que le temps était venu de dire la vérité à ses concitoyens.

S'emparant du discours prononcé par un des membres du clergé à l'occasion de la mort du duc de Wellington, il publia, sous forme de lettres adressées à l'auteur, trois brochures où il réfutait tout ce qui, dans ce discours, se rapportait à la politique générale et à l'origine de la guerre.

Il fit voir combien le peuple anglais avait été trompé lorsqu'on lui avait fait croire que c'était la France qui, la première, avait déclaré la guerre sans y avoir été provoquée. Il montra quel intérêt on avait eu à répandre cette erreur et à l'accréditer parmi la multitude. Il reprenait toute l'histoire de la guerre depuis 1793 jusqu'à 1815. Réduisant à leur juste valeur les déclamations auxquelles ce sujet n'a que trop longtemps servi de texte, il opposait aux historiens anglais, qui tous se sont faits l'écho de ces déclamations, les aveux que leur a arrachés à leur insu, en quelque sorte, la force de la vérité et l'évidence des faits.

Ces opinions si étranges et si nouvelles, exprimées pour la première fois en Angleterre par un écrivain anglais; la réputation de l'auteur; les preuves dont il s'autorisait, preuves irrécusables tirées des archives diplomatiques des deux pays, des discours des ministres ou de membres du parlement qu'il mettait en contradiction avec eux-mêmes; la manière à la fois si vive et si nette de discuter de M. Cobden; ces formes de style naturelles et presque familières qui font de lui un des écrivains les plus populaires de la Grande-Bretagne, tout devait contribuer à appeler l'attention du peuple anglais sur ces lettres; aussi firent-elles une grande sensation. Nous ne sachons pas qu'elles soient devenues l'objet d'aucune réfutation dans la presse ou ailleurs. Nous avons pensé qu'elles n'auraient pas, peut-être, moins d'intérêt pour des lecteurs français que pour des lecteurs anglais. Nous les avons traduites et nous les donnons à titre de pièces justificatives. On appréciera toute l'importance de ce témoignage en songeant d'où il vient et par qui il a été rendu.

M. Cobden a présenté la question comme elle devait l'être. Il n'a fait aucune distinction entre les guerres de la Révolution et les guerres de l'Empire. C'est qu'en effet ce fut toujours la même guerre, continuée sous divers prétextes, mais toujours dans le même but, qui était de détruire la France et la Révolution dont l'Empereur n'a fait que consacrer les principes dans son administration, dans ses codes,

qui ne sont autre chose, si cela peut se dire, que la révolution écrite et appliquée. Voilà ce que M. Cobden a parfaitement vu, et, loin de faire à l'Empereur les reproches qu'il est censé avoir mérités par son ambition, il ne le regarde, si grand qu'il soit, et c'est le terme dont il se sert, que comme un accident survenu pendant le cours de ces événements, qui a ajouté à leur éclat, mais qui ne peut à aucun titre et sous aucun rapport être confondu avec la cause qui les a produits.

Nous n'avons pas à revenir sur cette vérité, si bien comprise par l'écrivain anglais, comme elle le sera un jour de tous. On a dit, si nous ne nous trompons, que le dessein de M. Cobden, en publiant ces trois lettres, avait été principalement de nuire au parti dont il est depuis si longtemps l'adversaire en Angleterre. C'est ce que nous n'avons point à examiner ici. Il importe peu par quels motifs la vérité est dite, pourvu qu'elle le soit, et nous croyons qu'il suffit à un esprit élevé de savoir qu'elle peut être utile pour être disposé à la dire sans autre intérêt que de la faire triompher.

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Mon cher Monsieur, veuillez accepter mes remerciments pour la bonté que vous avez eue de m'envoyer un exemplaire de votre discours sur la mort du duc de Wellington. Je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt. Je vois qu'à l'exemple de tous les écrivains qui nous ont raconté la vie de ce grand capitaine vous croyez qu'il est nécessaire de bien établir ce fait : c'est à savoir que la guerre soutenue par l'Angleterre contre la France depuis 1793 jusqu'en 1815 a été de notre part, dans l'origine, une guerre défensive entreprise uniquement pour sauver les droits et la liberté du genre humain. Un mot en passant, si vous le voulez bien, sur cette question. Je commence d'abord par me réjouir de ce que, grâce à l'esprit du christianisme, nous avons fait assez de progrès depuis Froissart pour ne pas admirer un guerrier seulement à cause de ses exploits, sans considérer les motifs qui lui ont mis les armes à la main. Il ne suffit plus, en effet, pour exciter notre admiration qu'un soldat puisse se vanter de son courage, cette qualité que Gibbon regardait comme la dernière et la plus commune des qualités de l'espèce humaine et qu'une autorité très-supérieure à celle de Gibbon en pareille matière a déclaré appartenir à tous les hommes (1); il faut que ce soldat, ce guerrier ait eu le droit et la justice pour lui; sinon, c'est en vain qu'il nous présentera l'histoire de ses hauts faits écrite en lettres de sang avec la pointe de son épée, il n'obtiendra de nous ni respects ni applaudissements. Tels sont du moins les principes de notre époque, et, si les actes n'y répondent pas toujours, c'est déjà beaucoup d'en faire profession. C'est un hommage qui témoigne de l'état de civilisation où nous sommes arrivés.

Le discours que vous m'avez envoyé et qui ressemble, je le présume, à un millier de discours écrits dans le même esprit, prend les choses de très-haut. Il va au delà du temps présent. Il se plaît à prévoir les

(4) Je pense que tout homme est brave. (Paroles du duc de Wellington à la chambre des lords, 15 juin 1832.) (Note de l'auteur de la lettre.)

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