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douzième siècle : en Angleterre, en Castille, en Aragon, à Jérusalem, en Bourgogne, en Flandre, Hainaut Vermandois, en Aquitaine, Provence et bas Languedoc. La rapide extinction des mâles, l'adoucissement des mœurs et le progrès de l'équité, rouvrent les héritages aux femmes. Elles portent avec elles les souverainetés dans des maisons étrangères; elles mêlent le monde, elles accélèrent l'agglomération des états, et préparent la centralisation des grandes monarchies. Une seule, entre les maisons royales, celle des Capets, ne reconnaîtra point le droit des femmes, et restera à l'abri des mutations qui transfèrent les autres états d'une dynastie à une autre.

Louis-le-Gros, sur son lit de mort, reçut le prix de la réputation d'honnêteté qu'il avait acquise à sa famille. Le plus riche souverain de la France, le comte de Poitiers et d'Aquitaine, qui se sentait aussi mourir, ne crut pouvoir mieux placer sa fille Éléonore et ses vastes états qu'en les donnant au jeune Louis VII, qui succéda bientôt à son père. Le jeune roi avait été élevé bien dévotement dans le cloître de Notre-Dame. Toutefois, il commença par se brouiller avec le comte de Champagne et se faire excommunier par le pape. Il brûla Vitry; treize cents hommes périrent dans les flammes. Cet horrible événement lui brisa le cœur; il devint tout-à-coup docile au pape, se réconcilia à tout prix avec lui. Il prit la croix. Suger, son précepteur et son ministre, voulut en vain l'en détourner. Il n'y avait plus cette fois l'immense entraînement de la première croisade. Saint Bernard, qui prêcha celle-ci, refusa d'y aller lui-même et de guider l'armée, comme on l'en priait [1147].

L'empereur Conrad précéda Louis VII. Ils furent également malheureux. Les Allemands furent détruits dans les montagnes et les défilés de l'Asie-Mineure. Les Français arrivèrent épuisés à Satalie dans le golfe de Chypre; là, tous les barons déclarèrent qu'ils iraient par mer en Antioche. Ceux qui ne pouvaient payer, furent abandonnés. Conrad et Louis VII se réunirent à la Terre-Sainte; mais

leur rivalité fit manquer le siége de Damas qu'ils avaient entrepris, et ils retournèrent honteusement en Europe.

Dans cette triste expédition, la fière et violente Éléonore avait appris à mépriser son époux; elle obtint le divorce, et le midi de la France fut encore une fois isolé du nord. Le divorce fut prononcé le 18 mars 1152, et, dès la Pentecôte, Henri Plantagenêt, duc d'Anjou, petit-fils de Guillaume-leConquérant, duc de Normandie, bientôt roi d'Angleterre, avait épousé Eléonore, et avec elle la France occidentale, de Nantes aux Pyrénées. Avant même qu'il fût roi d'Angleterre, ses états se trouvaient deux fois plus étendus que ceux du roi de France; il prit encore l'Anjou, le Maine et la Touraine à son frère, et le laissa en dédommagement se faire élire duc de Bretagne [1156]. Il réduisit la Gascogne, il gouverna la Flandre, comme tuteur et gardien, en l'absence du comte. Il prit le Quercy au comte de Toulouse, et il aurait pris Toulouse elle-même, si le roi de France ne s'était jeté dans la ville pour la défendre [1159]. Le Toulousain fut du moins obligé de lui faire hommage. Allié du roi d'Aragon comte de Barcelone et de Provence, il voulait pour un de ses fils une princesse de Savoie, afin d'avoir un pied dans les Alpes, et de tourner toute la France par le midi. Au centre, il réduisit le Berri, le Limousin, l'Auvergne, il acheta la Marche. Il eut même le secret de détacher les comtes de Champagne de l'alliance du roi. Enfin à sa mort il possédait les pays qui répondent à quarante-sept de nos départemens, et le roi de France n'en avait vingt.

pas

Henri eut d'abord une grande popularité. Il avait été élevé à Angers, l'une des villes d'Europe où la jurisprudence avait été professée de meilleure heure. C'était l'époque de la résurrection du droit romain, qui, sous tant de rapports, devait être celle du pouvoir monarchique et de l'égalité civile. Le fameux italien Lanfranc, l'homme de Guillaume-le-Conquérant, le primat de la conquête, avait d'abord enseigné à Bologne et concouru à la restauration du droit. L'angevin Henri, nouveau conquérant de l'Angleterre, prit pour son

Lanfranc un élève de Bologne, qui avait aussi étudié le droit à Auxerre, Thomas Becket, le fils d'un Saxon et d'une Sarrasine : il en fit son chancelier et le précepteur de son fils. Il suivit ses conseils pour l'abaissement de l'aristocratie, achetant des soldats mercenaires en Flandre, en Bretagne, dans le pays de Galles, dans le midi de la France. Le clergé seul pouvait payer l'entretien de ces armées; il avait été richement doté par la conquête. Henri voulut avoir dans sa maiu la tête de l'église anglicane; je veux dire l'archevêché de Kenterbury. C'était presque un patriarcat, une royauté ecclésiastique, indispensable pour compléter l'autre. Henri résolut de la prendre pour lui en la donnant à un second lui-même, à son ami Becket. Mais celui-ci prit au sérieux sa nouvelle dignité. Le chancelier, le mondain, le courtisan, se ressouvint tout-à-coup qu'il était peuple. Il s'éloigna du roi et résigna la charge de chancelier.

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Heureusement pour Henri, les évêques étaient plus barons qu'évêques l'intérêt temporel touchait ces Normands tout autrement que celui de l'église. La plupart se déclarèrent pour le roi, et se tinrent prêts à jurer ce qu'il lui plairait. Il leur fit signer la suppression des tribunaux ecclésiastiques et du bénéfice de clergie. Ces droits donnaient lieu à de grands abus sans doute; bien des crimes étaient impunément commis par des prêtres; mais quand on songe à l'épouvantable barbarie, à la fiscalité exécrable des tribunaux laïques au douzième siècle, on est obligé d'avouer que la juridiction ecclésiastique était alors une ancre de salut. Elle pouvait épargner des coupables; mais combien elle sauvait d'innocens ! L'Église était presque la seule voie par où les races méprisées pussent reprendre quelque ascendant. On le voit par l'exemple des deux saxons Breakspear (Adrien IV) et Becket. Les libertés de l'Église étaient alors celles du monde.

Ce qu'il y eut de grand, de magnifique et de terrible dans la destinée de Becket, c'est qu'il se trouva chargé, lui faible individu et sans secours, des intérêts de l'Église universelle, qui étaient ceux du genre humain. Ce rôle, qui semblait

appartenir au pape, et que Grégoire VII avait soutenu, Alexandre III n'osa le reprendré ; il en avait bien assez de sa lutte contre l'anti-pape, contre Frédéric Barberousse, le conquérant de l'Italie. Il était réfugié à Sens, lorsque Becket vint aussi en France chercher un asile. Le pape eut peur de prendre parti et de se mettre un nouvel ennemi sur les bras. Il condamna plusieurs articles des constitutions de Clarendon, mais refusa de voir Thomas, et se contenta de lui écrire qu'il le rétablissait dans sa dignité épiscopale. Son unique soutien, c'était le roi de France. Louis VII était trop heureux de l'embarras où cette affaire mettait son rival. C'était d'ailleurs, comme on a vu, un prince singulièrement doux et pieux. L'évêque persécuté pour la défense de l'église, était pour lui un martyr. Aussi l'accueillit-il avec faveur, ajoutant que la protection des exilés était l'un des anciens fleurons de la couronne de France.

Cependant Becket, ayant résolu de revoir à tout prix son église, osa retourner en Angleterre. A la nouvelle de son débarquement, le roi indigné s'écria : « Quoi! un homme qui a mangé mon pain, un misérable qui est venu à ma cour sur un cheval boiteux, foulera aux pieds la royauté! Le voilà qui triomphe, et qui s'asseoit sur mon trône! et pas un des làches que je nourris n'aura le cœur de me débarrasser de ce prêtre! » C'était la seconde fois que ces paroles homicides sortaient de sa bouche, mais alors elles n'en tombèrent pas en vain. Quatre des chevaliers de Henri se crurent deshonorés s'ils laissaient impuni l'outrage fait à leur seigneur. Telle était la force du lien féodal, telle la vertu du serment réci proque que se prêtaient l'un à l'autre le seigneur et le vassal. Ils tuèrent Becket dans son église. Un d'eux poussa du pied le cadavre, en disant Qu'ainsi meure le traître qui a troúblé le royaume et fait insurger les Anglais [1170].

Le roi Henri se trouvait dans un grand danger; tout le monde lui attribuait le meurtre. Le roi de France, le comte de Champagne, l'avaient solennellement accusé par-devant le pape. L'archevêque de Sens, primat des Gaules, avait lancé l'excommunication. Ceux même qui lui devaient le

plus, s'éloignaient de lui avec horreur. Il apaisa la clameur publique à force d'hypocrisie. Mais voilà que bientôt après son fils aîné, le jeune roi Henri, réclame sa part du royaume et déclare qu'il veut venger la mort de celui qui l'a élevé, du saint martyr Thomas de Kenterbury. Le roi lui-même, en servant son fils à table au jour de son couronnement, avait dit imprudemment qu'il abdiquait. Les fils d'Henri avaient encore une excuse spécieuse. Ils étaient encouragés, soutenus par le roi de France, seigneur suzerain de leur père. Le lien féodal passait alors pour supérieur à tous ceux de la na

ture.

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Henri II se hàta d'engager des mercenaires, des routiers brabançons et gallois. Il acheta à tout prix la faveur de Rome. Il se déclara vassal du Saint-Siége pour l'Angleterre comme pour l'Irlande ; il ne crut pas encore en avoir fait assez ; il alla nu-pieds à Kenterbury se faire flageller sur le tombeau du martyr.

Mais la fortune ne se lassa pas de le frapper. Ce fut son sort, dans ses dernières années, d'être le persécuteur de sa femme et l'exécration de ses fils. Il aimait surtout deux de ses fils, Henri et Geoffroy: ils moururent. Il lui en restait deux : le féroce Richard, le làche et perfide Jean, Richard en sa présence même abjura son hommage, et se déclara vassal du nouveau roi de France, Philippe-Auguste. Le vieux roi se trouva attaqué de toutes parts à la fois. Malgré l'intercession de l'Église, il fut obligé d'accepter la paix que lui dictèrent Philippe et Richard; il fallut qu'il s'avouât expressément vassal du roi de France, et se remît à sa miséricorde. Il demanda les noms des partisans de Richard; le premier qu'on lui nomma fut Jean son fils. Il était alors malade et alité, il n'en releva pas [1189].

La chute d'Henri II fut un grand coup pour la puissance anglaise. Toutefois ce ne fut point au pape que profita réellement la mort de saint Thomas et l'abaissement de Henri; mais bien plutôt au roi de France. C'est lui qui avait donné asile au saint persécuté. Le pape lui-même, lorsque l'Empereur l'avait chassé de l'Italie, était venu chercher un asile

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