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Napoléon ne peut plus contenir son mécontentement. Rencontrant en route le général Guyot, il lui reproche à la face des troupes, d'avoir si mal gardé son artillerie. Non moins violent envers le général d'artillerie Digeon, il ordonne qu'on le fasse juger par un conseil de guerre; enfin, il envoie au duc de Bellune la permission de se retirer chez lui, et il donne aussitôt son commandement au général Gérard, dont l'activité sait surmonter toutes les difficultés de cette pénible cam. pagne. C'est ainsi que Napoléon s'abandonne à une sévérité qui l'étonne lui-même, mais qu'il croit nécessaire dans des circonstances aussi impérieuses.

Le général Sorbier, commandant d'artillerie de l'armée, laisse passer le premier moment de vivacité, et vient ensuite rappeler les bons et anciens services du général Digeon. Napoléon l'écoute, et déchire lui-même l'ordre qu'il avait dicté pour le jugement par un conseil de guerre.

Le duc de Bellune a reçu avec la plus vive douleur la permission de quitter l'armée. Il monte à Surville, et, les larmes aux yeux, il vient réclamer contre cette décision. En le voyant, Napoléon donne un libre cours à son mécontentement; il en accable le malheureux maréchal. Il lui reproche de servir de mauvaise grace, de fuir le quartier impérial, de ne pas même dissimuler une secrète opposition, qui sied mal dans un camp. Les plaintes s'adressent à la maréchale elle-même : elle est dame du palais, et elle s'éloigne de l'impératrice, que la nouvelle cour semble abandonner.

En vain le duc de Bellune veut répliquer ; la vivacité de Napoléon lui en ôte les moyens. Cependant le maréchal parvient à élever la voix pour protester de sa fidélité. Il rappelle à Napoléon qu'il est un de ses plus

anciens compagnons, et qu'à ce titre il ne peut quitter l'armée sans déshonneur. Les souvenirs d'Italie ne sont pas invoqués en vain; la conversation se radoucit. Napoléon ne parle plus au duc que du besoin qu'il semble avoir d'un peu de repos. Ses nombreuses blessures, et ses souffrances, suites inévitables de tant de campagnes, ue lui permettent peut-être plus l'activité de l'avantgarde, ni les privations des bivouacs, et forcent trop souvent ses fourriers à s'arrêter de préférence aux lieux où l'on trouve un lit...

Mais c'est inutilement que Napoléon entreprend de déterminer le maréchal à se retirer. Celui-ci insiste pour rester, et paraît ressentir plus vivement les reproches à mesure qu'ils sont plus adoucis. Il veut même entamer sa justification sur les lenteurs de la veille : mais aussitôt ses larmes l'interrompent; s'il a fait une faute militaire, il la paie bien chèrement par le coup qui a frappé son malheureux gendre... Au nom du général Château 9 Napoléon l'interrompt avec la plus vive émotion; il s'informe si l'on conserve encore quelque espoir de le sauver; il n'écoute plus que la douleur du maréchal, et la ressent tout entière. Le duc de Bellune, reprenant confiance, proteste de nouveau qu'il ne quittera pas l'armée : « Je vais prendre un fusil, dit-il; je n'ai pas ou» blié mon ancien métier : Victor se placera dans les >> rangs de la garde. » Ces derniers mots achèvent de vaincre Napoléon : « Eh bien, Victor, restez, dit-il en >> lui tendant la main. Je ne puis vous rendre votre corps » d'armée puisque je l'ai donné à Gérard, mais je vous » donne deux divisions de la garde; allez en prendre le >> commandement, et qu'il ne soit plus question de rien

> entre nous... »

Le lecteur vient d'assister à une de ces terribles scènes

dont il a été tant question dans les libelles. C'est ainsi que Napoléon se fâchait; c'est ainsi qu'on l'apaisait.

On retrouve dans le bulletin daté de Montereau la teinte des sentimens dont Napoléon vient d'être affecté. Les fautes des généraux L'Héritier et Montbrun y sont consignées. Le passage relatif à la blessure mortelle du général Château est sur-tout remarquable après ce que nous venons de raconter: « Le général Château mourra! >> il mourra du moins accompagné des regrets de toute » l'armée! mort bien préférable pour un militaire à une >> existence dont il n'aurait acheté la prolongation qu'en » survivant à sa réputation, ou en étouffant les senti>> mens que l'honneur français inspire dans les circons

>> tances où nous sommes! >>

Napoléon couche, le 18 au soir, au petit château de Surville; il y passe la journée du 19. Tous les maires des environs accourent au quartier impérial; la plupart sortent des bois où ils se sont réfugiés, et parmi eux on distingue M. Soufflot de Mercy, qui fait une vive peinture du pillage auquel le prince de Wurtemberg laisse ses gens s'abandonner. Bientôt on voit autour de Napoléon presque autant d'écharpes tricolores que d'épaulettes. Une députation de Provins vient encore augmenter le nombre des fonctionnaires fidèles qui s'empressent d'apporter à l'armée des ressources de tous genres, Napoléon des renseignemens importans sur la fuite de l'ennemi.

et à

La journée du 19 est employée à expédier des ordres pour que, sur toutes les routes, les différentes colonnes de l'ennemi soient harcelées sans relâche dans leur retraite, et qu'un mouvement général des nôtres les poursuive sur Troyes. Le général Gérard se met en marche sur les pas de la colonne autrichienne échappée de Fon

tainebleau, qui se sauve par la route de Sens, La garde impériale chasse devant elle, entre la Seine et l'Yonne, ce qui reste des corps ennemis qui ont défendu Montereau. Les ducs de Tarente et de Reggio s'avancent sur Bray et Nogent, et nettoient la rive droite de la Seine.

Napoléon pense que le moment est venu de faire entrer l'armée de Lyon dans les combinaisons militaires. C'est cette armée qui doit achever la campagne; elle peut couper la retraite à l'ennemi, et rendre nos derniers succès décisifs, Désormais les espérances de Napoléon vont reposer sur elle.

Déjà les levées en masse du Dauphiné sont venues au secours de celles de la Savoie; elles combattent sous les ordres des généraux Marchand, Desaix, Seras, et viennent de rétablir l'importante communication da Mont-Cenis.

Le général Bubna a évacué Montluel et les environs de Lyon. Les rives de la Saône sont libres; et les Autrichiens, réduits à garder la défensive, se concentrent sur Genève. Après de tels commencemens, obtenus par des levées en masse, que ne doit-on pas attendre d'une armée de troupes de ligne? Napoléon ordonne au duc de Castiglione de remonter la Saône, de culbuter tous les détachemens qu'il trouvera devant lui, de pénétrer dans les Vosges, de s'y établir sur les derrières de l'ennemi; de faire une guerre acharnée à ses convois, à ses bagages, à ses détachemens isolés; de soulever tous les habitans des campagnes, et de porter enfin l'alarme chez les alliés, en menaçant leur ligne d'opérations et leur route de retraite.

Mais cette armée de Lyon, qui doit se composer prin、 cipalement de troupes tirées de l'Italie et de la Cata» logne, ne sera pas aussi nombreuse que Napoléon l'avait

d'abord calculé. Ce qui se passe en Italie dérange cette importante combinaison. Le roi de Naples vient de lever le masque. « Quoique uni à Napoléon par les liens » du sang, et lui devant tout, il se déclare contre lui: » et dans quel moment? lorsque Napoléon est moins >> heureux ! » Ces reproches semblent échappés à la plume de l'histoire; ce sont les dernières paroles d'une proclamation du prince Eugène; elles retentissent dans toute l'Europe. Le jeune vice-roi, environné d'ennemis, développe un caractère égal au danger; combat les Autrichiens sur le Mincio, les Napolitains sur le Taro, et fait face à tout... mais il ne peut plus envoyer à Lyon les troupes promises, qui devaient donner une supériorité décisive à l'armée du maréchal Augereau, C'est un malheur; cependant la vigueur peut quelquefois suppléer au nombre : déjà le maréchal Augereau a sous ses ordres deux divisions agueries, venuès de Catalogne, et commandées par les généraux Musnier et Pannetier. On espère que le duc de Castiglione, électrisé par l'importance du rôle qu'il est appelé à jouer, retrouvera son ancienne audace, et fera quelque exploit digne de son âge héroïque. Napoléon ne veut négliger aucun moyen de stimuler l'énergie de son ancien compagnon; il charge l'impératrice elle-même d'aller voir la jeune duchesse de Castiglione, et de l'engager à concourir au salut public par toute l'influence qu'elle a sur le cœur de son mari.

Pendant les vingt-quatre heures qu'on a passées au . château de Surville, on n'a cessé de rassurer Paris, où le canon de Montereau avait retenti, D'abord des estafettes ont porté les premières nouvelles de nos succès; aux estafettes a succédé le départ d'un bulletin; ce dernier envoi est suivi de près par M. de Mortemart, l'un

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